Anglais | Chinois | Coréen | Français | Allemand | Espagnol | Japonais | Russe | Ukrainien | Hébreu | Roumain | Bulgare | Slovaque | Tchèque | Indonésien | Vietnamien
Faites un don

Les sept fondements de la longévité du régime Assad

Écrit par Alon Ben-Meir, Centre des Affaires Mondiales
22.11.2013
| A-/A+
  • À Damas, le 9 octobre 2013, un véhicule de l’ONU qui transporte des inspecteurs de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) quitte l’hôtel et passe devant une affiche du président syrien Bachar Al-Assad, collée sur un mur. (Louai Beshara/AFP/Getty Images)

Lorsqu’en 1994, Basil Assad, fils aîné et héritier désigné du défunt président Hafez el-Assad, meurt dans un accident de voiture, son père choisit son fils inexpérimenté Bachar, pour assurer la présidence. Si Basil était initié aux affaires militaires, politiques et au fonctionnement de l'État, Bachar lui avait étudié l'ophtalmologie en Angleterre et ne semblait pas disposer des compétences opérationnelles nécessaires au bon fonctionnement des affaires intérieures et étrangères de son stratège de père.

De hauts responsables syriens toujours en activité m’ont confié que le vieux Assad ne laissait rien au hasard. Il a synthétisé sa philosophie politique en sept principes (transmis à son fils) pour assurer la sécurité et la stabilité de l'État ainsi que la continuité de la dynastie Assad.

En premier lieu, la Syrie doit converser et renforcer les liens étroits qu’elle entretient avec ses alliés. Elle doit souligner l'importance particulière de l'appui financier de l'Iran et du matériel militaire de la Russie ainsi que le soutien politique des deux nations. Pour Hafez Al-Assad, il était impératif que l'Iran et la Russie sachent que leurs intérêts nationaux dépendent de la longévité du président syrien et de la secte des alaouite.

Ainsi, les deux pays seront prêts à tout pour soutenir le régime, car aucun autre gouvernement ne leur permettra d'exercer pareille influence en Syrie. Le soutien sans faille que l'Iran et la Russie apportent à Assad trouve leur explication ici.

En second lieu, la Syrie doit préserver son rôle au sein des pays arabes, c’est-à-dire être le porte-flambeau du nationalisme arabe en restant fidèle à la cause palestinienne et en tenant un rôle de premier plan dans les affaires arabes. Elle se doit aussi de maquiller sa propre dépendance à l'égard des puissances extérieures.

C’est toujours le dogme du parti Baas syrien et de l'élite militaire qui est persuadée de pouvoir se remettre tôt ou tard de la terrible guerre civile et de restaurer le rôle central de la Syrie dans la politique arabe. Ce dogme est le symbole de la confiance et de la capacité de résistance du régime Assad et explique sa défiance à l’égard de la communauté internationale et son intransigeance vis-à-vis des rebelles.

Troisièmement, la Syrie ne provoquera pas Israël, mais se conformera pleinement à l'accord de désengagement de 1974 et évitera toute confrontation militaire, car elle pourrait bien revivre une humiliante défaite similaire à la guerre de 1973. Cependant, la Syrie étudiera les possibilités de paix (comme en 2000 et entre 2008 et 2009), mais elle ne cédera pas un iota du territoire syrien en échange.

Ceci explique pourquoi Assad a refusé toute riposte contre l’État juif, malgré les cinq attaques d’Israël en 2013 sur des cibles et des convois transportant des roquettes syriennes de pointe vers le Liban pour le Hezbollah.

Quatrièmement, la Syrie doit garder un rôle majeur au Liban, en soutenant et en utilisant le Hezbollah pour ses intérêts stratégiques. Le Hezbollah sera ainsi l’émissaire de Damas contre Israël et restera une puissante force qui obligera Jérusalem à allouer d’importantes ressources à la sécurisation de sa frontière septentrionale.

Le Hezbollah dépendra de la Syrie pour obtenir soutien politique et logistique, afin que Damas soit toujours en mesure d'influencer son leadership et de l'utiliser comme bon lui semble dans et hors du Liban, en fonction des circonstances.

Cinquièmement, dans la mesure ou plusieurs sectes coexistent en Syrie (les chrétiens, les Kurdes, les sunnites, les Druzes, les Assyriens, les Turcs et les Arméniens), il est dans l’intérêt du pays de les monter tacitement, les unes contres les autres, tout en épargnant les Alaouites.

Pendant qu’on infligera une domination politique complète à la majorité sunnite en lui refusant des postes de pouvoir, les autres sectes relativement grandes (en particulier les chrétiens, les Kurdes et les Druzes) jouiront d’une liberté culturelle dans le but de s’assurer de leur soutien au régime, d’où leur réticence à rejoindre les rebelles.

Sixièmement, pour garantir une plus grande loyauté, le président choisira la quasi-totalité de l'élite du parti, du haut commandement militaire, de la sécurité intérieure et des services de renseignement parmi les Alaouites, sur lesquels il peut compter pour former la base du pouvoir gouvernemental. Ils pourront aisément jouir du confort matériel offert mais leur quiétude dépendra toujours des bonnes grâces du président.

