Un journaliste canadien utilisé comme espion pour la Chine

Écrit par Matthew Robertson, Epoch Times
05.09.2012
  • Mark Bourrie, journaliste et auteur, a démissionné de son poste chez l'agence chinoise Xinhua lorsqu'il est devenu évident qu'il collaborait à des activités d'espionnage. (Gracieuseté de Mark Bourrie)

TORONTO – Mark Bourrie, auteur et journaliste de longue date sur la Colline du Parlement, a mis fin à son association avec l'agence de nouvelles Xinhua lorsqu'il est devenu évident qu'on utilisait ses services à des fins d'espionnage.

Il a révélé des détails privilégiés sur le monde obscur du journalisme officiel chinois dans un article paru le 23 août dans l'Ottawa Magazine. Il y passe en revue son temps passé avec la principale agence de nouvelles du régime chinois.

«Je savais qu'en travaillant pour Xinhua il y aurait ces moments où ils tenteraient vraiment de me compromettre. C'est devenu assez évident au fil des mois», a-t-il indiqué à Époque Times.

M. Bourrie a accepté cet emploi seulement après être entré en contact avec le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) afin de savoir s'il devait s'inquiéter d'être utilisé comme espion. Le SCRS ne l'a jamais recontacté.

Tandis que M. Bourrie passait la majorité de son temps à effectuer le travail d'un journaliste authentique, quelques tâches assignées avaient clairement un objectif de collecte de renseignements. Le seul objectif de ces tâches était de fournir des informations aux agences de renseignements chinoises au sujet des détracteurs du régime chinois au Canada.

Alors que ces affectations douteuses s'accumulaient, M. Bourrie sentait son intégrité journalistique de plus en plus compromise.

«Il y a de ces moments dans la vie où il faut tracer une ligne et dire : “C'est mal.” Et de le faire, en sachant que je pouvais le faire sans inventer d'excuses pour continuer, a eu un effet cathartique», explique-t-il.

«Je me sens bien de m'éloigner de ces gens et de savoir que je ne ferai plus jamais affaire avec eux.»

Mark Bourrie était entré en poste avec des qualifications imposantes. Il est l'auteur de plusieurs livres, dont un succès de librairie – The Fog of War – publié alors qu'il travaillait pour Xinhua. Son travail a été publié dans plusieurs publications canadiennes respectées et il a remporté plusieurs prix. Il a également été maître de conférences à l'Université Carleton.

L'ambassade chinoise l'a certainement considéré comme une bonne prise. M. Bourrie est un membre de longue date de la Tribune de la presse parlementaire, bénéficiant d'un siège dans la Salle des dépêches située dans le parlement. Par son entremise, Xinhua a obtenu une présence physique à l'intérieur du siège du pouvoir canadien et l'agence a même tenu une cérémonie pour marquer l'occasion. Les journalistes gloussent en se rappelant cet évènement bizarre tenu dans la rangée de bureaux à cloisons parmi lesquels se trouve le bureau de M. Bourrie.

Mark Bourrie a travaillé pour Xinhua pendant environ deux ans. Il a démissionné après qu'on lui a demandé de préparer une transcription de la conférence de presse donnée par le dalaï-lama à Ottawa en avril dernier. On lui avait aussi demandé de découvrir ce dont le chef spirituel tibétain avait discuté lors d'une rencontre privée avec le premier ministre, Stephen Harper.

Ayant constaté que ses reportages sur les activités des dissidents chinois sur la Colline du Parlement n'étaient jamais publiés, M. Bourrie s'attendait encore à un résultat similaire. Il a demandé au chef du bureau de Xinhua à Ottawa, Dacheng Zhang, ce qui adviendrait de son travail. On lui a répondu qu'il serait envoyé à Pékin et que ce n'était pas pour publication.

C'est la goutte qui a fait déborder le vase. Il a donné sa démission et a averti la Tribune de la presse parlementaire que Xinhua était impliquée dans des activités d'espionnage, profitant de l'accès accordé aux journalistes accrédités au Parlement – dont des séances d'information confidentielles – pour recueillir des informations pour le régime chinois.

Couverture des dissidents

Mark Bourrie se dit particulièrement préoccupé par la manière dont sont utilisés les renseignements recueillis sur les dissidents chinois comme les militants tibétains et les pratiquants de Falun Gong.

«Quand ils [Xinhua] vont à quelque chose comme une conférence de deux jours sur le Tibet et qu'ils filment et transcrivent tout, ce n'est pas pour une publication spéciale: c'est pour le renseignement chinois», estime-t-il.

Dacheng Zhang, qui accompagnait récemment Stephen Harper dans son voyage dans l'Arctique, a nié que Xinhua se prête à l'espionnage. Le bureau de Xinhua à Ottawa n'a pas répondu aux appels d'Époque Times.

Sur la Colline du Parlement, c'est maintenant la norme de voir Xinhua dépêcher tout son personnel – un photographe, un journaliste et un caméraman – à des évènements comme les manifestations tibétaines ou les causeries parlementaires sur les dangers que pose le régime chinois.

