Israël-Palestine: John Kerry touche au mur de la séparation

Les pourparlers de paix israélo-palestinien sont au point mort! Est-ce la fin de la solution deux États? Si oui que réserve l’avenir?

Écrit par Richard Silverstein, Foreign Policy in Focus
29.04.2014
  • Les pourparlers de paix israélo-palestiniens engagés par les Etats-Unis, ont connu un arrêt brutal. Mais contrairement à Camp David, les américains ont reconnu cette fois-ci que la responsabilité incombait à Israël. (Wikimedia Commons)

Après l’annonce récente d’une réconciliation entre le Hamas et le Fatah, ainsi que la possibilité prochaine d’un gouvernement d’union regroupant les diverses factions palestiniennes rivales, les pourparlers de paix israélo-palestinien engagés par les États-Unis se sont brutalement arrêtés.

L’accord, a choqué les experts du Moyen-Orient et les négociateurs israéliens et américains qui avaient oeuvré à la reprise des pourparlers. C’est le signe de la frustration des Palestiniens devant le manque de résultats. Il s’agit donc d’une motion de censure dans le processus conduit par le Secrétaire d’État américain John Kerry.

Devant le projet palestinien de création d’un gouvernement d’union, et des nouvelles élections, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a rompu toutes les négociations et a sommé Mahmoud Abbas, président de l’OLP de choisir entre le Hamas et Israël. Abbas a clairement fait son choix.

Puisque l’initiative de Kerry semble vouée à l’échec, que va-t-il se passe maintenant? La solution prônée de deux Etats tombe-t-elle à l’eau, comme largement soutenue ces dernières années? Si oui, quelle nouvelle initiative espérer?

Qui est responsable des échecs

La situation s’est bloquée lorsqu’Israël a refusé de libérer 25 prisonniers palestiniens comme convenu au préalable entre les différentes autorités. L’accroc vient du fait qu’Israël avait accepté de libérer certains prisonniers arabes, provoquant l’indignation des partenaires de la coalition d’extrême-droite de Netanyahou.

Lorsque Netanyahu a refusé de libérer finalement les prisonniers, Abbas a menacé de déposer des demandes d’adhésion de la Palestine auprès d’une dizaine d’organismes des Nations Unies, qui soutiendraient la candidature de la Palestine pour devenir un Etat à part entière.

Malheureusement, à un moment très sensible du processus, le ministre israélien du logement Uri Ariel a annoncé publiquement la construction de 700 nouveaux logements en Cisjordanie occupée. Connaissant la grande sensibilité des Palestiniens qui sont dépossédés de grandes étendues de territoire actuellement occupé par les colonies, cette annonce revenait à jeter un explosif IED dans le processus de paix.

John Kerry et le président Barack Obama ont du coup perdu tout espoir, avant de proposer de libérer Jonathan Pollard – un citoyen américain qui purge actuellement une condamnation à perpétuité pour avoir divulgué des secrets d’État américains à Israël – en échange d’autres concessions de la part d’Israël. Mais la réponse israélienne a surpris les négociateurs américains. Kerry qui espérait mettre sur la table la libération de 400 prisonniers palestiniens supplémentaires, n’allait avoir que les 25 qu’Israël était censé avoir déjà libéré.

Malgré la pression croissante des faucons «pro-Israël» (groupes d’intérêts) décidés à libérer Pollard, pour la majorité des observateurs, l’idée de l’échange est un dangereux leurre. Après avoir eu la cote, l’idée s’est effondrée pour finalement s’évaporer.

Lorsque les négociations se sont interrompues, Abbas a introduit les demandes palestiniennes auprès d’une vingtaine d’organismes des Nations Unies, contrairement au deux souhaitées par les États-Unis et Israël. Si la Palestine devenait signataire de la Cour pénale internationale (CPI), elle pourrait accuser les dirigeants et les généraux israéliens responsables d’attaques contre les civils palestiniens, de crimes de guerre. Même si Abbas n’a pas encore demander l’adhésion à la CPI, cette perspective explique en partie le frémissement d’Israël devant la candidature de la Palestine à la reconnaissance des Nations Unies.

