Opinion

Ces morts-vivants qui nous hantent!

Écrit par John Feffer
05.12.2013
  • Ce 2 novembre, jour des Morts, des surfeurs s’amusent sur la plage d'Ipanema, à Rio de Janeiro, au Brésil. Les Brésiliens célèbrent parfois la fête traditionnelle de l'Amérique latine en visitant les tombes de leurs proches, ce qui contraste avec la touche moderne de la Marche des Zombies organisée à proximité sur la plage de Copacabana. (Mario Tama/Getty Images)

J’ai pensé que ce n’était qu’un effet de mode qui s’essoufflerait. Je lisais il y a trois ans, dans le magazine Foreign Policy, un article de Daniel Drezner sur sa recherche «d'une théorie de zombies des relations internationales». Il a fini par publier ses recherches sous forme de livre. Franchement, c’est comme consacrer toute une classe universitaire à l’étude des paroles des chansons de Madona. Il suffit que je me dise qu’ils n’existent pas pour que les zombies disparaissent, non?

Eh bien, je me trompais. Non seulement les zombies ne meurent pas, mais notre fascination pour eux non plus.

Pour moi, la publication de Drezner s’était faite au moment où la fascination pour les zombies était à son apogée. Sauf que, depuis lors, nous avons embarqué avec Brad Pitt dans World War Z, dans la série télévisée à succès The Walking Dead, le jeu vidéo Pride and Prejudice et Zombies (d’abord roman de parodie, ensuite roman graphique et bientôt un film), le roman littéraire Zone One de Colson Whitehead, etc. Il faut croire qu’il y a un désir insatiable de zombification.

Toutefois, la question reste entière : pourquoi? Bien sûr, depuis des siècles, nous avons été fascinés par les vampires, les fantômes, les extraterrestres et le monstre du Loch Ness, mais pourquoi des zombies et pourquoi maintenant?

Comme Drezner, je m’intéresse aux implications de la politique étrangère de zombies. Contrairement à Drezner, cependant, je ne me soucie pas des subtilités de l'utilisation des zombies dans la théorie des relations internationales. Je suis plus préoccupé par la manière dont les changements politiques au niveau mondial retombent dans notre culture. Si nos rêves lèvent le voile sur les inquiétudes générées par notre vie quotidienne, notre culture, elle, expose nos angoisses au sujet de ce qui se passe dans notre monde.

Les morts-vivants dans le monde du divertissement

Prenons l’exemple du film Invasion of the Body Snatchers, qui est sorti en 1956, à l'apogée de l'hystérie anticommuniste aux États-Unis. Dans le film, des extraterrestres viennent s’installer discrètement en Californie, où ils se mettent à la conquête du monde en créant des répliques identiques des personnes, mais dépourvues de leurs émotions humaines. Peu de gens prennent la menace au sérieux. Je doute que les cinéastes aient projeté leurs craintes d'Allen Ginsberg et des Beats s’emparant de San Francisco (Howl également sorti en 1956). Certainement que le film a trouvé un écho auprès du public en raison de l'environnement de la guerre froide dans laquelle il a été produit.

Comparée à celle des sorcières et des vampires, l’arrivée des Zombies dans la culture américaine est plus récente. Ce sont les cultes vaudous d’Haïti, elles-mêmes provenant de l’Afrique de l’Ouest, qui les ont ramenés aux États-Unis. Le premier film de morts-vivants est sorti dans les années 1930, et EC Comics nourrit le «zombie» dans ses bandes dessinées dans les années 1950. Les morts-vivants ont connu un regain avec le tristement célèbre Nuit des morts-vivants, film d'horreur de George Romero de 1968. Depuis lors, c’est une augmentation constante de films de zombie similaires, avec un pic important après les années 2000.

C'est cette explosion de la production au cours de la dernière décennie qui me captive vraiment. Pour moi, elle se situe à l’intersection de la triplette: guerre, pandémies et mondialisation.

Guerre et forteresses

Il faut tout d’abord savoir que les livres et les films de zombies ont tous trait à la guerre: eux contre nous. Rétrospectivement, il semble que nous nous battons contre les zombies depuis des siècles. Depuis la Seconde Guerre mondiale, nos films de guerre dépeignent des courageux combattants des hordes anonymes. Dans Bataan (1943), Robert Taylor termine le film derrière une mitrailleuse, face à une vague sans fin de soldats japonais.

Le million de volontaires chinois armés qui ont débarqué en Corée du Nord pendant la guerre de Corée ont souvent été présentés comme une «horde» intarissable de combattants. De même les Vietcong étaient implacables et apparemment indéboulonnables. Dans les deux guerres, les soldats américains et les téléspectateurs se retrouvent dans une situation déconcertante où nos alliés devenaient soudainement nos ennemis – les Sud-Vietnamiens en Nord-Vietnamiens, les Sud-Coréens en Nord-Coréens – après une «infection» inexplicable qui pourrit leurs cerveaux. Bien sûr, pour ces gens, ce sont les soldats américains les envahisseurs impénétrables, surgissant comme des zombies dans leur vie.