Septièmement, si le président donne de lui même l’image d’un chef «bienveillant», il ne tolérera jamais aucune contestation de son régime et écrasera tout soulèvement contre ce dernier. Le massacre de près de 15 000 civils à la suite d'un soulèvement des Frères musulmans contre le régime à Hama a clairement fait comprendre aux groupes politiques et aux divers clans que l'autorité du président était incontestable.

Les révolutions imprévues chez les voisins

Le président Hafez Al-Assad n'a pas anticipé la vague révolutionnaire qui balaye la région dans le sillage du Printemps arabe. Toutefois, sa doctrine du pouvoir est restée inchangée et Bachar Al-Assad l’a presque entièrement adoptée. Les États-Unis avaient ici suffisamment d'indices pour discerner les agissements de Assad et la manière dont il réagirait à l'enchaînement des événements.

Au début de sa prise de pouvoir, Bachar Al-Assad a voulu engager des réformes politiques, mais «ses hommes forts» de la sécurité militaire et intérieure l’ont immédiatement arrêté et se sont opposés fermement à toute réforme sérieuse, arguant que «plus tu en donnes, plus ils [les gens] t’en demanderont».

Suite à la violente répression de la manifestation pacifique de Deraa, Assad voulait procéder à de petits dédommagement afin d’éviter toute nouvelle effusion de sang. Il lui a été conseillé de ne prendre aucune mesure qui serait interprétée comme une faiblesse. La répression a alors continué, créant le cercle vicieux à l’origine de la tragique guerre civile, qui a changé l'avenir de la Syrie pour de bon.

Les errements de l’administration américaine

Malheureusement, la Maison-Blanche n'a jamais vraiment compris le secret de la longévité du régime Assad et a ignoré la doctrine opérationnelle qui a été transmise méticuleusement de père en fils.

L'administration a sous-estimé la détermination jusqu’au-boutiste de l'Iran à soutenir Assad et le fait que la Russie ne renoncera jamais à son seul allié dans la région. L’équipe de la sécurité nationale d'Obama n'a pas saisi la nature fragile de la composition confessionnelle de la population syrienne, ni qu’une longue guerre civile va inévitablement conduire à la désintégration du pays.

Plus grave encore, la Maison-Blanche n'a pas compris que même s’il était possible de destituer Assad du pouvoir, ce serait insuffisant, car l’obstacle premier est l'appareil gouvernemental qui se bat à corps perdu pour sa survie.

D’autre part, les renseignements américains ont échoué à anticiper la prolifération des rebelles (dont les islamistes extrémistes étrangers) déclenchée par la prolongation du conflit. Ils ne voient pas, pourquoi le États arabes sunnites refusent les solutions qui les empêcheront de jouer les premiers rôles dans l'avenir de la Syrie, ni pourquoi le maintien d'Assad au pouvoir est vital pour le Hezbollah.

Dans ses efforts pour se conformer à la conférence de Genève II, l'administration Obama patauge dans sa quête d'une solution politique insaisissable. Pour les rebelles, Assad doit partir d’abord et que l’Iran soit exclu pour qu’ils y participent. Assad, quant à lui, exige la fin de toute aide extérieure aux rebelles avant que son gouvernement ne se mette à table.

Ironiquement, même si la conférence se tenait, aucune proposition ne satisfera tous les belligérants du conflit et la kyrielle de groupes rebelles ne voient pas du même œil, l'Iran, l'Arabie saoudite, la Russie, les États-Unis, la Turquie et les autres voisins immédiats de la Syrie.

Les États-Unis détiennent la clé du problème

Tant que la destruction des armes chimiques est en cours, Obama évite d'agir alors que le nombre de victimes tuées par les armes conventionnelles augmente. Ce sont plus de 120 000 tuées et plus de 4000 victimes chaque mois; et des milliers d'enfants meurent de malnutrition et de manque de soins médicaux.

En outre, 30 % de la population syrienne (près de 7 millions de personnes) sont devenus des réfugiés ou ont été déplacés alors que la communauté internationale reste de marbre devant la catastrophe en cours.

S'il existe encore une infime chance de mettre fin à cette horrible guerre civile en Syrie, il faut que l'équilibre des forces sur le terrain entre les rebelles et le gouvernement change radicalement et immédiatement; et seuls les États-Unis en sont capables.

L'Armée syrienne libre et les autres groupes rebelles reconnus doivent être armés afin qu’ils puissent combattre et regagner le terrain perdu. Ainsi Assad prendra au sérieux l’éventualité d’être tué s’il ne démissionne pas.

Le manque de leadership américain a offert au président russe Vladimir Poutine un rôle de premier plan, tout en démontrant sa fiabilité allié, ce qui met la Russie dans une position centrale pour déterminer l'avenir de la Syrie selon ses propres termes.

La tragédie qui frappe le peuple syrien montre l'horreur engendrée par le manque de leadership américain. L'administration Obama s’est montrée incapable de comprendre la nature du régime Assad et son comportement prévisible.

Qu'on le veuille ou non, les États-Unis sont toujours le point d’ancrage de la stabilité mondiale et lorsque qu’une administration américaine échoue, en manquant de vision et de stratégie, à endiguer les grands conflits avant qu'ils ne soient hors de contrôle, les conséquences peuvent être désastreuses.

Dr Alon Ben-Meir est professeur de relations internationales au Centre for Global Affairs à NYU. www.alonben-meir.com

Version originale : Seven Principles Behind Assad’s Staying Power

Plus de 204 718 434 personnes ont démissionné du PCC et de ses organisations.