«Nous devons défendre la liberté de l’information»

Rencontre avec Christophe Deloire, directeur général de Reporters sans frontières

Écrit par David Vives, Epoch Times
15.05.2013
  • Christophe Deloire, directeur général de Reporters sans frontières (RSF). RSF soutient et protège les journalistes, et informe de la censure en alertant les autorités. (Amabilité de Reporters Sans Frontières)

La liberté de s’informer est un enjeu majeur. Alors que la société est de plus en plus complexe, avoir accès aux vraies informations devient vital pour comprendre le monde qui nous entoure et faire ses propres choix. Avec sa dernière campagne de sensibilisation montrant les patrons des plus grandes dictatures de l’information, l’Iran, la Russie, la Syrie, la Corée du Nord et la Chine, Reporters Sans Frontières a voulu rappeler lors de la journée mondiale de la liberté de la presse le 3 mai 2013 que près de la moitié de la population mondiale n’a toujours pas accès à une information libre. Même en France, pays des droits de l’homme et des libertés, classée aujourd’hui au 37ième rang mondial de la liberté de la presse, la politique et certaines formes de censures sont présentes au sein des plus grands médias. Pour en parler, Epoch Times a interviewé Christophe Deloire, directeur général de Reporters sans frontières.

Comment décrivez-vous l’état de la liberté de la presse en France aujourd’hui?

En 2013, la France est classée 37e sur 179 pays au classement mondial de la liberté de la presse publié par Reporters sans frontières (RSF). C’est dire que la situation est malheureusement loin d’être idyllique. Ce constat négatif est imputable au mode de nomination des dirigeants de l’audiovisuel public (le président de la République précédent, Nicolas Sarkozy, avait attribué cette compétence au chef de l’État), aux conflits d’intérêts qui portent trop souvent atteinte à l’indépendance de l’information, à des surveillances policières. S’ajoute à ces facteurs externes une culture journalistique qui fait la part trop belle à la proximité avec le pouvoir et dissuade trop souvent les journalistes de se comporter en watchdogs (chiens de garde) de la démocratie, selon l’expression de la Cour européenne des droits de l’Homme. Au goût du public, c’est-à-dire selon la conception des citoyens, le pluralisme est trop étroit en France. Pour autant, la France dispose d’un niveau de liberté de la presse dont malheureusement une faible proportion de l’humanité dispose aujourd’hui. On ne saurait absolument pas comparer la situation de la liberté de la presse dans ce pays avec celui de dictatures où l’on emprisonne, menace et parfois tue des journalistes. Les systèmes médiatiques des pays démocratiques ont sans doute des défauts, mais des appareils de propagande n’y piétinent pas, comme ailleurs, les vérités factuelles.

Y a-t-il des pressions sur les médias venant de la part de lobbys financiers ou des autorités françaises? Si oui, est-ce que cela entraîne une uniformisation des contenus?

Bien entendu, les propriétaires des groupes de médias, comme les annonceurs, c’est-à-dire les entreprises qui font vivre les médias à travers l’achat d’espaces publicitaires, peuvent parvenir à influencer les lignes éditoriales. Sans doute les entreprises privées ont-elles, de ce point de vue, plus d’arguments que les autorités, qui, non seulement, attaquent très rarement les contenus en justice et qui, d’autre part, n’ont pas de moyen de pression financier. En effet, les aides financières publiques à la presse (privée), très importantes en France en comparaison d’autres pays, ne sont pas versées en vertu de décisions discrétionnaires, mais selon des critères que l’on peut considérer comme objectifs. Et il faudrait n’avoir jamais écouté les radios publiques pour croire que leur contenu relève de la propagande étatique. L’esprit critique n’y est pas moins développé qu’ailleurs.

Il n’est toutefois pas faux que les contenus sont parfois, voire souvent, trop semblables dans les différents médias. Les journalistes, en France comme ailleurs, doivent résister à la tentation de propager leurs opinions, individuelles comme collectives. Si les magistrats disent le droit, si les clercs (religieux ou philosophiques) peuvent le cas échéant dire la morale, le bien et le mal, les journalistes sont là pour dire les faits et donner un large éventail de faits. Ils sont là pour dévoiler la réalité, qu’elle relève de l’actualité ou d’une réalité plus profonde à laquelle permettent d’accéder le reportage et l’enquête.