La réconciliation de Abbas avec le Hamas a également fait monter la pression sur Israël et les Etats-Unis, qui ne veulent pas inclure le groupe islamiste dans le processus. La question clé qui se pose est: le rapprochement prôné par Abbas est-il sérieux, ou est-ce une monnaie d’échange pour acquérir une position plus favorable dans les négociations de paix?

De tels accords entre les factions palestiniennes ont déjà eut lieu par le passé. Toutefois, si celui-ci se concrétisait, Israël et les États-Unis se retrouveraient avec une marge de manœuvre très réduite.

Un porte-parole du département d’Etat a critiqué Abbas qui s’attend à ce qu’Israël «négocie avec un gouvernement qui ne croit pas en son droit d’exister». Mais le jeu du qui-est-le-fautif avait déjà commencé avant la réconciliation du Hamas avec le Fatah. Tout comme à l’époque, les États-Unis et Israël avaient fait de Yasser Arafat le responsable de l’échec des pourparlers de Camp David, cette fois-ci, pour Netanyahu, les Palestiniens sont coupables. Mais contrairement à Camp David, les américains ont publiquement annoncé que l’échec présent incombait à Israël, et non aux Palestiniens.

Et si on passait à autre chose?

Le New York Times a récemment publié un éditorial intitulé Time to Move On (Il est temps de passer à autre chose…), appelant Obama à abandonner les pourparlers de paix et à adopter une politique de moindre implication: il est temps pour l’administration Obama de fixer les principes auxquels elle croit et qui doivent servir de fondement pour la solution à deux Etats, si jamais Israéliens et Palestiniens décidaient enfin de faire la paix. Puis le président Obama et la secrétaire d’Etat John Kerry devraient passer à autre chose...

Un accord de paix israélo-palestinien est moralement juste et capital pour la sécurité des deux peuples. Pour l’atteindre, il faut des dirigeants et des populations déterminés et courageux des deux côtés qui exigent la fin de l’occupation. Actuellement, malgré l’engagement des États-Unis, très peu d’espoir subsiste.

A qui profite l’abandon des pourparlers? Tout d’abord, il ravit Netanyahu. Depuis le début de l’administration Obama, Netanyahu a eut pour principal objectif de survivre politiquement au président (il a diffusé à cet effet des publicités anti-Obama lors de sa dernière campagne), ou de démoraliser Obama à l’usure. Si les pourparlers échouent, Netanyahou aura gagné.

Il est absurde pour les Israéliens de croire qu’en l’absence de l’implication américaine, la région va garder son statu quo d’avant. L’histoire montre que lorsque des belligérants sont laissés à eux-mêmes, les radicaux se réveillent. Les provocations, la violence et la guerre suivent inévitablement. La déstabilisation oblige les tiers partis à reprendre leurs efforts pour négocier la paix. Et le cycle reprend.

Du moins, c’est le récit classique – qui convient parfaitement à Israël depuis 1967.

Mais les échecs se succédant, Israël se retrouve de plus en plus isolé du reste de la communauté internationale. Son occupation illégale des territoires palestiniens devient de plus en plus impopulaire, et la fameuse solution de deux États prônée par beaucoup, s’éloigne rapidement.

La Réponse Populaire

Alors que les efforts officiels faiblissent, les mouvements populaires comme BDS – «boycott, désinvestissement et sanctions» gagnent en renommé. Israël s’est senti obligé de consacrer autant d’argent et d’efforts diplomatiques pour étiqueter BDS comme une campagne antisémite ou anti-Israël. Pour Israël, le nouveau mantra est «la délégitimation», la «gauche radicale» est accusée de vouloir détruire Israël.

En réalité, BDS est un effort non-violent qui prône trois grands principes: la fin de l’occupation, le droit au retour, et la garantie de la pleine égalité des droits, accordée aux Palestiniens installés légalement en Israël.

Ces propositions sont de plus en plus attrayantes à mesure qu’Israël se braque. Bien que BDS n’encourage pas explicitement la solution d’un seul Etat, les observateurs raisonnables, dont de nombreux journalistes israéliens centristes et les analystes politiques, admettent que les événements prennent cette direction.

