L’antidote à l’exode des ménages montréalais

La vie en écoquartier: entre l’idéal et la réalité

Écrit par Mathieu Côté-Desjardins, Epoch Times
26.06.2013
  • Les bureaux de Rayside/Labossière (Montréal) : accès à l’extérieur grâce au toit végétalisé. D’autres points gagnés pour se rapprocher de la définition d’un écoquartier. (Gracieuseté de Vivre en Ville)

Selon une étude publiée cette année par l'Institut de la statistique du Québec, Montréal dit au revoir à environ 60 000 citoyens par année, bien qu’elle en attire 40 000 autres qui viennent d’ailleurs au Québec. Une efficace contre-offensive contre l’exode des familles fait progressivement sa marque et passe en vitesse supérieure grâce à la récente charte des écoquartiers élaborée par l’organisme Vivre en ville.

Joseph Prudhomme aurait écrit : «Si l’on construisait actuellement des villes, on les bâtirait à la campagne, l’air y serait plus sain.» «L’écoquartier», tel que le conçoit l’organisme Ville en Ville avec sa charte Vers une charte des écoquartiers, pourrait devenir une norme dans la métropole. Il aurait le pouvoir de briser cette loi d’attraction que possèdent particulièrement les banlieues à drainer les ménages montréalais. Dans de rares cas, il n’est pas question de quitter la Ville pour élever ses enfants. La famille de Jannie Fillion et de son conjoint Hugue Asselin grandira à Montréal. Peut-être parce qu’ils sont justement actifs et impliqués à créer un milieu de vie complet dans leur quartier, Mercier-Hochelaga-Maisonneuve.

Vivre en Ville est un organisme faisant la promotion d’un mode de vie urbain qui respecte les écosystèmes tout en visant le bien-être de la collectivité. Pour les décideurs politiques et les citoyens, il offre des activités de formation et de sensibilisation, des services de conseil et d’accompagnement et il s’implique dans les débats publics. Il possède des bureaux à Québec, Montréal et Gatineau.

Il ne faudrait pas confondre le terme «écoquartier» qu’amène Vivre en Ville et celui qui rassemble des organismes communautaires qui organisent des activités d’amélioration de l’environnement dans leur arrondissement financé par le programme d’action environnemental de Montréal (là où on va chercher son bac de recyclage par exemple). On peut lire dans la charte de Vivre en Ville qu’un écoquartier est un quartier qui se doit d’avoir des «standards élevés en matière de protection des milieux naturels, de réduction des émissions de gaz à effet de serre, d’efficacité énergétique, etc. […] Pour contribuer au développement de collectivités viables, il devrait permettre à ses habitants de diviser leur empreinte écologique au moins par trois, puisque les ménages québécois consomment, actuellement, plus de trois fois leur part des ressources de la planète (Vérificateur général du Québec, 2008)».

«Si les villes et les familles s’intéressent aux écoquartiers, c’est, certes, en raison de leurs atouts sur le plan écologique, mais tout autant, sinon plus, parce qu’il s’agit de milieux de vie de qualité […]», contient aussi la charte. Plus précisément, on parle «d’un milieu de vie plus complet qui répond aux divers besoins d’une population variée, fait qu’il soit connecté à son environnement et une occasion d’améliorer l’existant, pour le quartier lui-même et pour ses environs».

«C’est un peu ce qu’on essaie de faire depuis longtemps [faire des villes dans des campagnes] et on se rend compte que chaque fois qu’on tente de créer un nouveau secteur en voulant se rapprocher de la nature, tout ce qui se passe est qu’on détruit la nature», fait part Jeanne Robin, urbaniste et directrice générale adjointe à Vivre en Ville.

Les écoquartiers commencent à peine à Montréal. Le plus bel exemple concret et en voie de développement serait le projet sur le terrain de l’ancien hippodrome de la Ville dans le quartier Côte-des-Neiges–Notre-Dame-de-Grâce.

Pourquoi l’exode

«Ce n’est pas que Montréal soit répulsif, mais c’est que c’est très peu abordable. La plupart des familles qui quittent Montréal la quittent par dépit. Quand on est une famille, on cherche un logement un peu plus grand, ça peut devenir très difficile de se loger et de devenir propriétaire. Je connais beaucoup de gens qui habitent la Ville, qui ne veulent pas la quitter, mais qui envisageront peut-être de le faire à un moment ou à un autre de leur vie de famille pour des raisons financières avant tout», affirme Mme Robin.

