La fin d’une ère industrielle en France?

Écrit par David Vives, Epoch Times
27.02.2013
  • Les hauts-fourneaux de l'aciérie d’ArcelorMittal, le 30 novembre 2012, à Florange dans l’est de la France. (AFP PHOTO/Jean-Christophe Verhaegen)

«On est en fin de course du capitalisme basé sur la consommation de biens domestiques. Ce n’est pas une crise, c’est une rupture. Ceux qui resteront dans le contrôle, la gestion par les chiffres et les structures pléthoriques ne survivront pas», déclarait récemment Jean-François Zobrist, directeur général des fonderies FAVI créées depuis 1957 dans la région picarde. Le ralentissement économique qui continue de s’accentuer, la récession de la zone euro qui guette à l’horizon, et les plans de licenciements sociaux se suivant et se ressemblant, le modèle industriel français ne cesse d’alimenter les colonnes de l’actualité.

À en croire les nouvelles, l’industrie française, qu’on présente parfois comme une vieille dame malade, vit des jours bien difficiles. Il y a 15 ans, la part de l’industrie dans le PIB était de 22%. Aujourd’hui, elle représente 16% et ne cesse de décliner, les prévisions pour 2013 n’inspirant guère de réjouissement. François Hollande déclarait début février que le chômage, très impacté par les fermetures d’usines successives, devrait continuer sa progression au cours de l’année. Les prévisions de croissance de 0,8% pourraient bien être ramenées à 0,4%, là où Bruxelles ne voit que 0,1%, impliquant une marge de dépenses encore plus serrée pour le gouvernement.

Cependant, d’autres types d’industries, différentes du modèle de production à la chaîne des dernières décennies, voient le jour en France. Le paysage industriel français est en effet un terreau de savoir-faire régional, de départements Recherches et Développement (R&D) réputés et d’entrepreneurs confiants et inventifs. Selon l’Insee, les investissements dans l’industrie manufacturière ont augmenté de 6% en 2012 et 74.000 ingénieurs y ont été recrutés en 2011, soit une augmentation de 25% par rapport à l’année dernière.

Le PIB de la zone euro en 2013 est annoncé à un niveau inférieur à celui de 2007. Dans ce contexte, les mesures prises à ce jour, quant à un nouveau modèle industriel, sont cruciales pour l’avenir. D’après l’économiste Christian Saint-Etienne, 2013 sera une année de rupture «inouïe» et «fascinante» telles les années de la révolution industrielle, mais aussi «violente que 1789 ou 1929». Que les bonnes mesures soient prises ou non, il est prévu de toute façon que ce sera une année de «rupture».

L’organisation et les limites du système

Les mesures récentes d’aides aux entreprises font gonfler jusqu’à une base de 60 milliards d’euros l’aide qu’apporte le gouvernement aux entreprises chaque année. D’après le cabinet Ernst et Young, celle-ci pourrait atteindre 100 milliards. Cependant, seulement 9% des PME, qui sont les entreprises les plus génératrices d’emplois, bénéficient de ces aides. De plus, seules trois entreprises sur dix jugent ces mesures efficaces. Une des raisons de ce flou artistique est qu’il existe à ce jour 6.000 dispositifs différents applicables pour des subventions de l’État.

Les subventions gouvernementales, comme la réduction des effectifs à travers des licenciements sociaux, visent à réaliser des économies pour permettre aux entreprises d’être plus compétitives, mais l’idée de perdre moins ou de faire plus d’argent n’est pas forcément gage de qualité et de croissance. Depuis les années 2000, les vagues de licenciements économiques se succèdent dans les industries automobiles françaises, et, pour autant, celles-ci n’ont pas amélioré leur compétitivité pendant cette période, signe de facteurs extérieurs intrinsèques à la baisse du système de production.

Aujourd’hui, la mondialisation et la recherche des plus bas coûts ont créé une situation très complexe. Les économies réalisées sur des produits fabriqués à l’étranger montrent ainsi leurs limites, tant en termes de développement social local que de limites écologiques. Prenons l’exemple de la petite salade de cresson choletais que l’on récolte en Pays de la Loire. Avec l’effondrement des salaires dans les services outre-Rhin, il est devenu moins cher de l’expédier par transport pour la conditionner en Allemagne, puis de la réexpédier en France, plutôt que de payer au smic des employés français pour le faire. De même, les crevettes pêchées en Mer du Nord sont décortiquées au Maroc (quand ce n’est pas en Thaïlande), pour finir aux Pays-Bas. En Europe, la réalité regorge de ces contradictions logistiques, défavorisant la main-d’œuvre locale qualifiée, sans parler de la facture à régler pour l’environnement et la qualité finale d’un produit qui a fait des milliers de kilomètres.

