Anglais | Chinois | Coréen | Français | Allemand | Espagnol | Japonais | Russe | Ukrainien | Hébreu | Roumain | Bulgare | Slovaque | Tchèque | Indonésien | Vietnamien
Faites un don

PATRICK BLANC: «Réconcilier l’homme avec les murs de la ville»

Écrit par Epoch Times
26.05.2013
| A-/A+
  • Patrick Blanc au jardin botanique d’Auckland, Nouvelle-Zélande, en décembre 2012. (Pascal Heni)

Vous êtes botaniste, chercheur au CNRS et l’inventeur du mur végétal. Vous essaimez partout dans le monde. À Paris au musée du quai Branly, mais aussi à Bangkok, Sao Paolo, Singapour, San Francisco, Tokyo entre autres… D’où vous est venue l’idée du mur végétal?

Cela remonte à quand j’étais ado. Je décorais des aquariums et j’avais remarqué que si on laissait tremper des racines de philodendron, cela faisait un filtre biologique qui éliminait les excès de nitrate dus aux excès de nourriture, aux déjections des poissons, etc.

Dans un aquarium, on met des filtres, on éclaire, on met des plantes, et on finit par créer un petit écosystème.Dans ce micro-écosystème, le philodendron absorbe les sels minéraux pour sa propre croissance. J’avais accroché une bouture au-dessus de l’aquarium et j’avais vu que la racine poussait et se ramifiait dans l’eau. Au départ, c’était pour faire un filtre biologique, pas pour faire un mur végétal! Comme le philodendron était grimpant, je l’ai accroché au mur avec des punaises au dessus de l’aquarium. Puis l’idée m’est venue de sortir l’eau de l’aquarium, de la faire ruisseler. Il y aurait plus de racines et cela améliorerait la fonction de filtre.

J’avais utilisé une planche en bois, que j’avais recouverte de film plastique, puis j’avais accroché des plantes, ce qui n’était pas parfait au départ. J’ai donc mis un grillage au début, avec des mousses comme substrat. Ca marchait, j’étais content! Puis j’ai utilisé des feuilles, de la tourbe, mais je voyais que tout ce qui était biologique se dégradait. Le but était alors de trouver quelque chose qui pouvait rester à la verticale sans se déformer.

C’est là que j’ai eu l’idée d’utiliser une serpillère. Sauf qu’au bout de trois mois elle pourrissait. Alors au lieu d’une serpillère en coton, biodégradable, j’ai opté pour un feutre non biodégradable, issu de vêtements recyclés en polyamide, cela avait le même pouvoir de rétention d’eau.

Pour recréer un milieu naturel, il fallait utiliser non pas du biodégradable, mais du non biodégradable! J’avais finalement trouvé ce substrat très fin, en même temps il diffuse très bien l’eau et retient les particules pendant que la racine se développe. Cela a été une création sur plusieurs années...

Les murs végétaux sont très en vogue actuellement. Quels sont les atouts?

Ils sont multiples. Le premier avantage est d’ordre psychologique, il apporte du bien-être. De mon point de vue, c’est la chose la plus importante. Car quand il y a quantité d’espèces différentes, des formes de croissance différentes, des couleurs différentes, des densités différentes, on a alors l’impression d’être face à un morceau de nature, une falaise dans les montagnes. Cela rappelle les Vosges, le Jura, les Alpes… Cela transforme les murs de béton artificiel et inertes des villes: tout à coup, on s’aperçoit qu’ils peuvent abriter la vie. C’est le plus important, d’après moi.

Après, il y a les arguments qui font vendre comme l’isolation thermique pour les façades, l’économie d’énergie réelle, la dépollution… Les plantes peuvent capter et transformer le COV, le benzène. Les bactéries, les champignons, au contact des racines, peuvent piéger des grosses molécules et les casser en petites molécules assimilables par les racines des plantes. C’est vrai, c’est tout à fait vrai!