Elle poursuit : «Les familles quittent Montréal parce qu’on leur offre un produit résidentiel à bas prix ailleurs. […] Si on peut trouver une maison, vraiment pas chère, à laquelle on peut se rendre dans un déplacement à moins de 30 minutes et d’y accéder par une autoroute, Montréal fait face à une concurrence qu’on pourrait qualifier de déloyale et contre laquelle elle ne pourra se battre», fait comprendre l’urbaniste engagée.

Justement, «un des principaux critères de la charte des écoquartiers qui pourrait retenir les familles à Montréal, c’est celui d’avoir une diversité résidentielle et de travailler à ce que les logements soient plus abordables avec l’aide de différents programmes. Il y a plusieurs propositions. L’habitat de type coopératif en est une, très attrayante pour les familles. Elle a vraiment fait ses preuves depuis plusieurs années», appuie Mme Robin. Les coopératives d’habitation consistent à vivre comme locataires dans un immeuble sans avoir un ou des propriétaires.

Un autre modèle proposé par Vivre en Ville serait celui appelé l’autopromotion. «C’est un système qui fonctionne beaucoup, notamment en Allemagne. Le principe de l’autopromotion fait que des personnes qui souhaitent devenir propriétaires se réunissent et se font construire sans passer par un promoteur. Elles font appel à un architecte, achètent elles-mêmes un terrain et y conçoivent un projet adapté à leurs besoins. D’une part, il permet de réduire les coûts du fait que, entres autres, il y a une implication personnelle de temps investi dans le projet. C’est souvent un modèle qui est nettement plus intéressant que celui des promoteurs qui présentent peu de diversité», raconte la directrice générale adjointe de Vivre en Ville.

  • Ruelle verte Sicard, dans le quartier Mercier-Hochelaga-Maisonneuve (Mathieu Côté-Desjardins/Époque Times)

Tendance des promoteurs

«Je fais partie du comité de parents d’Hochelaga-Maisonneuve et une des recommandations faites chaque année, c’est d’essayer que les promoteurs construisent des unités plus grandes à trois chambres. Évidemment, ça ne leur rapporte pas. C’est plus rentable des 3 1/2, des lofts ou des condos. Tant qu’il n’y aura pas de loi qui va les obliger à considérer les familles, ils ne le feront pas de bon cœur. Il y a eu le sommet portant sur la famille et sur le développement durable en 2011 : dans les deux cas, la rétention des familles à Montréal est revenue comme sujet», mentionne Jannie Fillion.

«Pas seulement à Montréal, mais partout au Québec, les villes ont de plus en plus de demandes à ce qu’il y ait une certaine densité de population qui soit créée dans les différents projets des promoteurs. Ils ont passé de l’habitation familiale du type «bungalow» à un modèle de type condo, ce qui n’est pas nécessairement adapté à tous les besoins. Élargir la palette d’offres résidentielles à l’achat et à la location devrait venir de soi aujourd’hui. On connaît tous l’offre du type duplex, triplex, ce qui est par exemple la caractéristique de différents quartiers, comme Rosemont, qui sont d’ailleurs très prisés, très recherchés à Montréal», indique la directrice générale adjointe de Vivre en Ville.

«Une des solutions que nous trouvons assez cruciales – qui n’est pas dans l’ADN des villes, dont celles de Montréal – est que les pouvoirs publics s’impliquent davantage dans les réalisations résidentielles qui concernent les familles. La Ville pourrait repérer les terrains intéressants et les acquérir pour un bon prix comme il n’y aurait pas de construction dessus. Elle pourrait aussi avoir davantage son mot à dire, soit en mettant en place des normes assez exigeantes pour qu’il se crée une offre avantageuse pour les familles. Ces démarches engendreraient des réductions de coût des terrains», avance Mme Robin.

