Commerce contre primauté du droit: le casse-tête chinois du Canada

Écrit par Matthew Little, Epoch Times
24.11.2014
  • Le premier ministre canadien, Stephen Harper, en compagnie du président chinois, Xi Jinping, à Pékin le 9 novembre 2014 (Petar Kujundzic/Pool/Getty Images)

OTTAWA – Le premier ministre, Stephen Harper, a rendu un bon service aux intérêts d’affaires canadiens lors de sa visite en Chine plus tôt ce mois-ci, rencontrant des hauts dirigeants du Parti communiste chinois et présidant la signature d’ententes commerciales.

Mais comment aller de l’avant, maintenant que la croyance selon laquelle le commerce allait apporter la primauté du droit en Chine s’est révélée fausse? Les entreprises canadiennes sont butées au vol de propriété intellectuelle sanctionné par l’État, les chrétiens et autres minorités religieuses se font toujours emprisonner et l’Armée populaire de libération a même eu l’audace de faire la démonstration de nouveau matériel militaire conçu pour combattre notre plus proche allié, les États-Unis, alors que les dirigeants mondiaux étaient en visite pour le sommet de l’APEC.

Le Canada peut-il faire quelque chose pour influencer la Chine dans la bonne direction, ou nos échanges doivent-ils continuer de profiter à un régime qui tuerait des prisonniers de conscience pour vendre leurs organes?

Consentement tacite

Certains experts, comme Charles Burton, estiment que le Canada est limité dans ce qu’il peut faire puisqu’il n’a pas de position de force par rapport au régime chinois.

«Le Canada est un joueur relativement petit et la Chine est en mesure d’obtenir ce qu’elle veut de nous auprès d’autres pays», affirme M. Burton, un professeur à l’Université Brock largement considéré comme un des plus grands spécialistes canadiens sur la Chine.

Il n’est pas certain qu’il y ait une manière d’aborder la Chine pour faire avancer les droits de la personne et la primauté du droit tout en gardant en tête l’économie. Cependant, il croit également que le Canada ne peut se taire en ce qui concerne les violations généralisées et les rapports de prélèvements d’organes forcés.

«Si nous n’en parlons pas publiquement, cela suggère que nous offrons un consentement tacite à un comportement du régime que nous désapprouvons», explique-t-il.

C’est le risque auquel M. Harper fait face chaque fois qu’il se retrouve dans une séance de photos avec des responsables chinois. M. Burton est d’avis que le gouvernement sait qu’il pourrait légitimer le régime avec des visites d’État et l’attention médiatique qui leur est consacrée.

«Je crois que nous hésitons beaucoup à faire ça, parce que les valeurs canadiennes ne cadrent pas avec les valeurs qui soutiennent ce régime», ajoute-t-il.

Le défi pour M. Harper est que, chaque fois qu’il aborde publiquement la question des droits de la personne en Chine, il s’attire les foudres de la communauté d’affaires prochinoise.

Ces entreprises ont investi beaucoup d’argent pour déplacer leur production en Chine ou pour entrer en partenariat avec des firmes chinoises en se faisant promettre l’accès au marché. Elles comptent également sur la demande chinoise pour réduire la dépendance au marché américain pour les ressources naturelles. Ces entreprises ne veulent tout simplement pas voir le premier ministre leur rendre la vie plus difficile en Chine.

Guanxi tordues

Les sanctions peuvent être arbitraires en Chine, et les règles ne sont pas appliquées de manière équitable. Tout est question de relations ou guanxi en chinois.

Ethan Gutmann a déjà été dans le domaine des guanxi en Chine. Ces jours-ci, il est mieux connu pour son travail de journalisme d’enquête et la publication de son nouveau livre The Slaughter : Mass Killings, Organ Harvesting, and China’s Secret Solution to Its Dissident Problem (Le massacre : hécatombes, prélèvements d’organes et la solution secrète de la Chine pour son problème de dissident).

Il y a environ dix ans, il était en Chine pour faire avancer les intérêts de la communauté américaine des affaires.

M. Gutmann était un conseiller principal chez APCO, la plus importante firme de relations publiques à Pékin. C’est essentiellement une entreprise de guanxi, indique-t-il. Guanxi est le concept chinois selon lequel on tisse des relations afin d’obtenir certaines faveurs.

APCO faisait pression sur les responsables, bâtissait des relations et donnait les pots-de-vin déguisés habituels qui sont des outils d’influence importants. Tout cela au nom des guanxi.

«Les guanxi représentent la stratégie d’affaires la plus efficace en Chine», estime M. Gutmann. «C’est la méthode principale pour faire bouger les choses en Chine.»