Mais il ne faut pas se leurrer. Quand j’ai fait des murs dans les parkings, il est vrai que pour le volume d’un espace fermé, il peut y avoir un impact. De même, dans une ruelle très étroite, quand il y a peu de circulation d’air, ou encore dans des bureaux, il y a une action dépolluante. Mais dire qu’une ville entière pourrait être dépolluée par des murs de plantes, n’allons pas jusque-là…

Pour ma part, je pense que le plus important est de réconcilier l’homme avec les murs de la ville, lui montrer que les murs de la ville peuvent être des refuges de biodiversité.

Vous avez travaillé sur des projets plus diversifiés les uns que les autres. Quels sont ceux qui vous ont le plus marqué?

Plus le temps passe, plus des projets naissent dans des climats un peu extrêmes. J’ai fait un projet à Barheïn où il fait 55°C l’été, à Dubaï… Je mène parfois des projets dans des milieux froids comme à Berlin avec d’autres contraintes. En ce moment, je travaille avec Jean Nouvel à Sydney sur des façades de 150 mètres de haut avec des grands patchs de 20 à 50 mètres de haut, tout le long de la façade.

J’ai fait 250 murs dans le monde, je les adore tous. Sur chaque mur, il y a des plantes vivantes dessus, ils méritent d’être suivis. Pour la fondation Cartier, même s’il n’est pas grand, le mur a quand même 15 ans, il est passionnant parce qu’il est ancien.

Chaque mur est intéressant, et j’ai aussi des choses un peu challenge à réaliser.

Sur quels chantiers travaillez-vous actuellement?

Je n’avais rien fait à Paris depuis bien longtemps. Je viens de finir un truc très chouette rue d’Aboukir, sur une petite place. Je viens d’habiller un grand mur pignon de 20 mètres de haut sur 15 mètres de large. C’est une sorte d’hymne à la biodiversité avec près de 250 espèces! De plus il est orienté sud-ouest, ce qui est idéal à Paris dans nos climats un peu frais.

Avec Jean Nouvel, je suis sur un grand projet à Sydney. Puis aussi sur un projet à Kuala Lumpur, Singapour, Bali, Genève.

Vous intervenez non seulement sur les murs mais également sur des plafonds tapissés de verdure avec des plantes qui poussent du haut vers le bas?

Oui, effectivement. D’ailleurs, je vais faire au Grand Palais, pour L’Art du Jardin(1), un petit truc début juin. Je vais installer plusieurs lames ondulantes parallèles, avec des plantes qui retombent, comme les plantes épiphytes qui poussent sur les branches des arbres en forêt. Il y a des épiphytes dressées qui accumulent l’humus comme les fougères ou qui accumulent l’eau comme les broméliacées, et des épiphytes dégoulinantes qui pendent des branches. Là pour un plafond, je choisis des plantes qui dégoulinent complètement comme celles qui poussent sur des branches obliques en forêt tropicale.

Comment installe-t-on un mur végétal techniquement sans toucher au mur porteur?

Le mur végétal doit être isolé du mur porteur pour plusieurs raisons: avoir un coussin d’air déjà isolant pour le son et les températures, et pour que le mur puisse respirer. Cet espace de quelques centimètres peut également être rempli de matériau isolant.

Il faut trois éléments: un simple cadre métallique pour fixer la structure, une planche en bois, en PVC expansé ou en béton alvéolé d’1 cm d’épaisseur, en un matériau imputrescible, étanche, et sur lequel on puisse agrafer le feutre et les plantes. Puis des tuyaux percés, de quelques centimètres pour donner de l’eau 2-3 minutes 4 fois par jour. C’est très simple: le principal, c’est d’agrafer une serpillère sur une planche! (rires)

Quelles difficultés majeures rencontre-t-on dans l’élaboration d’un mur végétal?

Il n’y a pas de difficulté... Il faut être très vigilant sur la sécurisation de l’arrosage. Que ce soit de l’eau récupérée des toits, des eaux grises, ou de l’eau de la ville, il faut surveiller attentivement l’arrivée d’eau. Il faut également bien sécuriser le retour de l’eau quand elle est récupérée. Dans tous les murs que je fais, j’utilise des systèmes de récupération d’eau et de recyclage, il ne faut pas qu’il y ait de rupture dans le système. Donc il n’y a pas de difficulté, mais il peut y avoir des accidents.