Milieu de vie complet

Jannie et sa famille sont locataires dans un 6 1/2 sur la rue de La Fontaine, dans l’est de la Ville. Elle croit également que les familles bougent vers Rosemont comme la cote des écoles est meilleure là-bas. «Nos écoles dans Hochelaga-Maisonneuve ont encore mauvaise réputation, mais c’est de moins en moins vrai», mentionne la maman. Une de ses voisines, Geneviève, l’horticultrice de la ruelle verte qui les réunit, mentionne que l’étiquette du quartier défavorisé est toujours présente bien qu’il y ait eu beaucoup d’amélioration. 

Quant à elle, Jannie, qui est enseignante au primaire à l’école alternative Rose-des-Vents dans Rosemont, préfère que son fils Calixte (4 ans et demi) aille à l’école du coin, école où elle est aussi impliquée. «J’avais la possibilité de l’envoyer à l’école où je travaille. Je n’ai pas de voiture, ça commence à faire loin. Ma fille, Léonore (3 ans), va à la garderie juste à côté du parc. Il y a une valeur ajoutée d’aller à côté, on va pouvoir recroiser les amis qui vont à l’école. Autant que j’adopte la pédagogie alternative, autant je vois des avantages à ce que son école [Calixte, qui est présent durant l’entrevue] soit à côté d’où nous vivons, on y va à pied, on va dîner à la maison», décrit Jannie.

Un des principaux organes de l’écoquartier est qu’il corresponde à un milieu de vie complet. «Un milieu complet veut dire avoir un tissu résidentiel adapté aux besoins des ménages pour leur donner la possibilité de réaliser une partie de leurs activités sur place. Une diversité de services et de commerces, c’est important. On peut penser à une école ou à une épicerie par exemple. C’est essentiel dans un écoquartier. Les Américains sont très forts là-dessus. C’est assez surprenant, parfois même dans des villes très étalées on a gardé l’épicerie à l’échelle du quartier au lieu d’une épicerie grande surface en périphérie», décrit Jeanne Robin.

«En urbanisme, on a un peu dépassé l’approche fonctionnaliste où les commerces devraient être tous regroupés à un endroit, les bureaux à un autre et les résidences ailleurs, ce qui ne donne pas des milieux de vie», précise-t-elle.

La maman de Calixte arrive à faire son marché à pied ou à vélo, aller à la pharmacie, à la bibliothèque, à la piscine, tout à pied ou à vélo.

Geneviève, voisine de Jannie, a un faible revenu, elle se désole de la réalité du désert alimentaire typique du quartier. «Il n’y a pas de choix, il y a une épicerie Métro où tout est très cher et une fruiterie au marché Maisonneuve, avec peu de choix et qui est extrêmement dispendieuse. Ils ont le monopole, il n’y a pas de concurrence. Ça pourrait être pire, il n’y a rien autour du métro Viau. Sa voisine Jannie renchérit : «Près du métro Joliette, il y a plus de Dollarama et autres magasins 1 $ au pied carré qu’il y a d’épiceries.»

En revanche, un des grands charmes du coin de Jannie et de Geneviève, c’est bien leur ruelle verte. Elle favorise le «vivre ensemble» comme elle amène les gens à partager un espace commun. «Entre nous, on l’appelle “la ruelle du petit village Sicard [rue avoisinante]”. Vers 17 h, il arrive qu’on sorte les tables et les chaises pour faire un pique-nique. Cette atmosphère se rapproche de celle qu’on a pu avoir il y a quelques décennies sur le parvis de l’église», lance l’enseignante.

«Dans un secteur qui va être suffisamment complet pour qu’une bonne partie de la vie quotidienne se fasse dans le quartier, on va assister au développement d’une vie de quartier et d’implication citoyenne, ce qui va prendre diverses formes comme l’organisation d’évènements, la création d’associations de citoyens pour, à la fois, s’impliquer dans des petits et des grands projets», affirme Jeanne Robin.

 

Leurs implications

Geneviève s’implique dans la ruelle verte comme horticultrice, puisqu’elle veut créer une belle qualité de vie pour les résidents du coin et pour sociabiliser. Elle a eu une mauvaise expérience dans le quartier Plateau Mont-Royal. «J’ai vu la différence entre le Plateau et ici pour y avoir habité pendant dix ans. Dans le coin, les gens se saluent dans la rue, c’est très convivial. Tu embarques sur l’autobus sur Ontario, les gens se parlent, ils ont quelque chose à se dire. Ce n’est pas le cas sur l’avenue Mont-Royal», assure-t-elle. Son implication dans la ruelle verte se justifie aussi du fait qu’elle trouve important le lien social entre les enfants qui se voient dans la ruelle le soir, en plus de l’école.

