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Montréal modelée par ses commerçants et ses consommateurs

Les commerçants se mêlent de vos affaires… et vice-versa

Écrit par Mathieu Côté-Desjardins, Epoch Times
06.08.2013
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  • Martin possède son restaurant végétarien taïwanais, Su Shian Yuang, sur la rue Rachel à Montréal. Il s’agit d’un restaurant familial qui lui permet de mettre ses valeurs végétariennes (presque végétaliennes) en pratique et de les partager. (Mathieu Côté-Desjardins/Époque Times)

À la mi-juillet dernier, le géant de l’alimentation au Canada, Loblaws, a acheté la chaîne de pharmacies Pharmaprix (Shoppers Drug Mart dans le reste du Canada). L’idée qu’un plus gros joueur en achète un plus petit ne date pas d’hier, de même que la concurrence entre eux. L’influence des commerçants de divers types sur leur milieu, tout comme celle des consommateurs, demeure encore floue. L’empreinte que laissent les commerçants et les consommateurs peut modifier plusieurs sphères de leur vie urbaine.

Les différents commerces de la ville de Montréal répondent à de nombreux besoins vitaux et satisfont en plus les désirs de toutes sortes. Il existe toutefois une opposition entre les commerces indépendants et les franchises qui existe depuis longtemps, mais qui évolue de manière parfois insoupçonnée. Ces petites et grandes entreprises façonnent la culture et l’aspect social, donc ils jouent sur la santé des arrondissements qu’ils occupent. Dans l’autre camp, les consommateurs possèdent un pouvoir beaucoup plus important qu’ils ne le pensent sur leur avenir. 

Coude-à-coude avec la concurrence

Bien que le marché détermine si des commerçants tombent, se relèvent ou demeurent en place, beaucoup de commerces indépendants et de franchises ne peuvent être comparés à David et Goliath. C’est notamment le cas sur le boulevard Saint-Laurent où la vaste majorité des entreprises est indépendante, bien que quelques franchises s’y trouvent, tout comme dans le Vieux-Montréal.

«Sur une même artère, on va avoir une bannière qui sert du café et à côté un petit café qui est tenu par une petite dame ou petit monsieur et qui va bien marcher. Même si ce dernier vend le café 1  $ ou 2  $ plus cher que la franchise, c’est le consommateur qui décide et voit immédiatement l’impact de son dollar, à qui va son dollar derrière le comptoir. Il devient de plus en plus conscient du pouvoir de son dollar», relate Glenn Castanheira, directeur général de la Société de développement commercial (SDC) du boulevard Saint-Laurent.

  • Roger Perron, propriétaire de L’Oiseau Tonnerre sur Duluth Est et ancien professeur d’éducation physique au collégial, a la même adresse de magasin et le même numéro de téléphone depuis 1967. Au cours de ces années, il a proposé tant de produits qu’on ne trouvait pas à Montréal, donc difficile d’avoir de la concurrence : il a proposé les premières tentes Eureka, des habits de plongée d’Angleterre, des vestes de sécurité de France, des bottines de marche pour les scouts, des vêtements pour la pratique d’arts martiaux, etc. (Gracieuseté L’Oiseau Tonerre)

«Quand le consommateur a une plainte ou une recommandation à faire, c’est possible de le faire directement. Essayez d’émettre un commentaire chez Tim Horton. Vous allez à la Rôtisserie Coco Rico [commerce sur Saint-Laurent] et vous dites à la propriétaire  : “Ton poulet est trop salé”, elle va y voir», lance-t-il.

«Le commerce de proximité, on associe ça souvent à être géographiquement près du consommateur, mais aujourd’hui cela ne suffit plus pour être considéré comme tel. Cela dépasse l’aspect géographique, on parle d’un rapport possible d’une personne à une autre personne. On achète de quelqu’un et non d’un nom», complète M. Castanheira.

Mario Lafrance, directeur général de la SDC du Vieux-Montréal, remarque la même tendance de fréquentation des travailleurs du coin, près de 40 000 personnes, chez les indépendants qui offrent de la qualité à prix raisonnable, même si des franchises servent l’équivalent à moins cher.

«On met l’accent sur la détente, l’atmosphère, sur la haute gastronomie et l’abordabilité, même sur l’heure du midi. Donc, on ne se rend pas dans le Vieux-Montréal pour les restaurants-minute, même si on y travaille. Les touristes et les classes d’enfants sont ceux qui vont dans les quelques franchises qui s’y trouvent et parce qu’ils connaissent moins le milieu, ça va plus vite, ils sont certains des prix et du goût», décrit le DG. «C’est la même chose avec les vêtements, par exemple. Il y a une vingtaine d’ateliers-boutiques avec des produits exclusifs. On ne cherche pas de Simons [grande surface] puisqu’on sait qu’il y en a un au centre-ville», rajoute-t-il.

Harold J. Simpkins, professeur à Concordia dans le département Marketing & Academic, explique simplement que les restaurants ou les cafés indépendants ne tiennent pas à imiter les chaînes connues. «Ils vont plutôt se démarquer en proposant un endroit au charisme unique, des types de nourritures différentes, une qualité supérieure, un service particulier, un contact plus aisé avec le propriétaire, etc. Il est difficile de faire de l’ombre sur bien des commerces indépendants», explique le professionnel qui enseigne actuellement Advertising and Integrated Marketing Communications.

