Commentaires de l'analyste Danielle Pilette

«L’héritier de Gérald Tremblay»

Écrit par Mathieu Côté-Desjardins, Epoch Times
01.10.2013

Danielle Pilette, professeure associée au département d'études urbaines et touristiques de l'UQAM, se prononce sur Denis Coderre et sur ce qu’il propose pour Montréal. Mme Pilette a plusieurs domaines d'expertise, dont la gestion municipale et métropolitaine, les finances et la fiscalité municipale ainsi que la fusion et défusion municipale. Elle est aussi membre du comité-conseil (externe) de développement durable du ministère des Affaires municipales depuis 2010.

Époque Times (ÉT)  : Pourquoi Denis Coderre informe-t-il si peu les citoyens par son site Internet officiel?

  • S’adressant aux gens sur son passage, M. Coderre échange quelques mots avec un chauffeur d’autobus de la STM. (Ramiro Coloma/Époque Times)

Danielle Pilette (DP)  : Les sites Internet des partis sont conçus selon les désirs de l eurs bases électorales [types d’électeurs]. La base électorale de M. Coderre se concentre dans les nouveaux arrondissements, surtout au nord de l’autoroute Métropolitaine  : Rivière-des-Prairies–Pointe-aux-Trembles, Saint-Laurent, bref les arrondissements populeux. Il ne peut pas en dire trop dans son programme. Toutes ces anciennes banlieues ont une chose en commun  : elles veulent exercer un contrôle sur l’ensemble de la Ville de Montréal. À part ce projet politique-là, elles n’ont pas beaucoup de choses en commun. Le programme Coderre doit rester dans la généralité [pour servir sa base électorale]  : pas trop de hausses d’impôts, que la Ville de Montréal fonctionne, etc. Il ne peut pas se prononcer sur grand-chose. Il est l’héritier du pouvoir qu’il y avait à Montréal. D’ailleurs, le maire Tremblay n’en disait pas beaucoup non plus. Il va protéger son héritage, il n’a pas besoin d’être très proactif. Il n’a seulement qu’à être convivial.

ÉT  : Comment percevez-vous M. Coderre dans sa campagne?

DP  : Je trouve que M. Coderre est assez habile dans sa campagne. C’est une campagne de masse et pragmatique, ce n’est  pas une niche, pas de militance à tout crin pour une idée ou pour une autre. Il ne veut pas se faire d’ennemis et il communique bien. Son rassemblement de vendredi soir dernier, le 20 septembre, montrait ses appuis, surtout dans les communautés culturelles.

ÉT  : Quels sont les domaines dans lesquels Denis Coderre est le plus solide?

DP  : Il se positionne en tant que maire de Montréal et président de la Communauté métropolitaine, ce qui agrandit son territoire d’influence par rapport à ses adversaires qui ont l’air de rétrécir leur territoire d’influence et de rester cantonnés au centre-ville ou à proximité. Par exemple, il veut mieux contrôler l’AMT  [Agence métropolitaine de transport], alors que les autres candidats la considèrent comme une vache sacrée.

Il se positionne en économie, avec Montréal comme ville-région et des fluidités en matière d’emplois  : facilités pour les déplacements aux fins de travail, etc. Il ne semble pas avoir peur de la concurrence des banlieues pour attirer des familles, des consommateurs, etc. Il reflète une position de force.

Il rejette les projets d’équipements trop coûteux, ce qui est conforme à l’air du temps, compte tenu de la méfiance généralisée en matière d’attributions de contrats, après les révélations des derniers mois.

Il valorise la mobilité et veut favoriser les transports accessibles avec des projets d’autobus express, de voies réservées, de wifi dans les autobus et dans le métro.

ÉT  : Quelles seraient ses grandes lacunes?

DP  : Son propre passé parfois controversé de ministre libéral fédéral et le fait qu’il fasse le recyclage de nombreux ex d’Union Montréal.


Le deuxième, son isolement (et celui de Montréal) s’il devenait maire de Montréal par rapport au Parti conservateur au pouvoir à Ottawa, au NPD dans l’opposition, même par rapport aux libéraux fédéraux, sans parler de son isolement par rapport aux partis provinciaux.

ÉT  : L’engagement de la «ville intelligente», est-ce une proposition à prendre au sérieux?

