Les conservateurs perdent un député qui ne reconnaissait plus son parti

Écrit par Matthew Little, Epoch Times
11.06.2013
  • Le député de l'Alberta Brent Rathgeber a démissionné du Parti conservateur en dénonçant le manque de transparence du gouvernement. (Matthew Little/Époque Times)

OTTAWA – La démission du député Brent Rathgeber du Parti conservateur le 5 juin a causé une onde de choc sur la Colline du Parlement.

Dans un article publié sur son blogue et intitulé I stand alone, M. Rathgeber accuse son ancien parti de s'être transformé en ce qu'il détestait autrefois.

Il a indiqué que la décision du gouvernement de ne pas appuyer son projet de loi sur la transparence de Radio-Canada et du secteur public est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.

Son intention de démissionner du Parti conservateur mijotait depuis longtemps et a fait surface lorsque sa relation avec le parti a commencé à se gâter il y a un an. Le député avait publié un article sur son blogue critiquant ce qu'il qualifie «d'opulence ministérielle».

L'article, intitulé Of Orange Juice and Limos, critique les coûts des heures supplémentaires pour les chauffeurs de limousine des ministres alors que la navette de la Colline du Parlement pourrait les accommoder. Les chauffeurs qui attendent leurs passagers engendrent des centaines de milliers de dollars en heures supplémentaires.

M. Rathgeber estime que le scandale des dépenses des sénateurs impliquant Mike Duffy et l'ex-chef de Cabinet du premier ministre, Nigel Wright, et la réponse du gouvernement sont «extrêmement troublants».

«Je me suis associé aux mouvements réformiste/conservateur parce que je croyais que nous étions différents, des gens de l'extérieur d'Ottawa arrivant en ville pour faire du ménage, pour promouvoir la transparence et l'obligation de rendre des comptes. J'arrive à peine à nous reconnaître et, pis encore, j'ai peur que nous nous soyons transformés en ce qu'autrefois nous ridiculisions.»

Ces derniers jours, les conservateurs ont tenté d'éviter les questions simples et directes de Thomas Mulcair au sujet du scandale. Les conservateurs accusent le chef de l'opposition de ne pas avoir avisé la police en 1994 lorsque quelqu'un avait tenté de le soudoyer alors qu'il était député libéral à l'Assemblée nationale. M. Mulcair n'a pas informé la police pendant 17 ans au sujet de l'enveloppe douteuse qu'on lui a offerte et qu'il a refusé de prendre, et qui, selon lui, contenait de l'argent.

M. Rathgeber a critiqué la tentative du gouvernement de tourner la page sur le scandale du Sénat en focalisant sur le geste de M. Mulcair.

«Mes électeurs ne se soucient tout simplement pas de ce que quelqu'un, qu'ils espèrent ne deviendra jamais premier ministre, a fait ou pas fait il y a 17 ans. Toutefois, ils sont intéressés par les relations entre un sénateur siégeant et l'édifice Langevin (Cabinet du premier ministre)», a écrit M. Rathgeber.

«Mes électeurs sont extrêmement déçus. Ils comprennent la faiblesse humaine, mais lorsqu'un groupe ne peut atteindre ses propres standards, on s'attend à un peu de regret et d'humilité et non pas à l'arrogance et à la maladresse.»

Ce n'était pas assez de juste faire mieux que les «libéraux scandalisés par les commandites», a-t-il écrit.

La tentative de M. Rathgeber de faire adopter un projet de loi qui dévoilerait les salaires des fonctionnaires recevant une rémunération de plus de 188 000 dollars a été affaiblie par des amendements du gouvernement ayant augmenté le seuil à 319 000 dollars, ce qui exclut donc plusieurs conseillers du gouvernement.

«C'est avec réticence que je suis arrivé à la conclusion inévitable que le manque de soutien du gouvernement pour mon projet de loi sur la transparence équivaut à un manque de soutien pour un gouvernement transparent en général. Le gouvernement a choisi d'éventrer mon projet de loi même si pas un seul témoin n'a témoigné au Comité sur l'accès en faveur des amendements visant à affaiblir le projet de loi initial.»

Selon lui, les audiences de comité pour son projet de loi, entre autres, sont une «comédie».

Dans son article de blogue et en conférence de presse à Edmonton le 6 juin, M. Rathgeber a tourné en dérision l'influence de certains membres du personnel du Cabinet du premier ministre qui ont la moitié de son âge, mais qui lui disent quoi dire autant à l'intérieur qu'à l'extérieur de la Chambre des communes. Dans son article, il affirme que les amendements à son projet de loi ont été adoptés à la demande des membres du personnel du Cabinet.

M. Rathgeber affirme que les députés ont cédé beaucoup trop de pouvoir au Cabinet du premier ministre et à son personnel.

«Les députés obéissants ne font que ce que leur disent les membres du personnel du Cabinet. Le fait que le Cabinet fonctionne de manière si opaque et sans supervision est un affront aux exigences constitutionnelles d'un gouvernement responsable et c'est aussi l'origine de l'actuelle débâcle Duffy/Wright.»

