Chinoise ou Québécoise?

Troisième partie : la recherche identitaire d’une jeune Chinoise adoptée par des Québécois

Écrit par Nathalie Dieul, Epoch Times
26.06.2013

  • (Photo fournie par Anne Carrier)

Une jeune femme de 26 ans, Anne Carrier, d’origine chinoise et adoptée par une famille de Québécois à l’âge d’environ 7 ou 8 ans, a partagé sa quête identitaire avec Epoch Times. Au cours des dernières semaines, nous avons raconté son enfance avec le rejet de son côté chinois, puis la façon dont la jeune femme a renoué avec ses origines dans une quête qui l’a amenée à étudier le mandarin en Chine pendant un an et quatre mois. Finalement, est-elle chinoise ou québécoise?

Après un bref instant de réflexion, l’étudiante en culture est-asiatique admet  qu’elle est à la fois chinoise et québécoise, même si «accepter ce côté chinois de moi, ça a pris des années. Pour moi, l’identité c’est quelque chose qui est très flexible, qui peut changer. Un jour tu es ci, un jour tu es ça et il n’y a pas de problème avec ça».

Mais qu’est-ce que l’identité finalement? «Si on regarde juste en Chine, il y a 56 minorités. Est-ce que l’identité se définit par la langue? Si c’est par la langue, alors il y a un tiers de la population qui ne se définit pas être des Chinois parce qu’ils ne parlent pas le mandarin. Est-ce que c’est par des coutumes? Si c’est ça, les minorités n’ont pas les mêmes coutumes que les Han. Si c’est par les chants non plus. Juste en Chine, définir ce qu’est un Chinois est compliqué. Pour eux, c’est la terre, les territoires qui font d’eux des Chinois. Au Canada, ou au Québec multiculturel, ce n’est pas par la langue non plus. Est-ce que c’est par les coutumes? Ici, il y a un pluralisme dans la religion, dans la culture, les gens peuvent choisir de pratiquer le qigong comme de pratiquer les arts martiaux. Définir qui tu es à Montréal, c’est déjà difficile.»

Liens avec la communauté chinoise de Montréal

La jeune femme, qui habite à Montréal depuis 10 ans, admet : «Je n’ai jamais voulu faire partie de la communauté chinoise. Je me disais je suis un imposteur, pourquoi ferais-je ça? Je ne suis pas comme eux. Tranquillement, ça change.» En effet, depuis qu’elle a renoué avec son côté chinois, et en particulier après son année d’études en Chine en 2011-2012, Anne Carrier a envie de s’impliquer dans la communauté chinoise et de réaliser des projets en lien avec celle-ci, de faire du bénévolat parmi eux.

Elle se souvient pourtant avoir longtemps travaillé dans la restauration asiatique, à Montréal, et d’avoir essayé de se lier d’amitié avec des Chinoises de son âge qui étaient ses collègues dans ces restaurants chinois, vietnamiens ou japonais. «Jamais, je n’ai été capable de me lier d’amitié avec elles. Je ne sais pas si c’est moi ou une incompatibilité.  Individuellement, on s’entend bien, mais j’avais peut-être peur qu’elles m’introduisent dans cette communauté, de rencontrer toute la famille. Pour moi, la communauté, ça me fait peur. Mais je veux conquérir cette peur-là.»

Acceptée comme Chinoise en Chine?

Quand elle était en Chine, la Sino-Québécoise était perçue généralement comme une Chinoise par les Chinois. «Ils savent qu’il y a des Chinois qui décident d’aller habiter ailleurs, des Chinois riches.» Là-bas, elle était donc perçue généralement comme une "banane", ces Asiatiques qui sont jaunes à l’extérieur et blancs à l’intérieur. «Même si tu vis dans un autre pays, ton sang est chinois. Donc, ils vont t’accepter quand même, les vieux surtout, parce que les jeunes savent ce que c’est que de voyager et d’habiter ailleurs. Mais pour les vieux Chinois, si ton sang est chinois, tu vas rester un Chinois toute ta vie. Pour eux, il n’y avait pas de discrimination. Tu es chinoise.»

L’adoption internationale vue par les Chinois

Lorsqu’elle voyageait en Chine avec sa mère adoptive, Anne Carrier a dû souvent préciser devant les regards interrogateurs qu’il s’agissait bien de sa mère. : «J’essayais d’expliquer et ils revenaient toujours avec la question  : est-ce que ton père est chinois?»

  • En Chine, Anne Carrier a fait la paix avec son côté chinois. (Photo fournie par Anne Carrier)

En Chine, comme parmi des étudiantes chinoises de l’Université de Montréal, Anne Carrier s’est retrouvée devant le même phénomène  : beaucoup de Chinois ne comprennent pas ce qu’est l’adoption internationale. «Ils ont un mot pour ça, adoption. Mais je ne pense pas qu’ils comprennent.» Si on leur demande ce qu’est l’adoption, ils disent qu’ils comprennent ce que c’est, pourtant ils sont incapables de le décrire. «C’est le vague. Ils ne comprennent pas ce qu’est l’adoption internationale. Il y a des parents à l’étranger qui viennent chercher un enfant en Chine, qui adoptent un enfant en Chine. Pour eux, ils ne savent même pas qu’adopter à l’internationale impliquait des parents extérieurs.» Il leur est plus facile de comprendre l’adoption au sein d’une même famille, comme un oncle qui adopterait sa nièce.

Lorsqu’elle est retournée à l’orphelinat du Guizhou où elle a été adoptée, l’étudiante en anthropologie raconte  : «J’ai découvert qu’en Chine, les orphelinats sont très cachés sous plusieurs noms, termes qui ne disent pas orphelinat, mais plutôt institutions médicales ou institutions pour malades mentaux. Les gens ne savent pas que, dans leur propre ville, il y a une bâtisse où il y a beaucoup d’enfants, de filles, dans l’attente de parents de l’extérieur.»

Une image romancée de l’adoption

La plus belle découverte de l’étudiante a été une discussion avec une Chinoise éduquée, une traductrice qui avait étudié en Australie avant de revenir vivre en Chine. «On parlait. Je lui disais que j’étais adoptée. Elle me demandait ce qu’était l’adoption.» Après explication, Anne s’est rendu compte que la seule référence de la jeune femme en matière d’adoption, c’était une série télévisée américaine mettant en scène quatre femmes très riches dont l’une a adopté une petite fille. «Bah! tu dois être riche, j’aimerais ça être adoptée. J’aimerais ça avoir l’opportunité comme toi d’avoir des parents occidentaux et de me faire gâter par eux!»

«Elle a une image romancée de ce qu’est l’adoption, mais elle ne sait pas ce que ça implique dans son propre pays, pourquoi les filles se font adopter. Son premier réflexe n’est pas de se demander pourquoi elles se font adopter.» C’est pourtant une question qui préoccupe grandement Anne Carrier ainsi que, sûrement, plusieurs de ces milliers de jeunes Chinoises qui ont été adoptées par des Occidentaux au cours des vingt dernières années.