Mais devant le refus d’Israël et des Etats-Unis d’un Etat unique, comment réussir? Souvenons-nous de l’apartheid en Afrique du Sud ; il a fallu plusieurs années avant que la campagne des sanctions ne devienne populaire. C’était le même type d’opposition, de la part des libéraux et des conservateurs, pour qui c’était une solution trop extrême ou aliénante pour les blancs. Cependant avec le temps, les dirigeants internationaux, les chefs d’entreprise, et les militants ont fini par comprendre que la douleur occasionnée par les sanctions était peu de choses comparée à la souffrance infligée par l’apartheid sur le long terme aux noirs Sud-Africains.

Avec la campagne BDS, les entreprises et les produits israéliens sont devenus cibles de boycott. Les entreprises étrangères qui soutiennent l’occupation seront également frappées. L’Europe ouvre la voie dans ce domaine, suivit par les États-Unis, un peu comme avec l’Afrique du Sud dans les années 1980.

Le mouvement est déjà en marche. Le plus grand fonds de pension néerlandais a annoncé qu’il boycotterait les banques israéliennes en raison de leurs investissements dans les territoires occupés. Le fonds souverain de la Norvège a quitté deux sociétés israéliennes, dont l’une est la propriété de Lev Leviev, constructeur des colonies israéliennes, impliqué également dans les mines de diamants des conflits en Afrique. Les agriculteurs de la vallée du Jourdain ont fait 30 millions de dollars de perte dans leurs ventes dans les pays de l’UE au cours des dernières années (15% de leur marché global). Des associations universitaires au Royaume-Uni et aux États-Unis ont adopté des résolutions approuvant BDS.

Bien qu’Israël dispose d’une économie robuste largement épargnée par la crise financière de la dernière décennie, elle reste vulnérable à un boycott efficace de ses exportations – lorsqu’il s’agit des services et des produits de technologie, dont la vente des armes. D’autre part, les élites israéliennes jouissent de leurs deux nationalités, un passeport étranger pour les vacances, et des résidences secondaires en Europe et en Amérique. Si BDS frappe ce luxe en le mettant hors de portée, l’effet psychologique sera fort. Le centre israélien n’avait rien contre l’occupation tant qu’il ne la voyait pas, n’y était pas impliqué, ni ne devait l’affronter. Mais si ces facteurs commencent à la toucher de près, les choses vont certainement changer.

Le poids de l’histoire

Le gouvernement nationaliste israélien est persuadé qu’il résistera à cette tempête. Toutefois, Israël ne tiendra pas ainsi indéfiniment. La houle de l’opposition finira par le rattraper. La position des dirigeants américains et européens passera alors de l’acceptation tacite de l’apartheid et de l’occupation israélienne à une opposition catégorique. Avec suffisamment de résonance dans certains secteurs de la société israélienne, un leader politique pourrait surgir et inverser la tendance «rejectionniste» et ultra-nationalisme qui a gouverné le pays pendant les dernières décennies.

Cette perspective peut paraître actuellement hors de portée. En 1989, c’est ce que disaient beaucoup de personnes avant la chute du mur de Berlin. C’est ce que beaucoup disaient lors des affrontements, que les Irlandais et leurs surveillants britanniques s’entre-tueraient indéfiniment. Pareil pour les Américains, quelques décennies avant la naissance du mouvement des droits civiques dans les années 1950.

Les conflits basés sur l’injustice et les déséquilibres profonds de pouvoir entre des groupes disparates ont l’habitude d’imploser sous leur propre poids. Même si le processus politique Israélo-Palestinien semble seulement dans une impasse, rien ne garanti que les choses ne vont pas s’accélérer d’un seul coup !

Richard Silverstein est l’auteur du blog the Tikun Olam blog, consacré au problèmes de la sécurité nationale d’Israel et à la promotion delà démocratie dans le pays. Il a également écrit pour Haaretz, The Nation, the Forward, Comment is Free, Truthout, and Tikkun Magazine.

Version en anglais: Israel-Palestine: Kerry’s Peace Talks Hit Separation Wall

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