Il y a toutefois un problème : ça fonctionne seulement pour les entreprises. Lorsque cette approche est appliquée aux affaires étrangères, il en résulte que le Canada plie l’échine devant la Chine et passe sous le silence l’espionnage, les violations des droits d’auteur ou le fait que le régime chinois torture les gens en raison de leurs croyances.

C’est quelque chose qui passe dix pieds par-dessus de la tête des entreprises canadiennes. Elles veulent que leur gouvernement leur obtienne accès et protection et les guanxi sont la voie à suivre.

Toutefois, les guanxi ne feront rien pour convaincre le régime d’aller contre ses propres intérêts, explique M. Gutmann. Il l’a appris quand APCO a fait pression sur Pékin au sujet de la propriété intellectuelle et de la contrefaçon. Les responsables avec qui il a discuté ont promis des réformes sans précédent.

«Ils ont complètement adopté le discours américain […] Mais, finalement, le taux de contrefaçon a en fait augmenté.»

«Ils sont capables de vous servir une rhétorique apaisante tout en vous abusant.»

Il est essentiel pour le développement économique et militaire à long terme du régime d’accaparer la propriété intellectuelle et le savoir-faire technologique des firmes étrangères. En promettant des réformes, le régime apaise les investisseurs étrangers, mais il n’a aucun intérêt réel à mettre fin à une pratique qui est vitale à son développement.

Et même si la primauté du droit pouvait aider les firmes étrangères en Chine, cela est perçu comme une solution hors d’atteinte. Elles ont des investissements à récupérer immédiatement, dont les sommes dépensées pour bâtir les guanxi avec les responsables du régime actuel, explique M. Gutmann.

«Un système démocratique, une presse libre et une véritable primauté du droit seraient un bon environnement. Le problème c’est que personne en affaires ne sait comment y arriver.»

La légitimité : le gros bâton

Un des rares outils que le Canada possède, étant donné ses exportations plutôt génériques et son marché relativement petit, c’est sa réputation. Selon M. Gutmann, c’est un outil puissant s’il est utilisé pour embarrasser le Parti communiste chinois (PCC).

Tandis que M. Burton estime que le Canada a relativement peu d’influence en Chine, M. Gutmann accorde un peu plus de poids au Canada. Il estime que conférer ou pas la légitimité est important pour le PCC.

Le régime chinois est «très préoccupé par la perception, particulièrement pour des motifs intérieurs, et il perçoit d’une certaine façon le Canada comme un baromètre éthique ou moral dans le monde», explique-t-il.

Malheureusement, le Canada donne son approbation beaucoup trop facilement et avec peu de conditions, ajoute-t-il.

Ceci dit, le stratagème de M. Harper d’annoncer qu’il ne participerait pas au sommet de l’APEC a incité Pékin à supplier sa présence, exactement pour une question de légitimité, a récemment écrit M. Burton dans une lettre d’opinion.

Il se peut que le premier ministre retenait sa présence afin d’obtenir la libération de Kevin et Julia Garratt, les deux chrétiens évangéliques, propriétaires d’un café près de la frontière nord-coréenne, accusés d’espionnage.

Peu importe l’opinion de la communauté des affaires, M. Burton affirme que parler des droits de la personne ou d’autres questions ne risque pas d’affecter le commerce, et les données sur les exportations ne le font pas mentir.

David Mulroney, ex-ambassadeur canadien en Chine, a avancé dans les pages du Globe and Mail en juillet dernier que le Canada ne devrait pas avoir aussi peur de soulever les problèmes actuels.

«Les responsables chinois n’ont pas peur du franc-parler. J’étais convoqué pour me faire critiquer sévèrement chaque fois que le gouvernement chinois voulait envoyer un message dur à Ottawa. L’ambassadeur chinois au Canada est normalement traité avec des gants blancs. C’est un professionnel d’expérience endurci. Si nous sommes en colère, il doit ressentir notre douleur», a-t-il écrit.

M. Mulroney estime que le Canada doit s’impliquer avec la Chine, mais il doit le faire avec les yeux grands ouverts et avec ses propres intérêts bien en tête.

Il n’est pas perdu de réfléchir à la manière dont les Chinois sont affectés par notre commerce ou à comment nous conférons légitimité au PCC, suggère M. Gutmann.

«Le premier pas est de ne pas prétendre que vous équilibrez le commerce et les droits de la personne en suivant les ordres des entreprises», conclut-il.

Version originale : Canada’s China Conundrum Pits Business Against Rule of Law