Commentaires de notre analyste Danielle Pilette

Une ferveur parfois trop orientée

Écrit par Mathieu Côté-Desjardins, Epoch Times
15.10.2013
  • Richard Bergeron devant l’hôtel de ville de Montréal

Danielle Pilette est connue comme professeure associée au département d'études urbaines et touristiques de l'UQAM et se prononce de temps à autre dans les médias, notamment sur la politique municipale. Elle a plusieurs domaines d'expertise à son actif, dont la gestion municipale et métropolitaine, les finances et la fiscalité municipale ainsi que la fusion et défusion municipales. Depuis 2010, elle est membre du comité-conseil (externe) de développement durable du ministère des Affaires municipales. Nous l’avons rencontrée pour qu’elle nous donne ses impressions sur Richard Bergeron et sa formation politique Projet Montréal.

Époque Times (ÉT)  : Est-ce que Projet Montréal est un parti du «ici et maintenant» ou plutôt concentré sur le futur de Montréal?

Danielle Pilette (DP)  : Dans le fond, Projet Montréal a un chef ni jeune, ni vieux, mais on sent la poussée des gens qui ont 40 ans, qui voient l’avenir. Et si on est axé sur le développement durable, déjà le projet en lui-même est porteur d’avenir. Tout à fait le parti axé sur un avenir à court, moyen et long terme. Comme M. Bergeron n’est pas terre-à-terre du tout, mais très idéaliste, certains de ses plans pour Montréal ne se feront pas demain matin. Il dépend de plusieurs personnes pour y arriver  dont les ministres. L’approche de Mme Joly est plus immédiate, par étape, avec ce que l’on a. M. Bergeron s’adresse à des gens déjà mobilisés. Mélanie Joly, elle s’adresse à la prémobilisation. C’est complètement différent.

ÉT  : Quand vous parlez de gens mobilisés, que voulez-vous dire?

DP  : Quand je parle de gens mobilisés ou de militants, je parle de citoyens qui ont des valeurs qu’ils mettent en action. Ils agissent au lieu de rester dans la passivité. C’est une majorité de gens qui sont relativement passifs.

 

 

 

ÉT  : Le vieux différend entre Projet Montréal et Vision Montréal, ayant changé de peau avec la Coalition Montréal, est-il toujours présent?

DP  : La lutte est toujours à finir entre Projet Montréal et Vision Montréal [Coalition Montréal]. C’était aussi le cas lors de l’élection de 2009. On l’a vu objectivement. Je me rappelle, entre autres, dans un débat où Richard Bergeron faisait une alliance avec le maire Tremblay contre Mme Harel sur certains sujets. “Nous, on se préoccupe plus des transports que Mme Harel, au lieu de se cantonner dans le social”. “Nous, on parle beaucoup mieux l’anglais que Mme Harel, elle qui est cantonnée chez les francophones de souche”. M. Bergeron fait le même jeu avec la même Coalition Montréal et Marcel Côté.

 

 

 

ÉT  : Comment peut-on comprendre les actions pour les familles de Projet Montréal?

DP  : M. Bergeron est dans une perspective de cohérence d’écoquartier, il cite, entre autres, beaucoup Rosemont. 

«[…] un écoquartier, ce doit être  : un milieu de vie le plus complet possible, qui réponde aux divers besoins d’une population variée, un quartier connecté à son environnement, l’occasion d’améliorer l’existant, pour le quartier lui-même et pour ses environs et des solutions structurantes et effi caces à long terme.» (Vers une charte des écoquartiers - version bêta, Vivre en Ville).



ÉT  : Quel est, selon vous, le principal cheval de bataille de Richard Bergeron?

DP  : Les transports lourds  : tramways, train, agrandissement du métro et les transports légers, mais il insiste d’abord sur les transports lourds. Dans le débat de l’INM [Institut du Nouveau Monde], c’était évident. 
Ses propositions ne sont pas si réalistes que ça. On n’est plus à l’époque de 1967. Montréal n’est plus, n’a jamais été la métropole du Canada, c’est vraiment Toronto. Montréal est devenue une des trois métropoles mineures du Canada. Deuxièmement, ses moyens de transport lourds ne tiennent pas en compte la réalité métropolitaine. Les moyens de transport lourds sont faits pour l’époque moderne, non pas pour l’époque postmoderne. Je ne dis pas que ça ne crée pas des lieux de convergence vers le centre-ville, mais dans des proportions qui ont tendance à diminuer.

