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L’Afrique du Sud à la croisée des chemins

Écrit par Francis Njubi Nesbitt
25.09.2012
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  • Des milliers de mineurs de la mine de platine sud africaine, réunis pour un rassemblement à Rustenurg, le 13 septembre, un jour après avoir paralysé le premier producteur mondial de ce métal précieux. (Alexander Joe/AFP/GettyImages)

L’Afrique du Sud a réussi, une fois de plus, à choquer le monde avec une répression brutale d’ouvriers. Dans une série d’événements qui rappellent étrangement l’apartheid, la police a tué 34 mineurs en grève et a mis en accusation les mineurs (eux-mêmes) pour le meurtre de leurs collègues.

La tuerie s’est produite à la mine de platine de Marikana, détenue et exploitée par Lonmin, une société basée à Londres, soumise à des grèves sauvages et à des conflits sociaux depuis des années.

Les journalistes des médias sud-africains ont immédiatement surnommé la tuerie «massacre de Marikana» en faisant référence aux massacres de l’apartheid comme Sharpeville, Bulhoek, et Uitenhage.

L’histoire a commencé  lorsque,  3.000 ouvriers environ  se sont mis  en grève le 10 août. Ils exigeaient une augmentation du salaire de base de 500 $ à 1500 $ par mois. Les grévistes étaient des ouvriers creusant la pierre et effectuant certaines des tâches des plus dangereuses et ardues à plusieurs miles sous terre.

La direction de la mine a affirmé que cette grève était une grève sauvage illégale même si elle était soutenue par les membres de l’Association des Travailleurs Miniers et de la Construction de l’Union (ACMU)- une faction dissidente de l’union de l’enregistrement, le Syndicat National des Mineurs (NUM). Bien que le NUM soit le syndicat le plus établi, il a perdu du terrain derrière l’ACMU parce qu’il est perçu comme étant trop proche des dirigeants.

Les tensions entre les grévistes et les membres du NUM ont provoqué trois morts le premier jour de grève. Le 13 août, neuf personnes ont été  tuées, parmi elles,  deux policiers.

Puis, le 16 août, la police a tiré sur une foule d’ouvriers protestataires, tuant 34 personnes et en blessant 78 autres. Les policiers ont dit répondre à une menace imminente, accusant les travailleurs d’avoir chargé sur eux, armés de machettes.

La police a alors arrêté 270 ouvriers et dans un premier temps, les a accusés d’avoir créé une perturbation. Le 30 août, cependant, les procureurs ont annoncé qu’ils ajoutaient à ce chef d’accusation, les charges d’assassinat. Ils affirment que les ouvriers avaient incité la police à tirer sur la foule et qu’ils étaient donc responsables de ce carnage. Les accusations ont été portées en vertu d’une loi datant de l’époque de l’apartheid, qui a permis la poursuite des groupes de manifestants selon la «doctrine d’objectif commun».

«C’est en vertu de la doctrine d’objectif commun que les gens sont accusés d’être liés dans un but commun, dans une situation où il y a des suspects avec des armes à feu ou autres, et où ils confrontent ou attaquent la police», a déclaré à la BBC Frank Lesenyego, le porte-parole de l’Autorité Nationale chargée des Poursuites (NPA).

Après des protestations massives dans le pays et à l’étranger, cependant, le NPA a annoncé que les procureurs abandonnaient «provisoirement» les accusations pour meurtre. Toutefois, le directeur par intérim du NPA, Nomgcobo Jiba, a déclaré: «Les accusations finales ne seront définies qu’une fois que les conclusions de l’enquête auront été fournies». Les mineurs, par conséquent, pourraient toujours être accusés d’assassinat à une date ultérieure.

Cette loi d’objectif commun a été utilisée par le régime de la minorité blanche afin de poursuivre des militants au temps de l’apartheid. Ironiquement, certains de ces militants sont maintenant au pouvoir et utilisent la même loi pour persécuter les ouvriers. Le Congrès National Africain (ANC) se ligue contre cette même loi qui est maintenant utilisée pour réprimer le mouvement syndical.

La réponse officielle de l’ANC a consisté à faire porter le chapeau à d’autres et à se disculper. Le président de l’ANC, Jacob Zuma, a nommé une commission d’enquête et a demandé aux sud-africains de ne pas tirer de conclusions hâtives au sujet de ces événements. «Aujourd’hui ne doit pas être l’occasion de blâmer, de montrer du doigt, ou de récriminer», dit-il en désignant la commission.

Malgré l’avertissement du président, le NPA a poursuivi sa lancée en  accusant  les mineurs d’assassinat. Le ministre de la Justice de Zuma, Jeff Redebe, a demandé à l’APN de fournir des explications sur ces accusations. Voici quel fut le contenu de la réponse officielle au sujet du pire cas de violence policière depuis l’apartheid.

«Les policiers qui ont tué ces gens ne sont pas en garde à vue, pas même un seul d’entre eux. C’est de la folie», a déclaré le 30 août Julius Malema, ancien leader à des manifestants de la jeunesse de l’ANC qui est un fervent critique du président. Malema a demandé au président d’assumer la responsabilité de ce fiasco et de démissionner.

