Commentaires de Danielle Pilette, experte en gestion municipale

Potentiel considérable, à court, moyen et surtout long terme

Écrit par Mathieu Côté-Desjardins, Epoch Times
19.09.2013
  • Danielle Pilette, professeure associée au département d'études urbaines et touristiques de l'UQAM. (Gracieuseté de Danielle Pilette)

Professeure associée au département d'études urbaines et touristiques de l'UQAM, Danielle Pilette compte plusieurs domaines d'expertise, dont la gestion municipale et métropolitaine, les finances et la fiscalité municipale, et la fusion et défusion municipales. Elle est également membre du comité-conseil (externe) de développement durable du Ministère des Affaires municipales depuis 2010. Elle nous partagera sa perspective des candidats à la mairie de Montréal pour les quatre prochains numéros sur le sujet.

Époque Times (ÉT) : Mélanie Joly se considère comme «le vrai changement» dont Montréal a besoin. Le représente-t-elle vraiment?

Danielle Pilette (DP) : D’abord, on peut interpréter son «vrai changement» comme un changement de génération. Le fait qu’elle soit une femme joue aussi en la faveur de sa déclaration. Elle présente en plus un changement quant à la base électorale [le type d’électeurs attirés]. Contrairement aux autres candidats, elle vise une base électorale peu expérimentée, dont beaucoup sont des femmes non politisées et des mères de famille. En d’autres mots, elle s’adresse à la clientèle de gens qui ne vont pas voter, qui est en quelque sorte majoritaire, telles que les femmes, les personnes âgées et beaucoup de jeunes. Les enjeux trop précis rebutent cette clientèle.

Mélanie Joly possède un programme léger, allégé, que l’on pourrait aussi décrire avec le terme anglais light. C’est une approche douce de la politique. Rappelons-nous que c’est une minorité de gens qui vont voter dans le contexte actuel. Depuis plusieurs années, on note qu’il y a une baisse du nombre de votes aux élections municipales. En fin de compte, le vrai changement n’est pas tant en ce qui concerne les idées que la façon de les véhiculer, le mode d’approche. De voir une assez jeune femme se présenter à la mairie, c’est également quelque chose qu’on n’a pas vu à Montréal qui peut constituer un changement dans l’esprit de plusieurs.

ÉT : Pouvez-vous nous donner un peu plus d’explications sur son programme light?

DP : On parle d’un programme possédant des idées simples et un caractère raisonnable des dépenses publiques. Dans le fond, sa proposition est de gérer la Ville de Montréal comme une bonne jeune mère de famille moderne. Moderne et consciente des limites du budget. À plusieurs reprises lors du débat des candidats à l’INM  (Institut du Nouveau Monde) vers la mi-août dernier, elle disait à M. Richard Bergeron (Projet Montréal) : «vos projets sont trop coûteux». Selon son point de vue, on peut atteindre de bons objectifs de transport en commun avec des coûts bien moins élevés. Comme si elle voulait donner à sa famille le maximum en tenant compte des limites budgétaires.

Toutes ses idées comme je l’ai mentionné, sont simples mais intéressantes. Le problème est qu’il lui est difficile de les mettre en valeur et de les contextualiser. Dans le premier débat de l’INM, elle n’arrivait pas à bien les rendre attirantes. Elle a proposé des alternatives à Projet Montréal et à l’Équipe Denis Coderre. Pour les transports, elle a lancé des solutions plus pragmatiques et moins coûteuses en comparaison avec celles de M. Bergeron, mais je ne pense pas qu’elle les défende à leur juste valeur. La question des données ouvertes, c’est quelque chose d’absolument important. C’est un peu un contrepoids à M. Coderre et sa proposition de «ville intelligente». Ce qu’elle propose, c’est d’avoir accès à toutes les données municipales. Est-elle capable de bien vendre l’idée? Jean Fortier [ancien président du comité exécutif sous Pierre Bourque] aurait été l’homme qu’il lui faut, comme il a certaines capacités, mais il s’est retiré de l’équipe de Joly. Les autres candidats qu’elle a choisis viennent d’une mouture similaire à Joly, ce qui m’inquiète. Je ne suis pas certaine que ses premières annonces de candidatures vont lui rendre les services politiques qui soient souhaités si elle veut s’implanter à Montréal.

ÉT : Sent-on le côté philanthrope de Mélanie Joly depuis le début de sa participation à la course à la mairie?

DP : Le côté philanthrope de Mélanie Joly ne m’est pas apparu dans des signes concrets.

ÉT : Est-ce que les propositions de Mélanie Joly ne pointent pas un peu vers l’esprit du parti de Richard Bergeron (Projet Montréal)?

DP : On a vu une certaine convergence, entre autres, pour les alternatives en ce qui concerne le mode de transport. La différence entre Mme Joly et M. Bergeron, c’est que M. Bergeron s’adresse à des militants, autant dans ses propositions pour certains modes de vie, modes de transports ou modes de gestion. Mélanie Joly a sensiblement les mêmes objectifs, les mêmes buts, mais sans le militantisme.