Maintenant, même les emplois très qualifiés se retrouvent aussi sur la Rive-Sud. L’an dernier, j’ai fait une étude sur cette région. Ce qui lui ressemble le plus, c’est l’est de la Rive-Sud soit Varennes, Boucherville, etc. La valeur de la production est très grande, ce n’est pas comme Laval, une économie banalisée, bref, il y a une certaine logique, un certain modèle de distribution de productivité économique dans la région métropolitaine de Montréal.

Ce n’est pas vrai qu’on va amener tout le monde au centre-ville de Montréal par des moyens de transport lourds qui peuvent transporter énormément de personnes. Si on regarde vers le futur, on s’en va vers une déconcentration par type d’activités dans toutes les activités économiques de toute la région métropolitaine. Je trouve beaucoup plus réaliste la proposition de Mme Joly de dire, “on va y aller avec des moyens plus souples et adaptés”. Primo, on n’aura jamais les moyens qu’on a déjà eus, comme nous ne sommes pas la grande métropole du Canada. Deuxièmement, l’éclatement des forces économiques et de la spécialisation des territoires existe aussi. 

Dans un autre registre, avoir un programme clair pourrait aussi être vu comme une des priorités de Projet Montréal. À chaque élection, on a un seul parti dont le programme est très clair. Il y a longtemps, c’était le RCM [Rassemblement des citoyens de Montréal, parti politique actif à Montréal de 1974 à 2001]. Maintenant, c’est Projet Montréal.

ÉT  : Après dix ans d’existence, quelle est l’évolution la plus marquante qu’on peut relever du parti Projet Montréal?

DP  : Ce qui évolue beaucoup dans Projet Montréal, c’est la force que prennent les plus jeunes. Autrement dit, j’ai l’impression que le chef est sur la corde raide. Je crois que s’il ne peut pas livrer à cette élection-ci, ce sera possiblement sa dernière élection. Quand je parle de la force que prennent les plus jeunes, je pense à Mme Émilie Thuillier, conseillère de la Ville et vice-présidente du comité exécutif et à M. François William Croteau, Rosemont–La Petite-Patrie, maire d'arrondissement et conseiller de la Ville. M. Croteau est très ambitieux, il a déjà été dans Vision Montréal avec Mme Harel, il a quitté le parti pour Projet Montréal. Il pourrait faire en sorte que Bergeron quitte son poste à un certain moment. Je pense qu’il y a des jeunes loups dans le parti. Sous le couvert de la continuité, il y a un pragmatisme électoral qui commence à s’installer dans le parti, mais que M. Bergeron ne rend pas et ne rendra pas.

Tant que M. Bergeron sera le chef de Projet Montréal, on va rester avec le tramway, avec du transport lourd. C’est son modèle d’action comme il a œuvré à Agence métropolitaine de transport. Ce qu’il véhicule, ce sont les contenus qui viennent de l’AMT. Le jour où le parti aura un autre chef, on axera beaucoup plus sur les écoquartiers, le local prendra beaucoup plus de place.

Au débat des chefs de l’INM, M. Bergeron n’a insisté que sur les transports et les finances municipales. Ce ne sont pas les médias qui avancent cela, c’est que le chef est plus à l’aise avec les enjeux de transports. Ces enjeux touchent toute la ville, tandis que les enjeux locaux (écoquartiers), il sait qu’il y a des arrondissements qui ne sont pas sensibles aux écoquartiers. Par calcul politique, il les véhicule moins. L’expérience de Richard Bergeron n’est pas locale, elle est métropolitaine, donc il véhicule les enjeux métropolitains qu’il connaît bien. Un jour, ça devra cesser, qu’il retombe sur terre et qu’il parte du local. Il devra comprendre qu’à Montréal, l’élection se joue dans les arrondissements, dans les enjeux locaux et non pas métropolitains.