«S’impliquer localement, j’ai vraiment besoin de ça. Je suis quelqu’un de très politisé. J’ai besoin de savoir que les choses bougent. C’est là que je vois qu’il y a le plus d’effet. Localement, c’est là où je sens que j’ai de l’effet à court terme et un contrôle. On se sent un peu plus entendu, même si on se rend compte des modèles qui reviennent. Ça fait du bien de s’impliquer localement. C’est concret, c’est rapide», raconte Jannie.

Elle demeure dans le quartier Mercier-Hochelaga-Maisonneuve parce qu’elle a une place pour s’impliquer dans sa vie de quartier. «Je m’occupe plus du côté famille, je suis mes enfants, j’étais avec les nourrissons, maintenant je m’implique à l’école de Calixte et dans la ruelle verte. Mon conjoint est plus impliqué dans le domaine de la politique», développe-t-elle.

«De manière générale, on peut de moins en moins ignorer la question de la qualité de vie de quartier», apporte Mme Robin. «La demande est de plus en plus forte pour les écoquartiers ou pour développer certains de ses traits particuliers. L’implication va de pair avec la volonté de concrétiser son idéal de vie de quartier», dit-elle.

Jannie et Geneviève font partie d’un noyau d’une dizaine de familles qui travaillent plus activement. Elles vivent dans un secteur qui connaît un boum au niveau de l’engagement dans la vie de quartier. Les voisines demeurent conscientes qu’avant les dossiers de quartier sur lesquels elles consacrent du temps, il y en a d’autres qui sont prioritaires, tels que la prostitution, la pauvreté, les logements et les écoles insalubres.

  • La rue Duluth (Montréal), un heureux mélange des usagers de la rue (Gracieuseté de Vivre en Ville)

Écoquartiers : pas plus cher à faire

«D’abord, ce n’est pas forcément plus cher de faire des milieux de vie de plus grande qualité. On serait capable de faire des grosses économies sur les infrastructures d’égouts et d’aqueducs en axant sur la densité de la population dans un secteur donné, ce qui ferait des quartiers différents. Collectivement, ça ne demandera pas plus d’argent de faire des écoquartiers que de continuer à faire de l’étalement urbain comme on le fait un peu partout. Par contre, pour que les villes fassent des écoquartiers et qu’elles misent sur la requalification [revoir la vocation d’un secteur] et la densité de leur milieu de vie, ça demande un petit effort initial pour lequel il faut qu’il y ait un soutien financier des paliers de gouvernements, il faudrait qu’il y ait des programmes de soutien. Il existe notamment un programme provincial de décontamination du sol», relève Jeanne Robin.

La charte Vers une charte des écoquartiers existe en version bêta, ce qui permet de la commenter, d’ajouter des photos de milieux de vie du Québec qui pourraient contenir les standards élaborés dans cette dernière, etc. «Ça fait à peu près un mois qu’on la diffuse, ça fait plusieurs années que Vivre en Ville y travaille avec les différents milieux, aussi bien avec les villes, les MRC, le gouvernement du Québec, les promoteurs et les associations de citoyens. On a créé cette charte parce qu’on était très sollicité, on nous demandait notre avis sur les différents projets immobiliers qui se créent un peu partout. On souhaitait avoir une réponse qui soit à la fois précise et puis qui permette à chacun de se faire sa propre idée à partir d’un certain nombre de balises qu’on propose», explique l’urbaniste travaillant chez Vivre en Ville.

«On a été sollicité par des promoteurs et des municipalités qui sont intéressés à regarder ce qui se trouve dedans. Comme ça fait seulement un mois, je ne peux pas vous dire qu’il y a un quartier qui est sorti de terre grâce à la charte, mais la réception est plutôt bonne. L’intérêt vient d’un peu partout au Québec : des grandes villes et des villes moyennes. Pour le moment, assez peu de petites villes, on retrouve plus des acteurs de la grande région de Montréal, de Québec, de l’Est du Québec tout comme dans l’Ouest», élabore Mme Robin.

Pour télécharger la charte (PDF) : Vers une charte des écoquartiers