L’éducation gratuite ou à rabais

Écrit par Mathieu Côté-Desjardins, Epoch Times
05.03.2013

  • Près de 10 000 manifestants étaient dans les rues de Montréal pour manifester contre l’indexation de 3 % des frais de scolarité, le mardi 26 février. (Georges Su/Époque Times)

La semaine dernière, le Sommet de l’enseignement supérieur s’est conclu en laissant des milliers de mécontents. L’indexation des frais de scolarité de 3 % (hausse graduelle d’environ 70 $ par année) a été annoncée par le gouvernement Marois. Si l’évènement s’était terminé par la gratuité scolaire, aurait-on retrouvé dans la société québécoise un vent d’épanouissement global?

Qualité de l’éducation

Dans un contexte où la gratuité scolaire pourrait être offerte à tout un chacun, peut-on être d’accord avec l’affirmation  «ce qu’on ne paie pas n’a pas de valeur»? Cet énoncé est l’essentiel de l’argumentaire de Louis-Joseph Papineau, chef du Parti patriote et d’autres politiciens, en 1829, dans le processus de la création des écoles primaires et secondaires.

«Si on avait adopté cette logique, on paierait encore pour l’école primaire et secondaire», affirme le journaliste et professeur à la retraite du milieu de l’éducation, Jean-Pierre Proulx. Selon lui, la valeur ne réside pas dans le prix payé pour une formation, mais bien dans l’effort qui est investi dans cette dernière. «C’est comme pour un alpiniste. Le coût de son équipement et de ce qu’il a appris n’a pas d’importance au bout de la ligne. Ce qui ressort, c’est l’exploit accompli. C’est la même chose en éducation. La vraie valeur, c’est le défi que représente le succès que l’on veut obtenir», assure M. Proulx également ancien président du  Conseil  supérieur de l'éducation (2002-2006) ayant eu comme fonction de conseiller le ou la ministre sur toute question relative à l'éducation.

«La gratuité scolaire fait miroiter une certaine générosité, une grandeur d’âme, mais elle viendrait avec son lot de règles, beaucoup plus contraignantes qu’aujourd’hui», fait remarquer Jocelyn Maclure, professeur en philosophie à l’Université Laval. M. Maclure a également été analyste expert et rédacteur pour la Commission Bouchard-Taylor (2007-2008) sur les pratiques d'accommodement de la diversité culturelle et religieuse.

«Il y aurait des règles pour réguler le nombre d’années aux études, d’autres pour limiter le temps afin de faire ses preuves. C’est le cas dans les pays scandinaves. C’est beaucoup plus difficile d’avoir accès à un programme de notre choix, c’est beaucoup plus compétitif et sélectif. Plusieurs se contentent de leur troisième ou quatrième choix. On n’aurait pas le choix d’en arriver à un système comme ça. Tout ça pourrait avoir des résultats très loin des intentions des promoteurs de la gratuité aujourd’hui», soutient M. Maclure.

La gratuité ne semble pas garante de la qualité de l’enseignement non plus. Étonnamment, dans les cent premières universités classées dans le World University Rankings 2012-2013, les seules universités des pays scandinaves qui parviennent à se classer viennent de la Suède et se fraient une place en 42e position (Karolinska Institute) et en 82e position (Lund University). Quant au Canada, on y retrouve en 21e position, l’Université de Toronto; en 30e position, l’Université de Colombie-Britannique; en 34e position, l’Université McGill; en 84e position, l’Université de Montréal. Les premières places du palmarès sont occupées par les États-Unis et le Royaume-Uni. L’étude est produite par l’agence internationale Thomson Reuters et compte plus de 400 universités de par le monde. Thomson Reuters est une société d'édition professionnelle et une agence de presse canadienne.

  • (攝影: / 大紀元)

Pour rebondir sur le point soulevé par Jean-Pierre Proulx concernant l’effort et le gain, M. Maclure affirme que certaines disciplines pourraient devenir beaucoup plus exclusives et réservées, pas nécessairement aux plus riches, mais aux plus talentueux, aux plus performants. À son avis, voilà une conséquence un peu surprenante et décevante pour ceux qui militent pour la gratuité scolaire.