M. Bourrie a refusé les requêtes de Xinhua de recueillir les noms de toutes les personnes présentes lors des conférences de presse du Falun Gong, mais Lucy Zhou, porte-parole du groupe à Ottawa, indique qu'il n'est pas rare du tout pour le personnel de Xinhua, y compris Dacheng Zhang, de recueillir les noms et de prendre de nombreuses photos en gros plan lors des rassemblements.

«C'est très menaçant pour les pratiquants qui manifestent», affirme-t-elle.

«Lorsque les pratiquants retournent en Chine, ils peuvent être arrêtés sur-le-champ en raison de ces informations qui ont été recueillies. Bien entendu, nous pouvons dire que le photographe à la pige ne faisait que son travail, mais puisque Xinhua était derrière cette activité, ça dépasse le cadre du journalisme ordinaire», explique-t-elle.

M. Bourrie dit avoir appris que lorsqu'il faisait la couverture d'évènements organisés par des dissidents, il devait se concentrer sur les porte-parole qui sont déjà bien connus par le régime et ne pas mettre en danger la sécurité des autres participants en les incluant dans les reportages.

Au fil du temps, il a pris plaisir à soumettre des reportages qui étaient essentiellement composés de critiques contre le régime et dépourvus du genre de renseignements recherchés par Pékin.

«L'évènement était couvert, mais ils ne pouvaient rien en tirer», dit-il.

Cela n'a toutefois jamais fait taire sa conscience, et son inconfort a perduré jusqu'à sa démission.

Maintenant, il espère que ses collègues qui travaillent sur la Colline du Parlement vont prendre cette affaire au sérieux et reconnaître que Xinhua compromet l'intégrité de la Tribune de la presse parlementaire et l'accès privilégié accordé à ses membres.

M. Bourrie affirme que d'une certaine manière il est aussi coupable que ceux qui pilent sur leurs principes pour l'argent ou l'accès accordé par le régime. Cet accès est indispensable pour les journalistes et universitaires canadiens dont le travail porte sur la Chine.

«J'imagine que nous allons continuer à agir de la sorte à jamais, jusqu'à ce que quelqu'un vive une expérience comme la mienne et qu'il ne puisse plus la tolérer», dit-il.

Une préoccupation courante

Alors que les médias officiels chinois étendent leur présence partout dans le monde afin d'augmenter l'influence du régime, M. Bourrie sait très bien qu'il ne sera pas le dernier à sonner l'alarme au sujet de Xinhua.

Quiconque fait affaire avec une agence de nouvelles officielle ou une entreprise étatique devrait être sur ses gardes, avertit M. Bourrie.

«Dans les affaires du quotidien, ça ne dérange pas vraiment. Mais lorsque les intérêts de la Chine sont piqués, le masque tombe et on voit la répression», dit-il.

Il avertit que le gouvernement canadien devrait être pleinement conscient des implications de partager les sables bitumineux avec des entreprises d'État chinoises comme CNOOC, qui a déposé une offre pour acheter Nexen.

Julie Carmichael, directrice des communications pour le ministre de la Sécurité publique, Vic Toews, a indiqué qu'elle ne pouvait commenter sur les questions reliées à la sécurité nationale, en ajoutant que «le gouvernement prend très au sérieux les allégations d'espionnage et d'interférence étrangère».

«Toutes les menaces crédibles sont enquêtées par les autorités compétentes», a-t-elle mentionné.

Les activités d'espionnage de Xinhua ont été documentées depuis la fondation de l'agence.

Le transfuge Chen Yonglin, ex-diplomate chinois en Australie, a indiqué à Époque Times l'année dernière que les journalistes de Xinhua ont encore des fonctions d'espionnage.

«Ils jouent le rôle d'espion, puisque Xinhua est en fait un organe de rayonnement des agences de renseignements chinoises. La nature de leur travail fait qu'ils doivent utiliser tous les moyens pour s'infiltrer et obtenir des renseignements», explique-t-il.

Un rapport de Reporters sans frontières (RSF) publié en 2005, basé sur les témoignages d'anciens employés de Xinhua, fait écho à ces propos.

RSF explique le rôle de premier plan de Xinhua dans le contrôle de l'information en Chine, ayant autorité sur la censure et la propagande en étant directement gérée par le département de la Propagande.

«Xinhua est de fait administrée par le département de la Propagande. L'agence reçoit sa ligne éditoriale de cet organe du PCC [Parti communiste chinois] et elle la respecte à la lettre», indique le rapport.

Xinhua publie également certains reportages en anglais qui ne sont pas traduits en chinois, ce qui donne l'impression qu'elle rapporte sur des sujets sensibles pour le régime. De tels reportages font en fait partie d'une campagne de relations publiques internationale.

Quant à Mark Bourrie, il utilise maintenant son temps pour réviser son dernier livre, un recueil de correspondances de guerre canadiennes appelé Fighting Words, qui sera publié dans quelques semaines.

La perte de revenu de 50 000 $ de Xinhua est un «coup à la figure», dit-il, mais il va s'arranger. Son épouse a un emploi et il fait encore du travail à la pige.

«C'est la vie, j'imagine. Beaucoup de gens l'ont pire que moi. Ce n'est pas comme si j'étais complètement sans le sou.»

Version anglaise:

 

 

 

Canadian Reporter Used as Spy for China