Nouvelle génération Y: d’autres attentes, d’autres défis

Écrit par David Vives, Epoch Times
01.01.2013
  • Malgré sa forte capacité à se mobiliser, la génération Y (née entre 1980 et 1995) a un sens de l’engagement différent de celui des baby boomers, elle ne pense plus à renverser l’ordre établi. Cette dernière semble prête, néanmoins, à trouver ses propres solutions pour faire face aux défis économiques et sociaux. (Jacques Guez/AFP)

Ils reprennent à leur compte les slogans soixante-huitards, transforment un Smartphone en troisième bras, évoluent dans un monde globalisé par Erasmus et l’Internet, accumulent et diversifient leurs compétences. Cette nouvelle jeunesse, dite «génération Y», a d’ores et déjà commencé à bousculer les aînés sur leur propre terrain. Les jeunes s’approprient très bien les règles du jeu. D’une part, leur pouvoir de créativité est immense et ils ont plus de diplômes en poches. D’autre part, les aspirations de ces jeunes diffèrent nettement de celles de leurs parents. 

EMarketer estime à ce jour que les «Y» représentent le deuxième groupe de consommateurs derrière les baby-boomers, soit 13 millions de personnes en France. En 2015, on estime que la génération Y représentera 15% de la population européenne et 40% des actifs. De quoi la mettre au centre de toutes les attentions – parents, commerciaux, entrepreneurs.

80% des personnes interrogées plaignent cette jeunesse, forcée à évoluer parmi les crises successives et à faire siens les problèmes à grande échelle laissés par l’ancienne génération: difficulté de l’accès au logement, taux de chômage en hausse, entrée tardive dans la vie active. D’un point de vue général, il semble que derrière l’insouciance un peu affichée, cette génération comprend tout à fait les difficultés qui l’attendent. Et y répond parfois de manière surprenante. Car comme les baby-boomers avant elle, cette génération n’a pas renoncé à son droit au bonheur.

Aujourd’hui, notre culture centre beaucoup de valeurs et d’espoirs autour de la jeunesse. D’un côté, on conseille aux jeunes de profiter de cette jeunesse, de la cultiver. Synonyme d’épanouissement personnel, d’entrée dans le monde, on la décrit comme une phase transitoire, un espace d’expérimentation, où il est permis de tâtonner, d’essayer, de rêver. De l’autre, on la désigne parfois comme «génération sacrifiée», voire de «génération perdue», en évoquant les si nombreux défis qui reposent sur les épaules de ces jeunes. Quelle est la part du mythe, quelle est la part de réalité?

L’Internet, condition d’existence sociale

L’Internet est devenu, depuis Facebook et twitter, le trait d’union de notre société. Nos jeunes l’ont bien compris et facilement intégré: rester connecté, partout, tout le temps, avec tout le monde, c’est devenu possible. C’est même devenu central. Véritable pôle d’existence dans la société, Facebook en est la preuve. Les photos publiées, les Like, le nombre d’amis, autant d’éléments définissant la popularité, et par extension, l’existence sociale d’une personne ou d’un groupe.

Youtube est également de la partie. La formule «c’est en faisant n’importe quoi qu’on devient n’importe qui», inventée par Rémi Gaillard, un internaute farceur, est un concept largement repris. L’idée est que chacun peut exister et créer le buzz. Vous voulez faire rire les autres? Vous postez une vidéo. Vous voulez devenir un grand chanteur ? Pas besoin de prendre des cours de chant, ni d’avoir une belle voix, vous postez une vidéo. Plus le message est décalé, léger, voire sans aucun fond, plus il aura de chances de tourner.

Cette attitude est bien difficile à décrypter pour la génération qui n’a pas grandi sur internet. Beaucoup ne voient pas de grande profondeur dans ces goûts pour le facile et le dérisoire, et on a tendance à balayer ces nouveaux centres d’intérêts d’un revers de main. Or, il y a aussi une caractéristique d’une évolution de la pensée: l’idée de reconnaissance sociale n’est pas la même.

Poly-actifs et multitâches, ils évoluent à l’horizontale

Aujourd’hui, un jeune sur deux entre dans le monde du travail sans diplôme. L’idée qu’on trouvera, à la suite d’un diplôme, un emploi stable dans lequel on fera carrière a, semble t-il, fait son temps. «Certains de ces jeunes ne veulent pas reproduire un schéma de surinvestissement au travail qui fut celui de leurs parents. Cette génération Y a vu ses parents tout miser sur l’emploi, avec des résultats à géométrie variable», précise Julien Pouget, spécialiste du management et des ressources humaines.