En 2008, l’opération que vous avez menée lors du passage de la flamme olympique à Paris a eu un très fort impact, en France comme en Chine. Vous avez été reçu par François Hollande avant son voyage en Chine et lui avez formulé un certain nombre de requêtes, concernant par exemple la libération de 29 journalistes et 69 net-citoyens actuellement incarcérés. Pensez-vous avoir été écouté et qu’elle a été, selon vous, la prise en compte par le gouvernement?

Comme d’autres organisations de défense des droits de l’Homme, Reporters sans frontières a été reçue par un conseiller du président de la République, pas par le président de la République lui-même. Nous avons en effet fait savoir que nous souhaitions qu’il aborde la question des 29 journalistes et 69 net-citoyens incarcérés pour avoir fait usage de leur droit d’informer. La Chine est malheureusement aujourd’hui la plus grande prison du monde pour les acteurs de l’information. Nous avons également demandé qu’il soulève le sujet épineux de la censure et de la cyber surveillance, qui sont aujourd’hui de plus en plus contestées en Chine. En témoignent les réactions à la censure des vœux du nouvel an du Nanfang Zhoumo.

La liberté de l’information subit en Chine de graves violations: outre la censure, les privations de libertés, les violences physiques, les menaces et le harcèlement: directives émanant du Bureau de la Propagande pour orienter la couverture médiatique, difficultés d’accréditation pour les journalistes étrangers, refus de visas. Le durcissement des régulations qui entravent le droit d’informer et le droit à l’information est une source majeure d’inquiétude, car il pourrait signifier une aggravation, à long terme, de la situation de la liberté de l’information en Chine. Le 16 avril 2013, l’organe chinois de réglementation des médias, l’Administration Générale de la Presse, Publication, Radio, Film et Télévision, a publié une nouvelle directive interdisant aux médias de publier des informations non autorisées en provenance de médias ou de sites Internet étrangers.

La Chine, qui fait partie des «Ennemis d’Internet» recensés par Reporters sans frontières, se classe au 173e rang sur 179 au classement mondial 2013 de la liberté de la presse établi par l’organisation.

On entend généralement parler dans les médias français de la croissance économique de la Chine, mais peu des conséquences sur la situation sociale et humanitaire en Chine. Par exemple, la situation des Tibétains, des Falun Gong, des Ouïghours, des Chrétiens mais aussi celles des avocats, des journalistes, des bloggeurs, des défenseurs des droits de l’homme persécutés, sans parler des expropriations, de l’environnement, de la corruption, des camps de travaux forcés, etc. On semble même oublier que la Chine est un régime communiste. Y a-t-il là une forme de censure de la part des médias occidentaux?

Je suis incapable de dire si les médias occidentaux évoquent suffisamment le mépris des droits des gens en Chine, mais il est vrai que la croissance économique fascine aux dépens de la préoccupation pour les droits civils et politiques. C’est un risque médiatique de montrer plus facilement les gratte-ciel qui s’élèvent, car cela fait de belles images, que l’accaparement des richesses par une oligarchie. Malheureusement, la télévision montre ce qui est visible à l’œil nu, or la réalité ne se réduit pas à ce qui est visible, et certainement pas à ce qui est le plus spectaculaire.

Il est évidemment essentiel que les médias du monde entier évoquent les atteintes aux droits de l’Homme sous toutes leurs formes et décryptent les systèmes de domination politique. Je suis d’ailleurs convaincu que l’avenir de la liberté de l’information se joue à Pékin, pas seulement pour les Chinois, mais pour l’ensemble de l’humanité. En effet, une concurrence entre des systèmes politiques est en train de s’établir. Si nous cédons à la fascination, si nous nous accommodons de l’idée qu’un «despotisme éclairé» au motif que c’est un modèle politique dans un monde globalisé, compliqué, alors nous encourrons le risque que dans des pays où jusque-là les citoyens étaient consultés, où ils participaient à la décision publique après avoir été informés par des médias libres, ces droits leur soient peu à peu retirés.

Le suffrage universel et la liberté de la presse sont indissociables, disait le célèbre Victor Hugo devant la Chambre. Tous ceux qui se laissent aller à la fascination ont-ils bien compris que le despotisme n’est jamais éclairé, qu’il défend toujours les intérêts de ceux qui sont au pouvoir contre tous les autres, nonobstant l’existence de quelques «idiots utiles» comme disait Lénine? Si nous voulons aujourd’hui un monde plus clair, plus transparent à lui-même, alors nous devons défendre la liberté de l’information en Chine.

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