Les syndicats en 2014

A-t-on encore «foi» au syndicalisme?

Une confiance relativement élevée au Québec

Écrit par Mathieu Côté-Desjardins, Epoch Times
13.01.2014
  • Marc-Antonin Hennebert, professeur adjoint au service de l’enseignement des ressources humaines à HEC Montréal et doctorant en relations industrielles à l’Université de Montréal. (Gracieuseté de Marc-Antonin Hennebert)

Le syndicalisme n’a pas épargné sa peine durant 2013. On n’a qu’à penser à la place qu’il a occupée durant la campagne électorale de Régis Labeaume à Québec, durant la crise de l’assurance-emploi avec le gouvernement Harper ou à la commission Charbonneau. Après ces différents raz-de-marée, est-ce que la population québécoise croit encore dans les syndicats? 


«Environ 40 % de la population québécoise a confiance envers les syndicats, pourcentage qui suit, grosso modo, le taux de syndicalisation qu’on a au Québec», avance Marc-Antonin Hennebert, professeur adjoint au service de l’enseignement des ressources humaines à HEC Montréal et doctorant en relations industrielles à l’Université de Montréal. M. Hennebert a pu faire différents constats récemment grâce à l’étude Social Confidence in Unions: A US-Canada Comparison dont il est le coauteur avec Lorenzo Frangi et Vincenzo Memoli. Elle sera publiée prochainement dans la revue scientifique Canadian Review of Sociology. «Comme nous avons travaillé à partir de bases de données publiques, aucun financement n'a été nécessaire pour la conduire. En d'autres termes, il ne s'agit pas d'une commande d'un lobby syndical ou patronal, mais bien d'une étude universitaire indépendante», assure-t-il.

«Concernant l'analyse des réponses négatives [le 60 % de gens qui n’ont pas confiance], nos analyses statistiques ne couvrent pas cette réalité. Plusieurs hypothèses peuvent toutefois être émises et demeurent à être empiriquement vérifiées. Il y a le traitement médiatique souvent négatif réservé au syndicalisme et une certaine montée de la droite politique remettant en cause les droits syndicaux. Un exemple simple, mais concret réside dans le fait que l'actualité en relations de travail fait souvent état des conflits, grève ou lock-out, qui sévissent dans certaines entreprises», poursuit Marc-Antonin Hennebert.

«Si ces conflits existent bel et bien, les données du ministère du Travail du Québec démontrent sans équivoque que le nombre de conflits par année au Québec est en chute libre depuis les années 1970 et que nous avons à l'heure actuelle un régime de relations de travail où les conflits sont devenus chose beaucoup plus rare. Cette réalité empirique ne correspond pas toujours à l'image que renvoient les médias de notre régime de relations de travail et du syndicalisme», comprend M. Hennebert.

«Dans le reste du Canada, selon les derniers chiffres que l’on a, on est à 28% du taux de confiance. Il y a une différence entre le Québec et le reste du Canada de presque 15%. Aux États-Unis, où l’on a aussi conduit l’étude, on a un taux de confiance qui est similaire à celui du Canada, autour de 35 %. Malgré que le taux de syndicalisation aux États-Unis est beaucoup plus faible et que la présence syndicale dans les États du Sud est à peu près inexistante, on a une confiance de la population qui est relativement élevée. Bien que le taux de syndicalisation soit faible, ça ne veut pas dire que les gens ne croient pas, mais il y a plutôt des contraintes d’ordre juridique ou autre», explique l’expert en syndicalisme, négociation collective et relations de travail.

 

  • Manifestation u00abStoppons la démolition» où la CSN avait invité la population à se mobiliser contre les politiques néolibérales du gouvernement Charest en 2003. (Clément Allard/CSN)

Le Québec a ces particularités en matière de syndicalisme, entres autres, «un double support». «D’un côté, il y a des gens qui répondent à un profil de classe “ouvrière”, qui ont des revenus plus faibles dans des domaines moins spécialisés. On a un taux de support des syndicats qui est élevé. Dans un deuxième temps, les gens qui sont très éduqués, on parle de diplômes universitaires, de deuxième cycle et autres : ils vont avoir une confiance bien marquée envers les syndicats», indique le membre du Centre de recherche interuniversitaire sur la mondialisation et le travail (CRIMT).

«Le fait d’être syndiqué est également déterminant du taux de confiance envers les syndicats. Les gens qui sont syndiqués font généralement beaucoup confiance aux syndicats. En d’autres termes, une fois que l’on est syndiqué, qu’on a l’expérience d’être syndiqué, on va avoir tendance à faire davantage confiance, croire davantage aux organisations syndicales», précise Marc-Antonin Hennebert.

