Les scandales sont la norme dans les acquisitions d'ordre militaire

Écrit par Matthew Little, Epoch Times
21.02.2013
  • L'acquisition du CH-148 Cyclone de Sikorsky, devant remplacer les Sea Kings, est qualifiée par plusieurs de la pire acquisition dans l'histoire canadienne. (Photo du MDN)

OTTAWA – Les acquisitions d'ordre militaire sont toujours controversées et les scandales ne sont pas prêts de s'estomper alors que le gouvernement prépare de nouveaux achats et que la technologie repousse sans cesse les limites du champ de bataille.

Les accusations d'incompétence et de désinformation fusent de toutes parts alors que les prix des avions et des hélicoptères explosent, mais peu reconnaissent à quel point les questions d'acquisitions militaires sont compliquées. Avec le vide créé par le silence du gouvernement, le cynisme règne.

L'achat de matériel militaire à la fine pointe, et maintenant de logiciels, est miné par les mêmes problèmes depuis des décennies. Le produit est toujours en retard, plus cher que prévu et rempli d'imperfections.

Cette tendance se poursuit avec deux récentes acquisitions : l'hélicoptère CH-148 Cyclone de Sikorsky qui doit remplacer la flotte vieillissante de CH-124 Sea Kings, et le F-35 de Lockheed Martin devant remplacer les CF-18.

Entre-temps, les forces armées du monde entier sont aux prises avec une révolution dans la conduite de la guerre, où le cyberespace est le nouveau champ de bataille et les techniciens en informatique sont les nouveaux Rambos.

La quantité de logiciels et d'informatique qu'on trouve dans la composition des chars d'assaut et des avions ajoute une dimension complexe à leur conception et à leur construction.

Avec l'avènement des robots et des drones, les liens de communication pour les contrôler deviennent de nouvelles cibles d'attaque. Ajoutez à cela des technologies perturbatrices, comme des armes à énergie dirigée et biotechnologiques, et les programmes d'acquisitions du passé apparaissent plutôt simples.

S'il y a une chose que l'expert en acquisition Randall Wakelam a pu conclure après des années d'études, c'est qu'il n'y a pas «deux acquisitions qui sont identiques, mais toutes ont ces vilains problèmes que quelqu'un doit tenter de résoudre le mieux possible».

M. Wakelam a travaillé au sein du bureau des acquisitions de la force aérienne en 1988 et 1989 pour tenter de remplacer les hélicoptères de la force terrestre. Il décrit les efforts de longue date pour remplacer les Sea Kings comme une «comédie tragique». M. Wakelam a pratiquement écrit le livre sur les acquisitions d'avions de chasse de la guerre froide et il est actuellement professeur au Collège militaire royal.

Alors que les forces armées sont de plus en plus interdépendantes, aucun achat ne peut être fait isolément, explique-t-il. Un programme dans lequel il était impliqué pour acheter des radios démontre l'ampleur du défi.

«On dirait qu'on aurait juste pu aller au Radio Shack et acheter un paquet de walkies-talkies, mais ce n'est pas si simple.» L'acquisition a pris des années à se concrétiser.

Les radios doivent fonctionner avec l'armée, la marine et la force aérienne. Et c'est encore mieux si elles sont compatibles avec celles des alliés. En cherchant à atteindre cet objectif, le processus d'acquisition est retardé et sous peu une nouvelle technologie est développée.

En recherchant l'avantage militaire, la défense veut obtenir la dernière technologie, ce qui affecte alors d'autres programmes d'acquisitions, comme les hélicoptères. Ainsi, les délais s'accumulent et une nouvelle technologie fait son apparition. C'est un cercle vicieux.

Si une commande a déjà été passée, comme dans le cas du Cyclone, alors des modifications doivent être apportées sur la chaîne de montage, ce qui augmente les coûts et occasionne des délais.

Alors que seulement deux études se sont penchées sur les acquisitions d'ordre militaire au Canada, aux États-Unis, où s’effectue près de la moitié des dépenses mondiales en défense, le processus d'acquisition est scruté à la loupe.

«Notre processus d'acquisition de systèmes d'armes est un scandale perpétuel», indique un rapport de Mark Cancian dans un article de la Defense Acquisition University américaine.

Tout comme au Canada, les scandales débutent avec des compagnies trop optimistes. Les fonctionnaires de la défense sont heureux d'accepter des prix trop bas et des échéanciers trop courts.

Mais comme le souligne M. Cancian, «Il est impossible de produire une Ferrari pour le prix d'une Chevrolet, peu importe ce que prétend le vendeur».

L'ancienne vérificatrice générale, Sheila Fraser, a souligné ce point dans son examen de l'acquisition des Cyclones, blâmant les fonctionnaires de la Défense d'avoir accepté des coûts artificiellement bas pour ensuite se procurer des options additionnelles.

Selon M. Wakelam, un autre problème est le manque de savoir institutionnel. Le personnel clé change de ministère et ainsi celui qui a fait l'acquisition d'avions de chasse il y a dix ans s'occupe désormais d'acheter du matériel de voirie.

Ceci signifie que le nouveau personnel doit apprivoiser la même courbe d'apprentissage que leurs prédécesseurs, ce qui augmente les délais.

«Soyez assurés qu'il ne s'agit pas d'incompétence – c'est plutôt un désir d'être à la fine pointe», estime M. Wakelam.

Mais certains, comme le critique du NPD en matière d'acquisition d'ordre militaire, Matthew Kellway, sont d'avis que le Canada doit s'en tenir aux technologies existantes.