Quand j’emploie le terme «militantisme», je parle de gens, d’électeurs qui ont des valeurs intro déterminée, c’est-à-dire qui sont prêts à passer à l’action ou qui le font déjà, qui n’ont pas juste les valeurs, mais qui les mettent en pratique. Et ce n’est pas une majorité de gens qui agissent comme ça. J’irais jusqu’à dire qu’une majorité de gens sont à l’opposé, passifs.

Mme Joly a une approche beaucoup plus pragmatique en matière environnementale ou de développement durable par exemple. Chacun fait ce qu’il peut avec ses moyens, sans que ça coûte trop cher. C’est une approche très terre-à-terre. M. Bergeron n’est pas terre-à-terre du tout, il se veut très idéaliste. Les plans de M. Bergeron ne se feront pas demain matin, tout cela dépendra de la Ministre et de bien d’autres instances. L’approche de Mélanie Joly est plus immédiate, étapiste [par étape], avec ce que l’on a. M. Bergeron s’adresse à des gens déjà mobilisés. Mme Joly s’adresse à la prémobilisation. C’est complètement différent. En ce qui concerne les familles, c’est un peu la même chose. On peut comprendre que pour elle, sur l’île de Montréal, il y a de tout pour tous et on fait ce qu’on peut.

Il faut dire que Mme Joly est dans la gestion politique de l’éclatement de Montréal [au cœur des révélations des cas majeurs de corruption et de collusion au sein de la Ville] comme Marcel Côté et Denis Coderre, mais elle traite moins d’un éclatement territorial que d’un éclatement démographique et social-économique. On peut aussi sortir des 10 actions qu’elle propose une vision pour l’avenir.

ÉT : Est-ce que Mélanie Joly a d’autres motivations derrière le fait de se lancer en campagne pour devenir mairesse?

DP : Mme Joly a plus de chance de devenir conseillère de ville. Dans le fond, c’est ce qu’elle vise. Ça lui permettrait de se familiariser concrètement avec les enjeux de Montréal. Jusqu’ici, elle a des connaissances théoriques, académiques de la Ville, mais on voit qu’elles ne sont pas très précises et pas très appliquées. Si elle réussit à devenir conseillère de ville, ça va aussi permettre de montrer, entre autres, aux jeunes femmes que c’est possible de s’intéresser à la politique municipale sans être très militant. Par exemple, Émilie Thuillier [conseillère de la Ville, vice-présidente du comité exécutif, attachée au parti de Projet Montréal] est une militante alors que Mme Joly représente l’anti-militantisme. Ça va chercher une autre clientèle de jeunes et de jeunes femmes. Ne serait-ce que pour ça, sa candidature est très utile. Dans son rôle de modèle, elle apporte beaucoup aux Montréalais et aux Montréalaises.

Si elle s’était présentée directement comme conseillère de ville, elle aurait moins eu de chance de se faire élire. Elle possède une bonne formation, mais elle n’a pas beaucoup d’expérience. Elle est capable de stratégie. Elle se donne une visibilité de ce qu’elle représente, c’est-à-dire les jeunes familles sans trop d’expérience politique. Elle se sera bâti une notoriété qu’elle pourra toujours utiliser dans le futur. Elle prépare son propre terrain et pourra imposer sa propre façon de faire de la politique. Sa façon est un peu différente de celle des hommes, moins agressive et propre à sa génération. On a vu ce type de politique fait par des jeunes hommes aux dernières élections provinciales. Ces derniers arrivaient avec leur propre programme, bref un renouvellement de génération suivi d’un succès spontané.

ÉT : Parlant de succès spontané, n’a-t-on pas assisté à cela de manière flagrante depuis quelques mois sur la scène municipale?

DP : On est effectivement dans l’ère de l’immédiat. On fait la même recette avec la politique. Les standards ont changé pour devenir maire. Il n’y a que Richard Bergeron de Projet Montréal qui a un programme clair. Le reste, c’est moins un programme qu’un concours de notoriété. Et même Projet Montréal a tendance à user de sa notoriété. C’est une campagne électorale où la notoriété a énormément d’importance. Mme Joly est en train de se doter d’une notoriété qu’elle avait, mais à l’intérieur de certaines limites. Elle joue sur cette dernière alors qu’elle est en train de s’en créer une de toutes pièces. En ce sens, elle n’est pas si différente des autres candidats. Les autres misent sur une candidature acquise dans le secteur culturel, le secteur des affaires, etc. La seule façon de se démarquer dans ces 300 candidats, c’est la notoriété et pas le programme. Un programme peut difficilement être imposé à 100 candidats d’un parti municipal. Il n’y a pas d’argent ni de forces derrière. Sauf certains candidats de Projet Montréal et une part de Mélanie Joly, tous les candidats ne jouent que sur la notoriété.