«La confiance envers les syndicats transcende les questions sociodémographiques. Si on prend la question d’âge, on a pu entendre dire que les jeunes sont moins mobilisés, qu’ils ne croient pas aux valeurs syndicales, mais ce n’est pas ce qu’on observe. Le taux de confiance est similaire. Le printemps érable montre bien que les jeunes n’ont pas des valeurs individualistes. Il y a bien d’autres études, pas les nôtres, qui démontrent qu’ils ont des valeurs collectivistes. Ils croient autant dans les organisations syndicales que les plus vieux. D’autres variables vont dans la même veine. Il n’y a pas de différence du taux de confiance envers les syndicats qu’on soit un homme ou une femme et peu importe la langue parlée», renchérit le professeur Hennebert.

Deux grandes explications

«Si on compare avec le taux de confiance des années 1990, il n’y a à peu près pas de différence, ça demeure stable, tout comme le taux de syndicalisation. Il y a deux grandes explications. D’abord, on a un syndicalisme qui est à vocation plus large, différent de la simple défense des intérêts économiques des membres. On parle souvent d’une sorte de “syndicalisme social”. Il faut défendre les conditions de travail dans telle ou telle usine, mais le syndicalisme au Québec s’est défini autour de valeurs sociales beaucoup plus larges : une meilleure équité, une meilleure répartition des richesses dans la société, etc.», décrit M. Hennebert.

«Malgré tout ce qui se passe à l’heure actuelle, on a un dynamisme syndical au Québec. On a de grandes organisations au Québec qui sont en compétition entre les unes et les autres, ce qui donne un dynamisme important, ce qu’on ne trouve pas dans les autres provinces canadiennes», rajoute-t-il.

«La deuxième raison serait des valeurs plus libérales que l’on a par rapport au reste du Canada. C’est peut-être un héritage de la Révolution tranquille, mais ces valeurs sont concordantes avec l’institution syndicale», croit Marc-Antonin Hennebert.

La construction… un cas isolé

«Le syndicalisme en ce moment a très mauvaise presse, mais il faut voir les choses en perspective. On parle d’un secteur, celui de la construction où, d’ailleurs, il y a eu autant de problèmes avec les organisations syndicales qu’avec les employeurs. On peut être plus précis en parlant d’une organisation syndicale qui est affiliée à la FTQ [Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec], une des 37 organisations syndicales. On parle même d’un petit groupe à même ce syndicat-là. Le régime de relation de travail est très différent dans la construction des autres secteurs de travail. Ça ne fonctionne pas du tout comme les autres. J’aurais tendance à isoler le cas des syndicats de la construction qui ne sont pas représentatifs de ce qui se déroule dans le syndicalisme en général», propose le professeur à HEC.

 

  • Les paramédicaux affiliés à la CSN ont manifesté leur mécontentement en décembre 2012. (Michel Giroux/CSN)

Défis

Le mouvement syndical a des défis devant lui qui sont de taille. «Le premier est de nature politique, c’est-à-dire que les syndicats doivent trouver le moyen de contrebalancer la montée de la droite et du néo-libéralisme. Les syndicats doivent développer un nouveau discours et contrebalancer ces tendances politiques qui, on le sait au Québec, comme ailleurs, sont de plus en plus importantes», souligne Marc-Antonin Hennebert.

«Le deuxième défi est de nature plus pratique. Les syndicats doivent apprendre à syndiquer ceux qui en ont le plus besoin. C’est très difficile pour eux. Je parle des gens qui ont des emplois précaires ou qui se retrouvent dans certaines industries et dans certains secteurs d’activités où le taux de syndicalisation est très faible, notamment dans le secteur tertiaire privé [secteur produisant des services]. Il y a un paradoxe à l’heure actuelle qui fait que les gens qui auraient le plus besoin d’être syndiqués ne le sont pas. Ce n’est pas que les syndicats n’essayent pas, on a eu le cas de Couche-Tard, Walmart; ils essaient, mais il y a toutes sortes de contraintes à l’heure actuelle. Le syndicalisme se retrouve dans un paradoxe. Les gens qui ont vraiment besoin de lui ne sont pas représentés par des entreprises syndicales», amène M. Hennebert.

«Un troisième défi, sur le plan public, serait que les syndicats rappellent les conditions de travail qui ont été acquises à la suite de longues luttes syndicales pour bien faire comprendre qu’aujourd’hui, la mondialisation rend de nouvelles luttes nécessaires. On a souvent tendance à penser que les syndicats étaient utiles à l’époque où les conditions de travail étaient absolument désastreuses. Il y a une forme de précarisation de l’emploi qui se développe au Québec, on a des conditions de travail qui sont révisées à la baisse dans plusieurs entreprises, on a des syndicats qui sont beaucoup plus dans des défenses d’acquis que de vouloir de meilleures conditions de travail et des droits sociaux. Donc le défi est de nature pédagogique, du fait de rappeler au public qu’ils ont encore une utilité publique aujourd’hui, à cause de nouvelles menaces, de nouvelles pressions qui peuvent avoir des répercussions très négatives», précise Marc-Antonin Hennebert.