Repenser la production, rééquilibrer l’économie et l’humain

Le rapport Gallois rendu en novembre 2012 constatait une perte de 30% concernant la valeur ajoutée industrielle dans notre pays. Pourtant, le savoir-faire français est une valeur mondialement reconnue et les grosses entreprises françaises sont également plébiscitées à l’étranger. Pour beaucoup d’entreprises, pousser au maximum le rendement des employés – ou des machines – semble être un moyen pour faire diminuer les coûts de production. Puis, quand les carnets de commandes ne se remplissent pas, tout l’appareil industriel doit tourner au ralenti. En 2012, la surproduction industrielle a été largement répandue, du fait de la baisse de la consommation des Français.

D’après Alexis Nicolas, expert en management 2.0, l’amélioration de la compétitivité doit se traduire par des ajustements basés sur la définition d’un double équilibre: l’humain et l’économique. Plutôt que de chercher à réduire les coûts en diminuant les effectifs, l’idée est de travailler sur une production en flux. Toyota par exemple, qui utilise les modèles japonais de production et de qualité, favorise le «juste-à-temps», c’est-à-dire «produire ce qui est nécessaire, quand cela est nécessaire, et pour la quantité nécessaire».

Comme le révèle Fast magazine, «un nombre de sociétés, dont Microsoft, Patagonia ou Toyota, ont pris conscience que créer un environnement favorable aux flux permet aux gens d’avancer dans de meilleures conditions et d’améliorer la productivité et la satisfaction au travail».

«Les équilibres économiques et humains sont imbriqués l’un dans l’autre», souligne Alexis Nicolas. La compétitivité, telle qu’on la conçoit, la recherche du rendement maximum n’est plus adaptée à l’état de consommation dans une société moderne développée et ne tient pas compte de la réalité des facteurs humains et environnementaux.

L’innovation, clef de réussite pour un nouveau modèle

Pourtant, il y a aussi des modèles qui réussissent. Dans l’agroalimentaire, l’aéronautique ou le luxe, la France réussit. C’est aussi le cas pour certaines pointures du CAC40: Essilor International, EADS, Pernod Ricard ou L’Oréal.

Le rapport de Génération Expat (laboratoire d’idées des Français à l’étranger) déclare que «la dérive de l’industrie française face à ses concurrents n’est pas une fatalité inéluctable». Le rapport met en valeur l’idée qu’un savoir-faire peut toujours évoluer et s’adapter, et que de nouvelles solutions peuvent émerger. L’exemple de l’entreprise Thuasnes, située à Saint-Etienne, est cité dans le rapport. Cette société, fondée en 1847, fabriquait des tissus élastiques pour bretelles et jarretelles. Après la Seconde guerre mondiale, son dirigeant, Maurice Thuasnes, face à la disparition de son entreprise, décide de se réorienter vers la fabrication de matériel médical, comme des ceintures et orthèses médicales. Finalement, son entreprise est devenue une marque reconnue au niveau européen employant 1.200 salariés.

On trouve également d’autres reconversions réussies: Oberthur Fiducaire, une entreprise créée en 1842, et spécialisée dans l’impression de calendriers, d’almanachs et d’agendas populaires à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Sentant le vent tourner, l’entreprise a recyclé son savoir-faire pour imprimer des chèques et des obligations. Aujourd’hui, 70 banques centrales font appel à ses services et l’entreprise imprime 3,5 milliards de billets de banque par an, ainsi que 1,5 milliard de documents sécurisés.

Les exemples réussis d’adaptation au marché ne manquent pas. Le paysage industriel français est riche d’entreprises qui réussissent à s’adapter au marché en changeant leur mode de fonctionnement. «L’industrie joue un rôle social éminent, ce sont les manufactures qui fixent les populations, irriguent les territoires et ce sont les entreprises qui entraînent les autres secteurs d’activités, elles sont les locomotives de notre économie et la colonne vertébrale de notre territoire», précise Jennifer Pizzicara, secrétaire général à la fondation Concorde.

La qualité de la main-d’œuvre française, l’excellence des écoles, ainsi que les savoir-faire traditionnels sont les atouts majeurs dans la recherche d’un nouveau modèle industriel qui fera succéder à l’ère énergivore de la surproduction et de la surconsommation, un concept basé sur l’économique, l’écologique et l’humain.

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