Le temps des aubaines est derrière?

Selon M. Castanheira, «depuis les années 1990, la mode était à l’aubaine, tout le monde cherchait à payer moins cher. Elle se trouve chez les grandes bannières, chez les franchises qui ont un pouvoir d’achat leur permettant de l’offrir. De plus en plus, les consommateurs sont soucieux de ce qu’ils achètent et comment ils achètent. Ce n’est plus une question de ce qu’est le produit, mais comment le produit se rend à moi, à qui je l’achète, qui en bénéficie», explique le DG du SDC du boulevard Saint-Laurent.

C’est du moins le souhait qu’a M. Unsal Ozdilek, professeur au département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale de l’UQAM, qui espère que cette sensibilité deviendra plus forte. Il ne partage pas cependant la vision des consommateurs actuels qu’a M. Castanheira  : «En général, pour le moment, on s’intéresse à la quantité et au prix, ce n’est pas cher, on prend, on s’en fout que ça fasse mal ailleurs. Il y a toute la question environnementale, la pauvreté, la sous-traitance, etc. On a quand même cette responsabilité personnelle, morale qui devrait aller en faveur des indépendants», exprime-t-il.

Si votre communauté vous intéresse

«Les commerces indépendants dans l’ensemble offrent des bénéfices nettement plus substantiels à l’économie locale si on les compare aux chaînes de magasins, franchises ou centres commerciaux et cela pour de simples raisons», avance le professeur Unsal. «Prenons d’abord l’angle des emplois. Les commerçants locaux créent des emplois aux gens d’ici. Il n’y a pas de siège social situé ailleurs. Deuxièmement, les chaînes de magasins paient les employés sur une base d’efficacité, parfois jusqu’à 20 % moins que les employés des indépendants. Le salaire est moindre en général», mentionne M. Ozdilek.

On peut lire dans l’Étude sur le poids relatif de la franchise dans l’économie québécoise de janvier 2012, préparée par le Conseil québécois de la franchise, que «la franchise au Québec, c’est en 2012 plus de  170 686  emplois. Ces emplois représentent  4,31 %  de tous les emplois de la province, et plus de  10,26 %  des emplois touchant aux 71 secteurs économiques dans lesquels la franchise est présente». 

«Quand on entend dire qu'une franchise arrive dans une localité et que des emplois augmenteront, il faut comprendre que cela peut être relatif. Les franchises arrivent parfois à de bonnes périodes économiques où l'emploi connaît déjà un certain dynamisme, qui peut jouer en leur faveur. C’est pourquoi une bonne lecture du marché de l'emploi permet de mieux interpréter la situation.  Mais, en général, ça n'apporte pas plus d'emplois à un milieu», observe le professeur Ozdilek.

Il y a une question fondamentale à laquelle M. Ozdilek tient particulièrement. Celle du patrimoine économique laissé depuis des décennies, entre autres, par les marchands d’une localité qui peut, à perte pour la communauté, revenir au plus offrant qui se révèle souvent être une franchise. «La richesse foncière d’une ville provient des propriétés immobilières de toutes sortes. Plus une ville est riche, plus les services qui sont retournés à la communauté sont de bonne qualité. Quand cette richesse foncière est créée pendant des années et des siècles, c’est un investissement local, conjointement avec le gouvernement qui procure par exemple des équipements (aqueduc, égouts, etc.). Tout cela est possible à cause de l’impôt chargé sur la taxe foncière à la communauté et permet de faire l’achat d’équipement et procurer des services. C’est ce qui fait notamment que certains secteurs deviennent plus convoités que d’autres», clarifie-t-il.

  • Harold J. Simpkins, professeur à Concordia dans le département Marketing & Academic, enseigne actuellement les cours Advertising and Integrated Marketing Communications. (Gracieuseté de Harold J. Simpkins)

«Est-ce que la communauté est celle qui profite de la richesse qu’elle a créée à travers le temps? Pas nécessairement», affirme Unsal Ozdilek. «Les terrains les plus convoités devenus alléchants du fait de ses investissements publics sont absorbés par ces investisseurs privés qui sont capables de se payer ces localisations; le retour à la communauté, quant à lui, est faible. Ces gens font pourtant leurs choses légalement. Les gens de la communauté qui n’ont pas les moyens de se payer ces terrains-là et finissent par regarder passer le train. Pourtant, on nous chante, avant l’implantation de franchises dans un lieu donné, que ça va rendre la ville plus dynamique, etc. C’est seulement un effet à court terme. À long terme, les franchiseurs vont faire en sorte de continuer de puiser dans les ressources précieuses accumulées par la communauté. Comme les franchises ont les moyens, les stratégies de concurrence qu’elles emploient dépassent de loin celles des commerçants indépendants. Les petits commerces n’ont pas la possibilité de concurrencer avec ça», précise le professeur Unsal.