DP  : Le concept de «ville intelligente» apporté par l’Équipe Denis Coderre a pour objectif d’avoir de meilleurs services pour les Montréalais, notamment par l’utilisation au quotidien de son téléphone intelligent pour en faire bénéficier la Ville. Ultimement, l’Équipe Denis Coderre souhaiterait que Montréal fasse partie du top 7 des villes intelligentes de l'année de l’organisme Intelligent Community Forum, récompensant les villes intelligentes dans le monde.

  • Denis Coderre devant l’hôtel de ville de Montréal où il se retrouvera possiblement le 4 novembre prochain. (Ramiro Coloma/Époque Times)

Cet engagement n’est effectivement pas très clair. Les données ouvertes et la transparence que Mélanie Joly propose sont plus importantes comme engagement. La question de la participation citoyenne via des moyens électroniques et les médias sociaux, la participation plus active des citoyens aux assemblées de conseils, proposition de Richard Bergeron/Projet Montréal, cela nourrit la facette conviviale de la campagne et de la politique. C’est une vision très banlieue, très terre-à-terre. J’irais jusqu’à dire que c’est une poursuite des villes de banlieues. Ce genre de vision donne un pouvoir excessif aux élus d’arrondissements. Parce que derrière son modèle de gouvernance et de ville intelligente, il va privilégier les arrondissements aux dépens de la Ville centrale.

ÉT  : L’engagement d’un responsable du développement social à la Ville est-il indispensable à un renouveau marqué à la Ville?

DP  : Le responsable du développement social traiterait d’itinérance, de pauvreté et de logement social au comité exécutif de la Ville et serait assumé par un seul membre du comité, si possible accompagné du titre de vice-président du comité. Le membre du comité exécutif qui représenterait la direction du développement social serait celui qui gérerait ces enjeux.

Il existe déjà un service de développement social et diversité à la Ville de Montréal, donc des postes de fonctionnaire en rapport avec cela. La question des sans-abris, Gérald Tremblay en a beaucoup traité. Je le répète, M. Coderre est vraiment l’héritier de M. Tremblay, sauf sur quelques différences près. La responsabilité politique va être donnée à un membre du comité exécutif, en exigeant que Québec paie après avoir reconnu le problème de concentration de l’itinérance et dysfonctionnement social d’ici. On a déjà obtenu quelques succès, dont la fameuse Urgence Psychosociale-Justice [SPVM], qui a reçu un financement provincial et fédéral. Obtenir un financement au fédéral avec les Conservateurs est très difficile, dont pour le logement social. Les Conservateurs ont mis un frein à ça. M. Coderre a conservé une partie de vision fédérale, ce qui n’est pas une mauvaise chose. M. Tremblay faisait plutôt ses demandes au provincial et ça s’arrêtait là. Peut-être que dans certaines circonstances, on pourra obtenir différentes choses du fédéral, mais c’est sûr que M. Coderre n’est pas un Conservateur ni un partisan du NPD. Dans la conjoncture actuelle, je ne sais pas ce que ça peut donner.

ÉT  : Et le rôle d’inspecteur général que M. Coderre défend?

DP  : Le vérificateur général a comme mandat de vérifier les comptes et affaires de la Ville et de transmettre au conseil municipal un rapport constatant les résultats de sa vérification sans pouvoir de contrainte.

De son côté, le poste de contrôleur général a été mis sur pied pour assurer l’existence et l’efficacité des contrôles nécessaires à la saine gestion [...] de la Ville.

La création du poste d'inspecteur général pourrait remédier au fait qu’actuellement aucun officier n’a réellement un pouvoir de contrainte à la Ville de Montréal. Un inspecteur pourrait avoir la liberté d’enquêter et de lutter contre la corruption.

C’est le genre de proposition qui paraît un peu cosmétique. Dans le fond, il y a déjà un contrôleur général à la Ville, tout comme il y a un vérificateur général à la Ville. L’administration Tremblay a eu des disputes épiques avec le vérificateur général. Les mécanismes de contrôle existent déjà. Ces derniers ont été instrumentalisés sous l’administration Tremblay. Union Montréal passait son temps à changer les responsables et à les contrecarrer. Ce n’est pas en les multipliant que ça va changer quelque chose. Ça dépend à quel point on les respecte, ça dépend à quel point le parti en place considère suivre une certaine ligne d’éthique.1

1. À noter qu’en entrevue, M. Coderre a affirmé ne pas être contre l’idée que les vérificateurs généraux réclament plus de moyens pour faire encore mieux leur travail.