Dans le monde de l’entreprise, cette génération Y est bien partie pour donner des sueurs froides à ses aînés. Les directeurs, qui doivent aussi prendre en compte certains questionnements et aspirations des jeunes, doivent parfois revoir leurs conceptions managériales. D’après Julien Pouget, ces jeunes veulent comprendre le «pourquoi de l’ordre» – le Y est utilisé pour désigner why, «pourquoi» en anglais. «Elle [cette jeunesse] a à l’esprit que la hiérarchie doit reposer sur la compétence, pas sur un simple organigramme», déclare-t-il. Cette nouvelle génération fait trembler le fonctionnement pyramidal de l’entreprise: elle évolue à l’horizontale, elle multiplie ses capacités.

Ainsi, on assiste à la naissance d’une tendance appelée des slasheurs – le caractère «/», symbolisant ici l’accumulation. Ces jeunes, généralement autodidactes, multiplient les emplois et valorisent leurs compétences en surfant sur le marché du travail. Les avantages: avoir un job alimentaire, pouvoir vivre sa passion, s’investir dans le non lucratif, devenir auto-entrepreneur.

Santo, par exemple, a cumulé les boulots alimentaires pour finalement devenir producteur/ingénieur du son/blogueur et planeur créatif pour une agence de communication. «À la fin, j’y trouve une cohérence, car tout rejoint la création. Chacune des activités complète l’autre », déclare t-il.

D’après Simon Porcher, économiste, «la poly-activité en France est largement subie. La France s’aligne sur le modèle allemand et tend vers un marché du travail plus flexible, susceptible d’accentuer le phénomène de poly-activité par nécessité». Cette poly-activité est ainsi une façon de contourner l’insécurité de l’emploi, de favoriser la création et de briser l’ennui. L’ambition de faire carrière n’est plus la motivation dominante de notre jeunesse: celle-ci veut pouvoir concilier travail avec bien-être, carrière avec développement personnel. On voit que beaucoup de ces jeunes préfèrent quitter un emploi s’ils le trouvent contraignant, voire créer leur propre travail.

Une vie sentimentale sous le signe du développement personnel

Quand on explique ce qu’étaient les années 1960 aux jeunes d’aujourd’hui, ils n’en croient pas leurs oreilles. S’ils comprennent l’avènement du rock, en apprécient les refrains émancipateurs et le décalage de la distorsion, ils sont beaucoup plus distants avec les aspects du modèle traditionnel, notamment les rapports hommes-femmes. Le réalisateur René-Jean Bouyer, dans un documentaire, est parti à la rencontre des jeunes de vingt ans. Il explique: «La conduite des filles était très surveillée, la contraception absente, l’avortement interdit». À cela, les jeunes répondent: «C’est totalement fou, un tel discours, et totalement rétrograde!».

En 1960, le divorce était encore un «problème social», il portait l’idée de dévalorisation. Dans les études menées en 1990, la fragilité intrinsèque des couples était pointée comme une des causes principales. Depuis, on a oublié de chercher la cause des divorces, pour se concentrer en travaillant et construire l’après divorce. En 2006, un mariage sur trois finissait en divorce.

D’après François de Singly, professeur en sciences sociales et directeur de recherche au CNRS, les jeunes sont de plus en plus nombreux à dissocier vie sentimentale et engagement institutionnel. Comme dans Titanic, ils rêvent d’une relation non conventionnelle, émancipatrice, permettant au soi d’exister dans un monde si difficile. «Ils ne veulent pas que l’amour ne soit gâché trop vite par les pesanteurs de la vie quotidienne», déclare-t-il.

De ce point de vue, il est plus facile de comprendre le fonctionnement de nos jeunes. La génération Y comprend très bien la question de la responsabilité de l’engagement. Ainsi, le mariage devient un défi quasi viril, un idéal lointain.

Solidarité et partage, valeurs de la nouvelle génération

Le combat pour l’égalité homme-femme trouve un bon public dans cette nouvelle génération. Selon la sociologue Monique Dagnaud, «ils ne se construisent pas dans l’opposition frontale avec leurs aînés». «Plus de 65% des 18-25 ans que nous avons interviewés affirment partager les mêmes valeurs que leurs parents», commente Marianne Hurstel, qui a supervisé l’étude internationale sur les Yers, The Millennial Generation, Meet the Smooth and Soft Generation (ndr. en français La génération du millénaire, à la rencontre d’une génération lisse et souple).