Le député a choisi de ne pas cibler directement le premier ministre, Stephen Harper, et de s'en prendre plutôt aux membres du personnel du Cabinet, une position qu'il a maintenue en conférence de presse à Edmonton.

«Je soutiens encore et j'ai beaucoup de respect pour le premier ministre, mais je continue à remettre en question les décisions et les gestes de beaucoup de ses conseillers», a-t-il écrit.

Lorsque les journalistes lui ont demandé comment il pouvait tracer une ligne entre le premier ministre et son Cabinet, M. Rathgeber a indiqué qu'il y avait 100 personnes dans le Cabinet et cela empêche M. Harper d'être au courant de tout ce qui se passe. Il dit croire totalement que M. Harper n'était pas au courant que Nigel Wright avait donné un chèque de 90 000 dollars à Mike Duffy pour qu'il rembourse des réclamations frauduleuses. M. Duffy s'est servi du fait qu'il avait remboursé les fonds pour cesser de coopérer avec l'enquête sur les allégations.

M. Rathgeber indique qu'il pourra désormais aborder les questions en Chambre de manière indépendante. Il a écrit et répété aux journalistes qu'il allait soutenir le gouvernement lorsqu'il est en accord et s'y opposer lorsqu'il ne l'est pas.

Maintenant qu'il ne doit plus suivre la ligne du parti, il va utiliser «librement son occasion durant la période de questions pour poser au gouvernement des questions pointues, mais justes, sur des principes qui, selon moi, sont encore chers à une majorité de conservateurs, mais qui semblent avoir été abandonnés, ou du moins compromis, par ce gouvernement au nom de l'opportunisme politique».

Ces principes comprennent un retour à un budget équilibré, limiter la taille et l'étendue du gouvernement ainsi que la transparence dans le fonctionnement du gouvernement, a-t-il écrit.

«Je comprends le rôle important du compromis en politique. En fait, j'ai fait un gros compromis dans la rédaction de mon projet de loi en établissant le seuil salarial beaucoup plus haut que nécessaire afin de minimiser la résistance institutionnelle. Toutefois, même en établissant le seuil beaucoup plus haut que n'importe quelle province qui tient une liste de ses fonctionnaires hauts salariés, cela ne pouvait être soutenu par un Cabinet qui refuse de divulguer combien il rémunère ses conseillers principaux.»

«Je peux faire des compromis, mais pas au point de ne plus me reconnaître moi-même. Je ne reconnais plus le parti que j'ai joint et dont les principes (du moins sur papier) me sont encore chers. Ainsi, puisque je ne peux plus être avec eux, je dois maintenant être seul.»

Avec sa démission, les conservateurs lui demandent d'abandonner son siège au Parlement et de se présenter dans une élection partielle. Cette requête est étrange venant des conservateurs, alors qu'ils ont profité dans le passé de députés ayant changé de parti et qu'ils ont voté contre un projet de loi émanant d'un député du NPD qui aurait rendu les élections partielles obligatoires pour les députés qui changent de camp. Toutefois, le projet de loi déposé par Peter Stoffer aurait permis aux députés de siéger comme indépendants sans avoir à aller aux élections.

Plusieurs conservateurs se sont dits surpris et déçus de la démission de leur collègue, et certains ont dit qu'ils comprenaient et respectaient ses raisons.

Plusieurs, dont Daryl Kramp, ont dit que les députés devaient être des joueurs d'équipe. M. Kramp a comparé la politique de parti à jouer au football.

«Nous voulons tous amener le jeu dans une certaine direction mais, à un certain point, quelqu'un doit appeler le jeu et ensuite il faut aller dans une direction particulière. Évidemment, si vous ne faites pas ça, vous ne pouvez faire avancer le ballon.»

«Parfois, il y a une force dans la diversité d'opinion, il n'y a rien de mal à cela. Cependant, à un certain point, on ne peut bouger dans 307 directions en même temps.»

Il dit que les députés ont leurs propres opinions, mais ils doivent quand même respecter les principes du système parlementaire basé sur les partis.

M. Kramp est cependant en désaccord complet avec l'opinion de M. Rathgeber selon laquelle le gouvernement conservateur a abandonné ses principes et qu'il n'est plus en faveur de la transparence.

«Franchement, je crois qu'il a complètement tort à ce sujet», estime-t-il.

Mark Warawa, le député conservateur ayant mené l'effort des députés de l'arrière-plan pour accorder plus d'importance aux députés individuels, a salué positivement le départ de son collègue. «Brent, tu es un homme intègre et tu vas nous manquer», a-t-il écrit sur Twitter.

Stephen Woodworth, qui a également soutenu cet effort, dit qu'il aurait appuyé le projet de loi original de M. Rathgeber.

M. Woodworth a dit que la décision de démissionner en tant que député et de se présenter comme indépendant dans une élection partielle revenait à M. Rathgeber.

«Personnellement, je crois que c'est un homme respectable et je pense que c'est bien de l'avoir au Parlement, mais c'est à lui de prendre cette décision.»

Version originale : Rathgeber Quits Party, Decries Loss of Principle