Les guerres coïncident avec une augmentation des films de zombies, et c’est particulièrement le cas après le 11 septembre. Al-Qaïda et ses kamikazes nous ont fait découvrir un autre adversaire dont le culte de la mort est semble-t-il différent du nôtre. Attaquée pour la première fois depuis Pearl Harbor, l'Amérique s’est imaginée encerclée d’ennemis. Même si la patrie n’était pas du tout cernée, l'administration Bush a mis les troupes américaines dans des situations où elles sont littéralement encerclées – en Afghanistan et en Irak.

Dans l’œuvre Zone One, les personnages principaux du roman de Colson Whitehead travaillent dans un service de nettoyage qui débarrasse Lower Manhattan de tous les zombies restants afin que les riches puissent repeupler la région. Les unités de l'armée occupent ce qui ressemble énormément à la Zone verte de Bagdad après la guerre d’Irak. Elles n'osent pas sortir des limites fortifiées de leur ville verte et elles ont constamment peur des intrusions. Comme les guerres de l'Amérique du XXIe siècle, ça risque de mal se terminer.

Les maladies mortelles

Heureusement, cependant, pour les Américains, les guerres se passent «au loin». Ce qui est beaucoup plus proche de chaque Américain, ce sont les pandémies: le sida, le SRAS et le SARM ainsi que leurs acronymes. Les pandémies, comme la grippe espagnole, viennent souvent après la guerre, avec le retour des soldats chez eux qui propagent de nouveaux et puissants virus.

L'horreur avec les maladies, c’est que les virus et les bactéries sont des invités aveugles: ils se soucient peu de savoir qui les héberge. Le voisin, le collègue sympathique qui vous prête volontiers sa tondeuse à gazon ou un escabeau, peut se révéler être un vecteur mortel. Que dire de ce type qui fraude dans le métro, ou cette dame en train d’éternuer sur les brocolis dans le rayon légumes du supermarché? Les épidémiologistes nous mettent en garde en permanence qu'une mutation mortelle de la grippe aviaire est pour bientôt, attendant le prochain vol pour nous rendre visite.

La mondialisation

Notre plus grosse peur aux États-Unis est liée à la mondialisation et à ses technologies. Oui, les guerres sont terribles, mais elles ne touchent qu'un très faible pourcentage de citoyens. Les pandémies sont une menace potentielle, mais nous pouvons compter sur le Centre de contrôle des maladies pour les combattre. La mondialisation, par contre, est là, elle est réelle.

Notre fascination pour les zombies est en partie une crainte de l’immigration qui est transposée (elle inspira la série Ugly Americans), de la Chine qui remplacerait les États-Unis comme première économie mondiale, des robots qui prendraient le contrôle de nos ordinateurs, des marchés financiers qui s’écrouleraient en quelques heures. Les zombies débordent tous les niveaux de contrôle, du local à l'étatique, en passant par le national et enfin l’international. À l’image de la mondialisation, les morts-vivants sont une force irrépressible et vorace. Le fin manteau de civilisation qui recouvre notre monde offre peu de protection – il suffit de se rappeler la Yougoslavie en 1992 – et nous savons à quelle vitesse il peut être arraché.

Le dernier blockbuster de zombies, World War Z, regroupe ces trois thèmes que sont la guerre, les pandémies et la mondialisation dans un hymne à l'internationalisme libéral. Brad Pitt y joue un ancien employé de l'ONU qui a travaillé avec succès dans certaines des régions les plus dangereuses du monde. Lorsque l'épidémie de zombie éclate, il utilise ses anciennes compétences pour sauver sa famille. Seuls deux pays au monde semblent avoir pu éviter les attaques: la Corée du Nord (parce que le régime a arraché les dents de toute la population dans les 24 heures suivant l'infection) et Israël (qui a construit un énorme mur protecteur). Les seules autorités restantes sont sur un porte-avions au milieu de l'océan, un secrétaire général adjoint des Nations Unies et un commandant de la marine. Elles confient à Pitt la mission de trouver l’origine de la peste.

C’est rassurant de voir l'ONU jouer un rôle héroïque dans ce blockbuster, après avoir été cantonné dans le rôle du méchant dans la série Left Behind. La construction de murs n’est pas une solution, car ces derniers finissent toujours par céder par une brèche. Les petites garnisons créées par l'armée sont incapables de vaincre les zombies.

C’est donc un membre du personnel des Nations Unies qui sauve la situation avec des fonctionnaires de l'Organisation mondiale de la Santé. Je soupçonne Angelina Jolie, qui a travaillé pendant des années avec le HCR pour les réfugiés, d’avoir eu son mot à dire sur cette transformation internationaliste du roman de Max Brooks, à la base beaucoup plus sombre et plus polyglotte. Pourtant, quand avez-vous vu un film populaire avec une bureaucratie mondiale triomphante où l’arsenal des armes militaires s’est révélé insuffisant? Peut-être que, finalement, ce film avec la foule de «des hélicoptères noirs» se tient.

Évidement World War Z se termine avec Brad Pitt entonnant: «notre guerre ne fait que commencer». C’est probablement vrai et pas uniquement dans l’éventualité d’une suite. Les morts-vivants reviennent toujours, comme un mauvais rêve ou comme une mode qui titube, mais avance inexorablement.

John Feffer est codirecteur de Foreign Policy In Focus (fpif.org).

Version originale : The Undead and Us