Royaume-Uni : débat sur la limite entre sécurité et vie privée

Écrit par Jane Gray
05.10.2013
  • Manifestation devant le Capitole contre les nouveaux programmes de surveillance de la NSA, le 13 juin 2013, à Washington, DC. Le débat sur les efforts antiterroristes du gouvernement et sur la liberté a été intensifié aux États-Unis et au Royaume-Uni après les dernières révélations de l'ancien agent des services de renseignements américain Edward Snowden, qui a dévoilé que les agences de renseignements américaines et britanniques ont craqué les codes de cryptage sur Internet. (Win McNamee/Getty Images)

LONDRES - Les derniers documents révélés par l'ancien agent des services de renseignements américains Edward Snowden indiquent que les agences de renseignements américaines et britanniques ont craqué les codes de cryptage d'Internet. Une fois de plus, beaucoup de gens se sont demandé dans quelle mesure les gouvernements devraient être autorisés à violer le droit à la vie privée au nom de la sécurité.

Les révélations publiées par le Guardian, le New York Times, et ProPublica , montrent qu'avec la capacité de déchiffrer des codes de cryptage, l'Agence nationale de la sécurité américaine (NSA) et son homologue britannique la GCHQ peuvent potentiellement avoir accès à des données en ligne et des transactions comme les dossiers médicaux, les courriels et les coordonnées bancaires.

Au Royaume-Uni, le débat sur les efforts antiterroristes du gouvernement et les libertés civiles avait déjà été intensifié récemment après que David Miranda, partenaire du journaliste du Guardian, qui a couvert Snowden, a été détenu par les autorités pendant 9 heures à l'aéroport de Heathrow pour un interrogatoire.

À l'heure actuelle, le gouvernement britannique est au troisième rang mondial des demandes de données utilisateurs sur Facebook et Twitter cette année, et au premier rang mondial en ce qui concerne les données d'utilisateurs de Skype en 2012.

Imran Awan, criminologue à l'Université de Birmingham City, a avoué qu'utiliser la technologie pour lutter contre le terrorisme n'est pas une tâche facile.

«C'est dangereux, car inévitablement des gens innocents seront lésés», explique Awan.

Il a déclaré que les initiatives législatives, telles que le projet de loi de communication de données que la ministre de l'Intérieur Theresa May a essayé de faire passer l'année dernière, rendraient légal pour le gouvernement de colporter «tout et n'importe quoi», ce qui toucherait à la liberté de la population.

«La charte du fouineur»

Le projet de loi de communications de données, surnommé par certains «la charte du fouineur», rendrait obligatoire aux fournisseurs Internet d'avoir un suivi des enregistrements des données d'utilisation Internet de tout le monde, comme l'historique de navigation web et les messages de sites de réseaux sociaux, et de stocker les données pendant 12 mois, sans le contenu. Les dossiers pourraient être consultés par la police sans mandat.

Ce projet de loi, qui a été initialement introduit en juin 2012, a été rejeté par le vice-premier ministre Nick Clegg qui a déclaré que ce projet de loi manque d'équilibre entre sécurité et liberté.

Dans une lettre privée dont le Guardian, Google, Microsoft, Facebook, Yahoo, Twitter ont pris connaissance, Clegg a également écrit à May en avril dernier que le projet de loi est «coûteux à mettre en œuvre et très controversé», et qu'ils ne seraient pas favorables à ce projet de loi.

Mais May, le ministre de la Défense Phillip Hammond et d'autres ministres sont devenus soucieux de relancer ce projet de loi à la suite du meurtre tragique du soldat britannique de 23 ans, Lee Rigby, à Woolwich en mai dernier.

Ils estiment que l'accroissement des pouvoirs de surveillance aiderait à prévenir les attaques venant des extrémistes.

Anthony Glees, professeur de sciences politiques à l'Université de Buckingham et directeur de l'Université du centre d'études pour la sécurité et les renseignements, affirme que des lois comme celles que le projet de communication de données propose ne vont pas amoindrir les libertés civiles, mais plutôt les protéger.

«Si quelqu'un l'appelle la «charte des fouineurs», c'est qu'il est totalement idiot. C'est enquêter, on doit le faire légalement», explique Glees.

«Il y a des bons et des mauvais dans ce monde. Attrapons les mauvaises personnes.»

Malgré les efforts soutenus pour ce projet de loi, il est susceptible de ne pas obtenir suffisamment de soutien pour passer dans sa forme actuelle.

Dans une réponse envoyée par courriel, le porte-parole du ministère de l'Intérieur a rappelé un communiqué publié plus tôt par le ministère sur la question : «le gouvernement est déterminé à faire appliquer cette loi et à faire en sorte que les agences de services de renseignements aient les pouvoirs dont ils ont besoin pour protéger le public et assurer la sécurité nationale», a déclaré le porte-parole.

«Le gouvernement continue d'étudier des moyens de résoudre ce problème avec les fournisseurs des services de communication. Cela peut entraîner l'élaboration de lois.»

Une question complexe

Protéger le public sans empiéter sur la vie privée est en effet un exercice d'équilibre délicat.

«Ce ne serait pas juste qu'une communauté soit sans cesse soumise à des mesures de contre-terrorisme, mais en même temps, il ne serait pas raisonnable de dire que les États ne doivent pas participer à la surveillance», explique Fiona de Londras, professeur de droit à l' Université de Durham qui dirige le SECILE financé par l'UE (Sécurisation de l'Europe à travers la lutte contre le terrorisme : impact, légitimité et efficacité)

«C'est un phénomène à plusieurs facettes, complexe, difficile pour lequel il n'y a pas de réponses simples. Nous devons reconnaître que le terrorisme est complexe», ajoute de Londras.

Version originale : UK Debates Security vs. Privacy