Sinon, le climat, oui, peut constituer une difficulté. Il faut s’adapter. Par exemple, en Australie, je n’ai choisi que des espèces originaires du Sud-Est d’Australie. On peut choisir des espèces différentes selon la région ou le climat dans lequel on se trouve. On peut ainsi faire des compositions intéressantes, ce n’est pas trop difficile...

Au Japon, dans une petite ville de province, on m’a chargé de décorer le mur d’une station de train. Pour cela, nous allons partir trois jours en forêt autour de la petite ville, récupérer des fragments de plantes des collines alentour qui seront cultivées par les pépinières locales, pour être ensuite installées sur le mur. Il n’y a pas vraiment de difficulté. À 150 mètres de hauteur, il y a plus de vent, de soleil, donc il faut bien choisir les plantes, mais quand on est botaniste, ce n’est pas une difficulté, c’est plus un amusement.

Pour le climat parisien, quel type de plantes conseillez-vous en appartement sur un mur végétal?

Si vous allez rue d’Aboukir, vous verrez la liste des 250 espèces, elle y est apposée. Il y a tellement de choses qui peuvent êtres mises! Par exemple, à l’ombre, on peut choisir des fougères, des mahonias. Au soleil, des plantes plus fleuries, des arbustifs, des conifères nains qui sont d’excellentes plantes, aussi bien pour les zones sombres qu’éclairées.

En intérieur, il y a plein de fougères d’intérieur, des aracées – des philodendrons, anthuriums –, puis les ficus qui sont dans la nature des plantes qui poussent sur des pentes ou sur des arbres. Pour les zones basses humides avec un aquarium en dessous, il y a les aglaonemas par exemple.

Sur un balcon ou une terrasse, peut-on envisager un mur végétal aromatique décoratif?

En Bretagne, une amie, Noémie Vialard – qui a écrit l’ouvrage Jardinons à la verticale que j’ai préfacé –, m’a demandé un «mur à manger». On y a mis des plantes aromatiques qui poussent et repoussent toujours. J’ai donc sélectionné des variétés de thym, de romarin, d’estragon, de sauge… Comme ça, elle en coupe sans détruire la plante. En plus, cela sent très bon!

Pouvez-vous préciser votre idée selon laquelle les plantes se respectent entre elles et qu’elles cohabitent mieux avec certaines espèces que d’autres?

Les plantes ont des modes de croissance. Quand on les choisit, on doit mettre ensemble des plantes qui ont un mode de croissance identique, pour que leur développement soit harmonieux entre elles. Si certaines espèces de petites plantes aiment être ombrées, on peut, par exemple, mettre quatre ou cinq espèces arbustives au-dessus qui vont faire de l’ombre. Pour ma part, en tant que botaniste et chercheur, j’essaie de comprendre ces plantes. Il faut favoriser le fait qu’elles se respectent. On doit donc privilégier l’approche de mettre ensemble des plantes qui auront un développement harmonieux au fil du temps. Il faut choisir tel ou tel type d’association qui devrait donner de bons résultats d’après leur mode de croissance.

Voilà pour ce qui est de l’harmonie et du respect. Mais c’est le jardinier qui doit avoir cette notion-là! On ne peut pas le demander aux plantes, elles ne se sont pas installées elles-mêmes! (rires)

(1) L’Art du Jardin, Nef du Grand Palais, du 31 mai au 3 juin 2013.

Pour en savoir plus :

www.murvegetalpatrickblanc.com

Le Mur végétal, de la nature à la ville de Patrick Blanc aux éditions Michel Lafon.

Jardinons à la verticale de Noémie Vialard aux éditions Rustica.

Propos recueillis par Isabelle Meyer

Epoch Times est publié en 21 langues et dans 35 pays.

 

Plus de 204 718 434 personnes ont démissionné du PCC et de ses organisations.