«Le problème que les indépendants rencontrent, c’est de savoir s’ils pourront retourner les effets bénéfiques de leur présence à la communauté, par exemple en offrant des salaires décents, des services à des coûts acceptables, etc. La compétition est de plus en plus forte avec les franchises, c’est ce qui est visible au Canada anglais et aux États-Unis. Dans un sens, on peut se compter chanceux, le Québec est la province canadienne sur laquelle les franchises ont le moins d’emprise par rapport aux autres où l’impact est plus important, mais pour combien de temps…», indique Unsal Ozdilek.

Remontant ou poison politique

«Il leur [commerçants indépendants] manque l’appui des gouvernements qui favoriseraient ce développement qui reviendrait à la communauté. Leur donner un peu de vent dans les voiles, histoire d’être conscient de l’ensemble des impacts. Par exemple, favoriser un quota de commerces locaux dans un arrondissement quelconque», aborde le professeur Ozdilek.

«Nous ne jouons pas les aveugles. Il y a bel et bien une désaffectation globale des rues commerçantes de l’île de Montréal, au profit notamment des mégas-centres construits en périphérie. Oui, les élus provinciaux et municipaux doivent prendre acte de ce phénomène et agir pour aider les commerçants et, en priorité, les plus petits détaillants qui ont moins de moyens et dont les taxes continuent sans cesse d’augmenter», expose Olivier Gougeon, faisant partie de l’équipe du SDC Pignons, rue Saint-Denis. Il y a aussi  les prix des loyers qui peuvent exploser à tout instant. Harold J. Simpkins spécifie que rien n’empêche les propriétaires d’augmenter leur loyer de manière draconienne. «Une manière de se protéger est de signer un bail de cinq ans ou de cinq ans avec options», suggère-t-il.

Le professeur Simpkins invite à la vigilance lorsqu’on parle de l’aide des gouvernements.

«Rappelons-nous que la chaîne américaine Lowe’s a voulu acheter Rona en 2012 et que le gouvernement québécois s’en est mêlé [comme il jugeait la transaction ni à l’avantage du Québec ni du Canada]. Quand un gouvernement intervient dans ce genre de décision, cela peut engendrer toutes sortes d’effets. Est-ce que cela va affecter la décision des compagnies étrangères à investir au Québec? Est-ce que cela réduira les investisseurs potentiels du futur? Les propriétaires de commerces québécois devraient se sentir très préoccupés par cela comme cela les limite de pouvoir vendre leur entreprise sur le marché mondial. Les consommateurs feront aussi face à moins de choix, des prix plus élevés, plus de taxes à payer pour tout le monde», fait-il valoir.

«Six ans plus tôt, les actions de Rona valaient environ 22  $, chiffrant la valeur de la compagnie à environ 3 milliards de dollars. Quand Lowe’s a voulu acheter Rona, les actions de Rona valaient environ 11  $, la moitié de ce qu’elles valaient en 2007. Rona a proposé 14,50  $ l’action et, évidemment, cela a été refusé. Aujourd’hui, les parts de Rona valent 11,60  $. Est-ce que Rona avait un plan pour augmenter la valeur de ses actions au-dessus de 14,50  $ quand l’offre de Lowe’s a été rejetée? On aurait eu droit à un scénario fort différent si ça avait été le cas. Qu’est-ce que cela dit à propos de la direction de Rona? Et du gouvernement du Québec? Qu’est-ce qui a été si stratégique pour que les contribuables du Québec soient forcés de soutenir Rona via la Caisse de dépôt et placement [qui a passé de 2  %, à 14,18  %]. Est-ce que la Caisse aurait pu investir cet argent réinjecté dans Rona dans des compagnies qui promettent et rapportent plus que cette dernière?», explicite-t-il.

Un autre cas serait celui impliquant le libre-échange Canada-Europe, toujours en attente d’être concrétisé ou rejeté par les différents gouvernements impliqués. «On voudrait bien envoyer du lait, du fromage et d’autres produits de l’étranger au Canada, mais il y a toutes sortes de restrictions. L’industrie laitière canadienne est très protégée. Cela implique qu’il y a moins de concurrence, dont celle venant de l’Europe. Un des résultats est que le Québec a des fromages merveilleux. Certains ont même été désignés comme meilleurs fromages au monde! Cela a pu arriver à cause des barrières économiques. Si elles tombent, les producteurs laitiers vont vivre un sale quart d’heure. Les consommateurs auront donc droit à des produits moins chers venant de l’étranger et plus chers venant d’ici», souligne Harold J. Simpkins.

«Si vous avez deux morceaux de fromage Cheddar qui goûtent la même chose. Celui fait au Canada vaut 5  $ et l’autre, venant de l’Australie, coûte 1,50  $, lequel prendrez-vous? C’est très rare que les consommateurs achètent au gros prix un produit parce qu’il est local», mentionne

M. Simpkins.

«En dehors de l’arène politique, l’éducation à la consommation dès le plus bas âge est ce qui peut s’avérer le plus efficace. On sent un peu plus de responsabilité sociale parmi les gens, mais ça pourrait être plus solide pour en arriver à la vague des franchises qui nous guette», ajoute Unsal Ozdilek.

 

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