Amazonie bolivienne

Rendez-vous en terre d’Amboro

Écrit par Marie-Noëlle Delfosse
13.04.2014
  • Seuls, écrasés par la densité de la jungle, nous n’y aurions vu que du vert! Avec Virgilio et Adrian, on apprend à distinguer le mara dont le bois vaut de l’or, le jorori dont les animaux mangent les fruits rouges pour détruire leurs parasites, le cuchi dont l’écorce réduite en poudre répare les fractures, le sang-dragon dont la sève rouge cicatrise les plaies en quelques secondes. (Marie-Noëlle Delfosse)

Autour du lac Titicaca commun aux deux pays, des expériences de tourisme communautaire sont nées sur les îles. «Elles sont plus structurées côté péruvien», reconnaît Marcelo, notre guide. «Mais dès qu’il y a beaucoup d’argent en jeu, le piège est de tomber dans le show et de perdre l’authenticité. L’atout des Boliviens est que leur identité culturelle est tellement importante qu’ils ne la laisseront pas facilement dénaturer. Ici on ne porte pas le chapeau ou la jupe brodée juste pour le touriste!»

La Bolivie, c’est d’abord l’Amazonie

Membre du ministère du Tourisme aux premières heures du gouvernement Morales, Marcelo connaît bien le sujet et veut nous montrer une expérience réussie d’écotourisme communautaire dans le parc national d’Amboro, au nord-est de la cordillère, près de Cochabamba. «Les Européens ne connaissent de la Bolivie quasiment que son histoire minière et les couleurs magnifiques des salars de l’Altiplano. C’est très photogénique mais pas représentatif: les deux tiers du pays sont en Amazonie!» La Bolivie, c’est donc d’abord la jungle, et le parc d’Amboro n’est pas facile d’accès!

Le village est sorti de terre il y a 15 ans pour recevoir les touristes voulant loger au cœur du parc créé en 1984. Au fil des ans, 30 familles s’y impliquent et construisent un village pour eux, à deux pas de celui des touristes, avec une école pour une centaine d’enfants. Certains deviennent cuisiniers, d’autres guides, la plupart restent paysans.

600.000 hectares d’authentique nature

Les 600.000 hectares du parc Amboro se trouvent au confluent de trois différents écosystèmes: le bassin amazonien, le Chaco du nord et les Andes; d’où l’incroyable diversité de sa faune et de sa flore: 400 variétés d’orchidées, fougères géantes, bois précieux, palmiers, bromélias – la friandise préférée de l’ours  andin –, 700 espèces d’oiseaux, pumas, jaguars, serpents en tous genres.

Construites avec les matériaux trouvés sur place, les cases sont mieux intégrées au paysage que le village des paysans, bâti, lui, en dur. Juste deux lits dans les chambres mais chacun a sa moustiquaire. Installer des panneaux solaires est un des objectifs de la communauté. «L’expérience a commencé ici avec 3.000 dollars et les paysans ont été formés par une ONG bolivienne», précise Marcelo. « La communauté doit recevoir un financement de la banque mondiale mais il faudra définir les priorités : outils, énergie, voiture, bétail...?»

Couverts des pieds à la tête, nous retrouvons à l’aube nos guides... en tongs et shorts. Juste armé d’une branche, Virgilio écarte devant nous les toiles d’araignées (la branche est choisie feuillue pour ne pas saboter la toile) et nous signale les lianes matamores (tue l’amour) et autres pièges locaux. S’aidant parfois des fiches illustrées fournies par l’ONG qui l’a formé, il s’arrête souvent pour expliquer la vie en jungle. Conteur hors pair, à chaque trace animale, il raconte, mimes à l’appui, la chute du paresseux dont les poils sont restés accrochés aux arbres, le tunnel que le tatou a creusé jusqu’à 2 mètres de profondeur ou la fuite du cochon sauvage qu’un puma traque en silence à une heure devant nous. Seuls, écrasés par la densité de la jungle, nous n’y aurions vu que du vert! Avec Virgilio et Adrian, on apprend à distinguer le mara dont le bois vaut de l’or, le jorori dont les animaux mangent les fruits rouges pour détruire leurs parasites, le cuchi dont l’écorce réduite en poudre répare les fractures, le sang-dragon dont la sève rouge cicatrise les plaies en quelques secondes!