«C’est normal de se préoccuper de l’impact des droits de scolarité et de l’endettement, mais si notre objectif est l’égalité des chances, il faut aller et commencer dès la petite enfance. […] Il faudrait revoir de fond en comble nos standards, et ce, en amont dès la maternelle. Ce sera une adaptation plutôt difficile pour un système scolaire qui a tendance à relâcher ses exigences. Si on ne veut pas faire de compromis, si on ne veut pas laisser de côté notre quête de qualité de l’éducation, il faudrait récompenser l’excellence davantage qu’aujourd’hui», tranche M. Maclure.

Techniciens demandés

«N’oublier personne» fait généralement partie de l’esprit d’un pays en santé socialement. En voulant favoriser tout le monde avec la gratuité scolaire, les intérêts collectifs pourraient risquer d’être confondus. Le professeur retraité en administration et fondement de l’éducation à l’Université de Montréal, Manuel Crespo, pense qu’on passe à côté d’un enjeu fondamental, celui des techniciens. «Une politique tous azimuts de diplomation universitaire peut faire oublier que l’on doit également former des techniciens de haut niveau. Le succès de l’Allemagne, par exemple, est en partie attribuable à une main-d’œuvre qualifiée au niveau technique. La question fondamentale est la suivante  : est-ce que tous doivent aller à l’université? Est-ce que tous peuvent réussir des études universitaires de calibre? Pour moi, la réponse à ces deux questions est non.»

M. Crespo constate qu’en Amérique latine la course à la diplomation universitaire produit à terme des chômeurs, car il n’y a pas suffisamment d’emplois de haut niveau pour tous les diplômés. «Ne serait-ce pas mieux alors de former de très bons techniciens?», se questionne-t-il.

L’expert en éducation et en créativité et auteur de renom international, Sir Ken Robinson, a dit dans une conférence intitulée Changing Education Paradigms  que l’on peut retrouver sur Internet : «Quand notre génération allait à l’école, nous étions retenus par l’histoire qui disait que si nous travaillions dur, nous aurions un diplôme qui nous permettrait de trouver un emploi. Nos enfants ne croient plus en ça. Et ils ont raison. Vous pouvez bien avoir un diplôme en lettres et sciences humaines, mais ce n’est plus une garantie. Et encore moins si le chemin qui vous y mène laisse de côté tout ce que vous trouvez vous-même important [traduction libre].»

La gratuité scolaire n’aurait pas le pouvoir de réduire l’écart entre les riches et les pauvres de la société. Au contraire, elle avantagerait la classe qui est déjà favorisée. «On y traite ces deux groupes également par cette politique», en arrive à l’évidence le professeur Maclure. Comme un camp est déjà en meilleure partance, les deux extrêmes continueraient d’exister.  

Un autre fossé entre les deux classes sociales opposées se ferait sentir par le système de prêts et bourses qui, sous une forme ou une autre, continuerait d’exister même dans un contexte de gratuité scolaire. «Les étudiants aux familles à faible revenu devront utiliser un système semblable à l’actuel programme de prêts et bourses pour financer leur subsistance  : transport, logement, nourriture. L’endettement étudiant existerait encore, même si la gratuité scolaire était décrétée», entend M. Maclure.

Engagements du passé

Pour plusieurs, conserver et cultiver un lien étroit avec son histoire et agir avec cohérence dans le futur peuvent être des indicateurs d’une plénitude sociale. C’est du moins ce que croit l’ancien président du  Conseil  supérieur de l'éducation, Jean-Pierre Proulx. Étant pour la gratuité scolaire, il rafraîchit la mémoire collective de ses engagements passés.

«Il existe le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels [entrée en vigueur en 1976] auquel le Québec a adhéré. Dans ce pacte, dans l’article qui touche l’éducation, on dit qu’on doit tendre vers la gratuité scolaire, d’abord l’établir au primaire et au secondaire, mais aussi tendre jusqu’au niveau universitaire. On a accepté d’adhérer à ce pacte international», soulève-t-il.

M. Proulx rappelle aussi le consensus sur la gratuité scolaire de 1960. «Dans le programme du Parti libéral du Québec à cette époque, on prônait la gratuité scolaire à tous les niveaux de la maternelle jusqu’à l’université. C’est d’ailleurs ce que Jean-Martin Aussant prône à l’heure actuelle avec son parti Option nationale. Au moment de la Commission Parent [commission royale d'enquête qui a pris le pouls de l'éducation au Québec dans les années 1960], lorsqu’on a étudié cette question-là, on a examiné la situation d’ici et d’ailleurs. Et, d’un point de vue de philosophie sociale, on en a conclu que la gratuité scolaire était souhaitable.»