Certains les taxent d’individualistes. Mais la génération Y rêve de partager son univers. «Ils ont adoré le film Intouchables, qui lie un Y black et un baby-boomer, ça n’est pas un hasard... Ils ont une grande culture du partage et rêvent de courtoisie. Contre l’hostilité du monde et la culture paternelle défaillante, ils plébiscitent une régulation sociale par la solidarité, le partage. Ce sont les enfants du peer to peer, de la culture de l’échange», souligne la sociologue Monique Dagnaud.

La parité homme/femme et le partage des tâches sont également des acquis que la génération Y reprend volontiers à son compte. La lutte contre les discriminations, le combat pour l’égalité des droits sont des sujets très sensibles auxquels les «Y» s’identifient parfaitement. «L’homme est une femme comme les autres... et inversement», déclarait récemment Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes et porte-parole du Gouvernement, au Women’s Forum de Deauville, suggérant que le combat pour le droit des femmes profitera aussi aux hommes. La génération Y se reconnaît dans ces nouvelles valeurs et dans la construction d’un monde avec le moins de frontières possible dans les relations humaines.

Les baby-boomers, quant à eux, ont grandi avec l’idée d’exclusivité, il fallait construire sa carrière, posséder ce que les autres n’auront pas. La génération Y, elle, est inclusive: «J’existe, j’aime, je peux faire, et tu devrais venir avec moi». On ne se distingue plus par les possessions matérielles, mais par les goûts, les capacités à créer et à communiquer. Une façon de réinventer la solidarité et le partage.

L’autre face d’un monde d’insécurité et de peurs

Beaucoup de jeunes, même diplômés, n’ont pas les moyens de quitter le domicile familial. Ainsi, ce n’est pas forcément une question de manque de volonté, ou de refus de l’engagement. D’après un rapport publié par l’office des statistiques Eurostats, 10,5% des 25-34 ans résident toujours chez leurs parents en France, contre 62% pour les 18-24 ans – en Europe ou au Canada, ce pourcentage grimpe jusqu’à 76%. «Tous les emplois ne conduisent pas automatiquement à l’indépendance financière», constate le rapport. Le Bureau International du Travail s’était alarmé, en août de cette année, du taux de chômage des jeunes au niveau mondial – presqu’un quart des 15-24 ans était au chômage au premier trimestre 2012.

D’après une étude Médiaprim, 45% des 18-35 ans déclarent ressentir de la solitude, souvent ou occasionnellement. Il y a cinquante ans, l’entourage se constituait de la famille, des voisins, de l’entreprise. Aujourd’hui, le sentiment d’appartenance au groupe se développe dans les réseaux d’amis. Il représente un facteur d’instabilité supplémentaire en cas de problèmes.

Selon le sociologue Jean-Claude Kaufmann, «c’est une formidable chance de pouvoir tisser facilement des réseaux. Mais les choses se corsent lorsque les jeunes veulent aller plus loin que l’empathie à distance et sont à la recherche de soutien, d’attachement et de présence.»

Le concept de l’«adulescence», ou prolongement de l’adolescence, est parfois utilisé pour caractériser cette génération Y. Le manque de repères, le sentiment d’insécurité, le besoin de structures pour évoluer sont des facteurs à prendre en compte et sur lesquels il est difficile, parfois, de pouvoir agir. D’après Franck Fured, sociologue à l’université du Kent, aux États-Unis, «les gens ont peur de se sentir adultes. Ils n’y voient aucun avantage. Toutes les valeurs culturelles de notre société sont basées sur la jeunesse. Plus on s’en éloigne, plus ça nous rend anxieux. Les gens se persuadent que leur comportement immature est synonyme d’insouciance et de liberté, mais il est dicté par la peur».

Le cadre dans lequel évolue notre société pourrait jouer un rôle puissant sur la façon dont les individus qui en font partie réagissent et se comportent entre eux. D’après Émile Durkheim, éminent sociologue du début du XXe siècle, les sociétés modernes peuvent engendrer une situation d’anomie, c’est-à-dire une perte de repères et de normes morales chez les individus de ces sociétés.

Cette anomie peut être à l’origine d’un sentiment d’isolement, de peur et d’insatisfaction. Les individus, ne suivant plus la norme de la société, peuvent alors individualiser leurs buts et leurs valeurs, se désolidarisant par la même de la société. Selon Durkheim, les situations d’anomies apparaissent chez les individus quand la société ne peut définir ou maintenir un système de normes susceptibles de limiter leur désirs: la société ne leur est pas assez présente et cela peut les faire souffrir. La perte du sens moral pourrait être une source du mal être de la société, dont les jeunes générations sont les premiers à devoir en combattre les effets.

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