La plateforme d’observation offre une vue plongeante sur les gorges de Cajones où sont organisés des treks de plusieurs jours. La nuit, raconte Virgilio, on s’assoit dans le noir au bord du fleuve Beni et on attend les animaux qui sortent enfin de l’ombre de la jungle et viennent boire au clair de lune. Le jour, en Amazonie, les mammifères restent à couvert et on observe plutôt les insectes ou les reptiles. Sous chaque feuille, la vie grouille mais il ne faut pas s’attendre à rencontrer le jucumari (prononcez [kukumari]), l’ours à lunettes. Végétarien et friand de bambou comme le panda, il est, comme lui, souvent accroché aux arbres et les scientifiques se demandent s’il ne s’apparente pas plus aux singes qu’aux ours. Même les assourdissants perroquets perchés à la cime des palmiers restent invisibles!

Pas de singani (alcool de raisin bolivien) le soir à la veillée, mais le jus des fruits du citronnier que les singes convoitent aussi à l’heure où on allume les bougies. Pas de longue veillée d’ailleurs, car la pluie éclate et les rêves sont peuplés de gués infranchissables et de chevaux en panique nous enfonçant au galop dans la jungle...

Les déçus du pachamanisme

Le lendemain le soleil dissipe la brume après une heure d’ascension.

Virgilio raconte cette fois l’histoire des hommes: «Je suis arrivé en 1980. Je n’avais rien, même pas une poule et l’État donnait ici des terres en friche pour qu’elles soient exploitées. Le problème est qu’elles étaient privées et quand le vrai propriétaire s’est réveillé 5 ans plus tard, il a fallu se battre pour rester ! On a réussi à garder 27 hectares et le droit de chasser et pêcher.»

Dans le même temps, des sociétés forestières avaient obtenu le droit de venir couper en forêt les arbres précieux pendant un an. Le parc national existait pourtant déjà. Virgilio et ses amis paysans travaillèrent pour eux et, à leur départ, ils héritèrent du chemin sur lequel ils avaient descendu les arbres coupés jusqu’à Amboro.

En 1985, nouveau coup dur: l’État bolivien, bon élève du FMI, démantèle l’industrie minière; c’est «le massacre blanc» et les mineurs sans travail viennent chercher fortune en forêt où ils pêchent... à la dynamite! «Il a fallu que nos communautés s’insurgent pour que le gouvernement confisque la dynamite!»

En quittant l’Amazonie, au pas de nos chevaux, Marcelo nous raconte comment d’autres expériences d’écotourisme communautaire, en sombrant, sont venues grossir les rangs des «déçus du pachamamisme». À Amboro, Virgilio et ses amis ont choisi de continuer. Humbles et modestes, ils transmettent un peu de leur force et de leurs connaissances aux voyageurs qui se donnent la peine de venir jusqu’à eux.

INFOS PRATIQUES

Agence bolivienne francophone

Grandes Espacios.

Contact: Marcelo Borja 

grnds.spcs@gmail.com

Logement à Amboro: confort très sommaire mais propre et nourriture copieuse et expérience authentique. Coût du séjour à Amboro: 150€ pour deux nuits et deux jours. Le transport en véhicule privé depuis Santa Cruz: 250€

Moustiques: pour éviter les piqures, deux semaines avant d’entrer en Amazonie, les Boliviens prennent de la vitamine B qui agit comme répulsif (Complejo B)

Sécurité: ne jamais monter dans une voiture à l’invitation de policiers en civil. S’ils ont des papiers qui semblent officiels, demander à les suivre au poste dans votre propre voiture.

Restaurant à Santa Cruz: Casa del Comba: parillada et grosse ambiance pour 10€. Viande exceptionnelle cuite à la plancha.

Incontournable aussi en Bolivie: le salar d’Uyuni et les lagunes d’altitude, les communautés de tisserands.

Epoch Times est publié en 21 langues et dans 35 pays.