«C'est une erreur évidente que de mettre en jeu l'argent des contribuables sur des projets de développement, parce qu'en fin de compte on ne sait pas s'ils vont fonctionner», affirme-t-il.

C'est un point que soulèvent souvent les critiques des acquisitions ayant dérapé : plutôt que de gaspiller le budget militaire sur de nouvelles technologies, il vaut mieux acheter la meilleure solution disponible immédiatement qui a fait ses preuves sur le champ de bataille.

Il s'agit là d'une des recommandations principales d'un rapport publié récemment par l'Institut Rideau et le Centre canadien de politiques alternatives au sujet de l'acquisition du Cyclone.

Le titre du rapport, The worst procurement in the history of Canada (la pire acquisition dans l'histoire du Canada), est tiré d'une citation du ministre de la Défense, Peter Mackay. Les deux cercles de réflexion progressistes demandent au gouvernement de considérer d'autres hélicoptères sur le marché et de faire pression sur le fabricant Sikorsky.

Transparence

Plus important encore, affirme le coauteur Michael Byers, le gouvernement doit faire preuve de plus de transparence sur la question des acquisitions.

La question de la transparence dans les récentes acquisitions a été soulevée par pratiquement tout le monde et par tous les rapports, dont deux vérificateurs généraux, le directeur parlementaire du budget, plusieurs cercles de réflexion et Randall Wakelam. Ce dernier dit être «absolument d'accord» quant au besoin de plus grande transparence.

«Je crois que c'est un point critique», affirme Matthew Kellway. «Au bout du compte, on ne sait pas ce qui se passe dans les coulisses.»

Tout cela prend une plus grande importance alors que le gouvernement amorce le plus vaste programme d'acquisition dans l'histoire canadienne, alors qu'il dépensera près d'un demi-trillion de dollars en vingt ans.

M. Kellway affirme que même ce chiffre est artificiellement bas. «Nous savons que ce chiffre est infime en comparaison avec le vrai coût des dépenses.» Selon lui, le coût de chaque projet est toujours présenté trop bas, soulignant en exemple le cas des F-35.

La semaine dernière, M. Kellway a fustigé la ministre des Travaux publics, Rona Ambrose, au sujet des acquisitions militaires. Mme Ambrose a répliqué en vantant les avantages économiques de ces acquisitions. Cet échange a souligné un autre facteur qui complique les achats militaires : la politique et les retombées économiques.

Afin de maximiser les retombées de ses acquisitions militaires actuelles, le gouvernement espère imposer une stratégie de dernière minute sur ses dépenses actuelles.

Conseils d'un groupe d'experts

À cette fin, il a mis sur pied un groupe d'experts dirigé par Tom Jenkins, un conseiller spécial de Mme Ambrose.

Dans un rapport publié la semaine dernière, le groupe souligne que dans la plupart des acquisitions de matériel devant être finalisées ces prochaines années, le temps est le facteur crucial. Le gouvernement est déjà critiqué par des experts pour ne pas avoir établi de stratégie depuis le dévoilement de la Stratégie de défense Le Canada d'abord, qui annonce le besoin d'effectuer de nouvelles acquisitions, il y a maintenant quelques années.

Le groupe d'experts suggère l'établissement d'une liste temporaire de secteurs industriels importants que les acquisitions devraient tenter de soutenir.

Le rapport indique que les entrepreneurs de contrats en défense ont bien réussi, mais aucun d'eux n'aurait pu démarrer sans l'obtention d'un contrat du gouvernement.

Cette préoccupation pour les retombées économiques cause des délais supplémentaires aux processus d'acquisitions. Tout comme les mesures mises en place pour s'assurer que les forces armées n'achètent pas le mauvais produit. M. Wakelam affirme qu'une des choses qu'il a apprises alors qu'il travaillait au sein du bureau d'acquisition est que le système entier est orienté afin d'éviter d'acheter le mauvais équipement.

Ce système comprend de nombreux niveaux d'approbation et de révision, et ça prend du temps.

Entre-temps, les exigences imposées aux commandants militaires ne cessent d'augmenter. Depuis la Guerre du Vietnam, les pertes humaines sont devenues intolérables et l'attrition une question de répulsion.

La technologie avance à grands pas, avec des drones de la taille d'un insecte (développés par la Defense Advanced Research Projects Agency) et des exosquelettes robotiques autonomes développés par l'Université de Californie à Berkeley.

Le Parlement étudie la question des technologies perturbatrices et la révolution dans les affaires militaires depuis au moins l'an 2000. Entre-temps, certains rapports suggèrent que l'équipement militaire est devenu tellement dispendieux qu'il va pousser le Pentagone à la faillite.

Le programme d'Avion de combat interarmées avait été créé essentiellement pour rééquiper les flottes occidentales tout en évitant la spirale habituelle des programmes d'avions de chasse  : les prix montent, les commandes baissent et les productions de masse ne peuvent atteindre leur rentabilité. Alors les prix montent encore, les commandes baissent encore. C'est un cercle vicieux.

En somme, alors que la conduite de la guerre devient plus dispendieuse, les processus d'acquisitions d'ordre militaire s'étirent. Les délais occasionnent d'autres délais et les coûts augmentent. Alors que les solutions se font rares, une chose sur laquelle tous s'entendent est que le gouvernement doit mieux expliquer les achats militaires aux contribuables qui au bout du compte paient la note.

Des questions à ce sujet envoyées au ministère de la Défense nationale ont été transférées à Travaux publics, avant d'être retransférées à la Défense. Une agente de relations publiques a indiqué à Epoch Times qu'elle tentait de trouver quelqu'un pour discuter de la question.

Version anglaise  : Scandals the Norm in Military Buys