Le président du Conseil sud-africain de l’Eglise, Mgr Jo Seoka, s’est également prononcé en faveur des revendications des ouvriers. La BBC rapporte que l’évêque Seoka, «qui a une certaine sympathie» pour les mineurs, a participé à des réunions entre les grévistes et la direction de Lonmin. Il a affirmé que les conditions de vie de certains des mineurs étaient aussi mauvaises que celles de l’époque de l’apartheid.

Conflits de travail/sociaux

La mine de Marikana a une histoire mouvementée sur les conflits sociaux. La Bench Mark Foundation, organisme de recherche qui surveille la responsabilité sociale des entreprises, a publié en 2011 un rapport sur l’exploitation de la mine de platine, qui mettait en équation les conflits sociaux de la mine et le nombre anormalement élevé de décès chaque année, les bas salaires et les conditions de vie très précaires pour les travailleurs. Le rapport indique que les accidents mortels de la mine avait doublé depuis Janvier 2011. Les mines de Lonmin emploient 23.915 travailleurs, la plupart d’entre eux à Marikana.

Selon la Bench Mark, près d’un tiers de l’effectif de Lonmin était composé de personnel sous-traitant provenant de l’extérieur de la région. Les enquêteurs ont constaté que «le personnel sous-traitant est généralement mal rémunéré, peu formé,  peu instruit, et mal logé. «Ces travailleurs sont également très mobiles et manquent donc de «familiarité avec l’environnement et la notion du travail sur le long terme», ce qui compromet la santé et la sécurité des autres travailleurs».

Cet afflux de travailleurs migrants a provoqué des tensions, des protestations et des troubles, car les communautés locales avaient exigé d’être employées. En mai 2011, la production de la mine avait été complètement interrompue suite à de telles manifestations. En conséquence, les auteurs du rapport de la Bench Mark rapportent qu’ils n’étaient «pas surpris de constater que de violentes protestations avaient éclaté à Marikana à l’encontre de Lonmin et avec pour principale demande l’emploi des populations locales».

La croisée des chemins

En 1994, l’Afrique du Sud a choisi une voie néolibérale pendant la transition avec l’apartheid. Il ne devait y avoir aucune redistribution des ressources, aucune réparation, et aucune compensation pour les personnes dépossédées de leurs terres. La minorité blanche contrôle toujours 80 pour cent des meilleures terres agricoles et possède les mines du pays. Les rapports indiquent que l’inégalité raciale a augmenté depuis 1994.

En août 2005, des groupes religieux et civiques ont rejoint le Congrès des Syndicats sud-africains (COSATU) pour former une coalition et contester les politiques économiques du gouvernement de l’ANC. Bien que faisant toujours partie de la coalition électorale de l’ANC, le COSATU s’est opposé à l’accent mis par l’ANC sur la mise en place d’une classe d’affaires professionnelle noire au détriment de la classe ouvrière. La fédération a fait campagne pour une redistribution des ressources à grande échelle.

Le résultat est que 99 pour cent des Sud-Africains noirs n’ont pas goûté aux fruits de la démocratie et de la liberté. Seule une petite minorité – les relations politiques – a récolté les fruits de la loi noire et du programme d’Habilitation Economique Noire de l’ANC. Cette petite minorité est devenue scandaleusement riche dans un pays où le taux de chômage s’est maintenu à 25,5 pour cent depuis 2000. Le chômage des jeunes, reste à 50 pour cent. Quinze millions de Sud-Africains dépendent de l’aide sociale.

Compte tenu de la réalité de la pauvreté généralisée dans un pays doté d’une richesse énorme en ressources naturelles, il n’est pas étonnant que les pauvres et les démunis en viennent à la violence. Ils ont perdu confiance envers les dirigeants qui les ont abandonnés pour devenir le garde-chiourme des mêmes chefs d’entreprise qui ont bénéficié de l’apartheid.

«En l’absence d’une forte organisation politique valable, les communautés considèrent que la violence est le seul langage que les dirigeants puissent entendre», affirme Jay Naidoo, secrétaire général constitutif de la COSATU et ministre pour le développement sous Nelson Mandela.

La leçon de la tragédie de Marikana est que la nouvelle classe dirigeante politique n’hésitera pas à utiliser la puissance de l’État, notamment la police et le système judiciaire, pour faire respecter les intérêts des entreprises au détriment de la classe ouvrière. Cette approche étroite et égoïste n’augure rien de bon pour l’avenir.

L’Afrique du Sud est à un carrefour. Si elle ne cherche pas un nouveau contrat social qui donne une participation de la majorité noire dans le système, elle continuera sur la voie de l’inégalité et de la violence.

Francis Nesbitt Njubi, collaborateur du «Foreign Policy in Focus» est un professeur d’études africaines à l’Université d’Etat de San Diego. Il est l’auteur de «Race for sanctions» et a publié de nombreux chapitres de livres et des articles dans des revues spécialisées.

Version anglaise: South Africa at a Crossroads

 

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