Anglais | Chinois | Coréen | Français | Allemand | Espagnol | Japonais | Russe | Ukrainien | Hébreu | Roumain | Bulgare | Slovaque | Tchèque | Indonésien | Vietnamien
Faites un don

Ces femmes invisibles et différentes

Écrit par Mathieu Côté-Desjardins, Epoch Times
13.06.2013
| A-/A+

  • La directrice générale et fondatrice de La Rue des Femmes, Léonie Couture (Gracieuseté de La Rue des Femmes)

«Même si plusieurs statistiques mentionnent qu’il y a plus d’hommes itinérants que de femmes, je n’y crois pas. Le phénomène des femmes sans abri est aussi important, mais il est seulement peu apparent», signale Léonie Couture de La rue des Femmes. Elle occupe aujourd’hui le poste de directrice générale de l’organisme. Cette féministe engagée et toujours active a constaté depuis longtemps que les services existants pour femmes sans abri étaient mal adaptés à leurs besoins, entre autres, parce qu’ils sont foncièrement différents de ceux des hommes.

La rue des Femmes est un organisme à but non lucratif fondé en 1994, venant en aide aux femmes en très grande difficulté devenues dans plusieurs cas des sans-abris ou qui risquent de le devenir. Mme Couture a été nommée Chevalière de l’Ordre national du Québec en juin 2012. Elle a notamment retenu l’attention par son intérêt marqué pour la santé relationnelle, angle d’approche révolutionnaire qui veut que le lien que la personne a avec elle-même et les autres soit primordial à considérer et à soigner. Environ 70 % des femmes qui passent à La rue des Femmes se réadaptent à une vie en société.

«Il y a 6 ou 7 ans, nous avons accueilli une jeune femme toxicomane. Enfant, elle a été adoptée, elle a été maltraitée, abusée, bref tout ce qu’on peut faire comme mal à un enfant, elle l’a vécu. À 11 ans, elle a réussi à alerter un adulte qui l’a sortie de sa famille. Arrivée en maison d’accueil, ç’a été difficile, puisque c’était un enfant qui avait vécu des choses tellement graves qu’elle était souvent en fugue. À 16 ans, on lui a rendu “sa liberté”. C’est à la sortie du centre d’accueil que ses problèmes de drogue ont commencé. Déjà à 13 ans, elle avait été enceinte et on lui avait enlevé son bébé, tout comme à l’âge de 16 ans. À 23 ans, le scénario se répète. La DPJ lui a pris son bébé. Elle s’est retrouvée en prison peu de temps après. Nous avions à ce moment un bon lien avec elle, on lui parlait tous les jours. Elle a pu aller en désintoxication. Nous étions toujours présents. Elle a finalement pu retrouver et vivre avec son enfant quelques années après», expose Mme Couture.

Besoins biologiques

  • La Maison Olga dispense des services de soutien et des activités structurantes ainsi qu’un programme d’accompagnement dans la communauté. De plus, elle dispose d’un centre d’hébergement avec vingt chambres individuelles et trois places d’accueil pour des situations d’urgence.(Gracieuseté de La Rue des Femmes)

En pensant aux spécificités qu’entraîne une grossesse, le premier besoin essentiel qu’on peut associer aux femmes, qu’elles soient à la rue ou non, est celui de l’importance d’un espace intérieur. Dans la même veine, la rue peut être une plus grande menace pour les femmes que pour les hommes, ne serait-ce que pour le risque de tomber enceinte, les viols, les rapports non protégés, la prostitution, etc. «Les moyens contraceptifs ne sont pas toujours à leur disposition. La prostitution est trop souvent un moyen de survie. L’arrivée d’une grossesse, désirée ou non, amplifie leurs problèmes et commande des services adaptés», nous apprend le document Analyse différenciée selon les genres, disponible sur le site Internet de La rue des Femmes.

«Si elles ne sont pas enceintes, il y a toujours cet autre défi que sont les menstruations», fait remarquer Mme Couture. Il est compréhensible qu’elles n’aient pas les conditions pour vivre dans des refuges mixtes.

Si elles ont des enfants, ces femmes itinérantes voient apparaître une nouvelle couche de difficultés qui vient s’ajouter aux autres. «Alors que beaucoup d’hommes itinérants se contentent d’une chambre pour se loger hors de la rue, quitte à manger ailleurs, les femmes visent un logement où elles pourront préparer leurs repas et possiblement recevoir leurs enfants pour celles qui en ont», révèle le document portant sur la différence entre hommes et femmes itinérantes.

«La question de l’alimentation chez les femmes est particulièrement complexe. Il y a évidemment la malnutrition, mais différents troubles spécifiques tels que la boulimie et l’anorexie, qui peuvent survenir à tous les âges», y lit-on également.

Invisibilité

L’expertise du terrain recueilli par différents intervenants de La rue des Femmes fait ressortir que l’invisibilité est une caractéristique inextricable chez les femmes démunies, à la grande différence des hommes qui pour la plupart sont plus à l’aise à se regrouper. «Elles sont même difficiles à repérer dans le tissu urbain. Leur réflexe d’isolement s’explique par la peur et la méfiance qu’elles ont envers les autres, ainsi que la honte et la perte d’estime d’elles-mêmes.» Comme le fait remarquer Mme Couture, «c’est une des principales raisons qu’un grand nombre de femmes ne figure pas dans les statistiques sur les personnes itinérantes.»

Un exemple frappant d’invisibilité des femmes sans-abri se trouve dans l’aspect vestimentaire. L’expérience de spécialistes œuvrant pour La rue des Femmes a fait remarquer qu’on reconnaît plus souvent les hommes itinérants comme ils n’ont pas le même souci de l’apparence et de propreté que les femmes. Le service de la buanderie du RDF et le comptoir vestimentaire (plus de 30 000 dons par an) sont très fréquentés.

Violence interne et externe

«La complexité et la violence qui augmentent dans notre société ne peuvent faire en sorte d’aider la femme itinérante. C’est extrêmement difficile de s’adapter à la rue pour elle», s’exclame Léonie Couture. On constate dans l’analyse des professionnels travaillant à la RDF que la transformation des qualités féminines (douceur, accueil de soi et de l’autre, écoute, compassion, etc.) sont souvent déformées pour s’adapter à l’adversité présente dans les rues. «Pour survivre dans la rue, une femme doit se couper non seulement d’elle-même, mais aussi de sa féminité et adopter un comportement plus agressif. […] Une femme à la rue est une femme qui vit une perte d’identité importante, une agression à son essence propre d’une grande violence», relate le document Analyse différenciée selon les genres.

«Les femmes qui se trouvent à la rue risquent davantage de se faire agresser que les hommes (vingt fois plus que toute autre femme). Leur vulnérabilité en fait des proies pour les gangs de rue, les proxénètes et les prédateurs sexuels. Les risques d’agressions sexuelles sont élevés. Le danger réel et perçu de la rue est grandement à la source des différences entre l’itinérance au féminin et l’itinérance au masculin», témoignent les intervenants de la RDF.

L’équipe de la RDF a pu confirmer qu’en revanche, les femmes sont plus réceptives aux différentes thérapies individuelles ou de groupe que la gent masculine peut l’être. «Par contre, nous ne nous surprenons pas de voir les femmes réticentes aux traitements par médication, la solution plus expéditive des institutions hospitalières», note-t-elle.

 

Plus de 204 720 056 personnes ont démissionné du PCC et de ses organisations.