Un film documentaire chinois expose «l’Auschwitz pour les jeunes» de l’ère de Mao

Écrit par Michelle Yu, Epoch Times
11.05.2013
  • Zeng Boyan, un ancien rédacteur en chef d’un journal, a interviewé Lin Xianjun, l’un des survivants de Dabao. Zeng a travaillé des années pour découvrir l’histoire de Dabao, avant que la réalisatrice Xie Yihui ne fasse le documentaire sur ce sujet. (Ai Xiaoming)

«Quand je mourrai, enterrez-moi sur le côté ensoleillé de la colline, parce que je crains le froid», cette phrase a été dite par un enfant, aujourd’hui sans nom et sans visage, il y a plus de cinquante ans à ses jeunes compagnons de détention. Pour les 4.000 à 5.000 jeunes détenus du camp de travaux forcés de Dabao, ce genre de demandes était monnaie courante, car les enfants faisaient face à la mort chaque jour.

Construit à la fin des années 1950 dans une zone montagneuse et reculée au sud-ouest de la province du Sichuan, ce camp était une copie des établissements de «réforme» pour les enfants sans-abri de l’ex-Union soviétique.

Habituellement âgés de 10 à 17 ans, les enfants aboutissaient dans ces camps parce qu’ils étaient sans abris, avaient commis de petites infractions comme le vol ou étaient les descendants de «contre-révolutionnaires», comme les intellectuels étiquetés de «droitiers». «L’éducation» qu’ils recevaient comprenait plus de dix heures de travail pénible par jour, suivi par des «sessions de lutte» politique dans la soirée.

La réalisatrice du film Xie Yihui avoue: «Un survivant m’a dit une fois, qu’à ce moment ils n’étaient plus des êtres humains. Ils étaient des fantômes. Leurs humanité étaient en grande partie détruite». Xie a travaillé avec un journaliste d’investigation afin de découvrir l’histoire oubliée de ces enfants et a fait un nouveau documentaire intitulé Les jeunes travailleurs enfermés à Dabao.

Les enfants étaient forcés d’exécuter de durs travaux agricoles ou d’autres travaux que même les adultes évitaient. Ceux qui travaillaient trop lentement étaient fouettés. Mais le pire était la faim. Les enfants affamés se faufilaient dans les villages voisins en quête de nourriture. «J’ai survécu en volant», a dit le survivant Wang Yufeng. «J’ai volé ma vie».

Cependant, nombreux sont ceux qui n’ont pas eu cette chance. Les enfants surpris en train de voler étaient sévèrement punis par les villageois également affamés: on leur coupait les doigts et on appliquait du piment sur les parties génitales. En ingurgitant tout ce qui avait l’air comestible, des cas de décès ou d’infirmité suite à la consommation de champignons vénéneux, de crabes crus ou de vers de terre n’étaient pas rares parmi les enfants de Dabao.

Si les jours étaient des cauchemars, les nuits étaient l’enfer. Pour ceux qui ne sont pas passés par les campagnes du Parti, comme la Révolution culturelle, les séances de la lutte politique qui caractérisaient l’ère de Mao sont inconcevables. Tout comme les adultes dans tout le pays, les enfants étaient encouragés, incités et forcés à identifier et dénoncer les «ennemies» parmi leurs amis et membres de la famille.

  • Xie Yihui, une réalisatrice de documentaires, a été fortement interpellée par le sort de milliers d'enfants envoyés au camp de travail Dabao, dans une partie reculée de la province du Sichuan. Elle a traqué les survivants et réalisé un documentaire à propos de leurs pénibles expériences. (Ai Xiaoming)

Les accusations étaient basées sur des lapsus ou une expression de visage incorrecte, mais les punitions étaient brutales. Des insultes verbales et des tortures collectives, appelés séances de lutte, étaient les plus fréquentes; la violence s’intensifiait rapidement car ceux qui étaient accusés de sympathiser avec les victimes devenaient eux-mêmes des cibles.

Les jeunes filles de Dabao avaient inventé des formes  de tortures qu’elles  utilisaient  les unes contre les autres au cours de ces sessions, telles que piquer les mamelons avec une aiguille ou frotter le vagin avec une brosse à dent.

En 1961, quand les enfants ont commencé à être libérés par groupes, au moins 2.600 parmi les premiers détenus étaient déjà morts. Yan Jiasen, un des survivants, raconte que douze enfants sont morts au cours d’une seule journée et que lui-même avait une fois été considéré comme mort, jeté sur un tas de petits cadavres et y avait passé toute la nuit inconscient. Yan se souvient: «J’ai été réveillé le lendemain par la pluie et j’ai rampé vers le camp».

Après la fermeture du camp en 1962, la plupart des survivants sont devenus des enfants travaillant comme des personnes «réformées», tandis que les morts ont été enterrés sans cérémonie près du camp dans des tombes sans noms. Aucun des décès n’a été officiellement enregistré.

Pendant longtemps, la seule personne qui essayait de dénoncer ces faits était Zeng Boyan, un ancien rédacteur en chef d’un journal, qui en 1958 avait été emprisonné à proximité dans un un camp de travaux forcés pour adultes. Ses efforts sont restés infructueux jusqu’au moment où Xie Yihui, une militante des droits de l’homme et productrice indépendante de documentaires, a lu des informations sur Dabao dans un des livres de Zeng et a décidé de l’aider à reconstruire l’histoire.

Ensemble, ils ont interviewé beaucoup de gens, des survivants et résidents locaux jusqu’aux gardiens du camp, et ont créé le documentaire intitulé Les jeunes travailleurs enfermés à Dabao. Le film a été présenté le 1er mai à Hong Kong et à Taiwan, ainsi qu’un autre documentaire Les femmes au-dessus de la tête du fantôme qui parle de tortures beaucoup plus récentes dans un camp de travaux forcés pour femmes au nord-est de la Chine. L’avant-première du lilm Les jeunes travailleurs enfermés à Dabao est prévue en septembre en Suisse et au Royaume-Uni.

La réalisatrice Xie Yihui prévoit également de rendre le documentaire disponible en ligne moyennant une redevance, dans le but d’atteindre un maximum de personnes et de créer un plus grand impact. «À travers ce documentaire, j’espère pouvoir dévoiler la vérité de ce moment de l’histoire afin de préserver l’histoire pour que les gens puissent en tirer une leçon», a déclaré Xie à la Radio internationale de Hollande.

«Les jeunes travailleurs de Dabao ne devraient pas rester dans des archives. Il devrait faire partie des changements sociaux et nous devrions utiliser la puissance de ce film pour mettre fin au système des camps de travaux forcés», a-t-elle précisé.

Ai Xiaoming, professeur et militant des droits de l’homme chinois, a commenté sur un blog que le camp de Dabao était l’Auschwitz pour les jeunes de la Chine et un rappel du génocide. Selon lui, «le témoignage des survivants dépasse les limites de la conduite humaine et leur effet est presque suffocant. Le film est un coup mortel au système anti-humain» des camps de rééducation par le travail en Chine, a-t-il déclaré.

Recherches: Jane Lin

Version en anglais: Chinese Documentary Exposes Mao-Era ‘Juvenile Auschwitz’

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