Élections européennes: quels sont les enjeux de la montée de l’euroscepticisme?

Écrit par Magali Balent, Chercheuse associée à l’Institut des relations internationales et stratégiques et directrice des projets de la Fondation Robert Schuman
15.05.2014
  • La campagne électorale bat son plein en Angleterre le 9 mai 2014. Les libéraux-démocrates sur la photo affichent leur parti pris en faveur de demeurer au sein de l'Union européenne. (Matt Cardy/Getty Images)

Selon les derniers sondages réalisés dans la plupart des pays de l’Union européenne (UE), les élections européennes du 25 mai prochain pourraient se traduire par une percée importante des partis eurosceptiques au sein du Parlement européen. Quelles seraient les conséquences d’un tel résultat?

Tout dépend de ce que l’on entend par «partis eurosceptiques». On a coutume de désigner par ce terme les partis populistes d’extrême-droite qui pourraient obtenir aux prochaines élections européennes entre 70 et 80 députés au sein d’une assemblée qui en comptera 751. Il est donc probable que leur influence politique au Parlement européen restera limitée, quand bien même ils réussiraient effectivement à obtenir plus de sièges que lors de la précédente législature (47 députés).

Mais pour ces partis d’extrême-droite, l’objectif de ces élections n’est pas tant d’avoir plus d’influence au Parlement européen – car ce sont par définition des partis nationalistes très hostiles à l’UE – mais plutôt d’utiliser la scène politique européenne pour renforcer leurs position et légitimité au niveau national. Leur but est finalement par ce biais de se crédibiliser auprès de leur électorat et de montrer qu’ils sont capables de gagner des élections, d’obtenir plus de députés, de s’organiser entre eux, etc. Ces élections seront donc, en quelque sorte, un test dans la perspective des prochaines échéances nationales. Au final, l’influence qu’auront ces partis d’extrême-droite sera davantage symbolique que politique.

Mais l’euroscepticisme ne se limite pas aux seuls partis d’extrême-droite et caractérise aussi d’autres partis, d’extrême-gauche, de la droite souverainiste, voire des partis plus modérés (par exemple certains partis du groupe des «Conservateurs et Réformistes européens»). C’est aussi plus généralement un sentiment qui se renforce au sein des opinions publiques européennes. Autrement dit, l’euroscepticisme est présent au sein d’un grand nombre de formations politiques et recouvre différents sentiments à l’égard de l’UE, plus ou moins critiques. L’euroscepticisme au sens large pourrait représenter 25 % du Parlement européen, ce qui constituera une force politique non négligeable, quand bien même ces partis auront du mal à s’entendre entre eux et donc à «faire bloc».

Comment expliquez-vous cette montée de l’euroscepticisme au sein des populations européennes?

Cela est dû à une conjonction de facteurs, propres au contexte politique, économique et culturel, mais aussi à des évolutions structurelles de nos sociétés européennes. Le contexte actuel est difficile, marqué par la crise économique qui fragilise les populations et les rend plus perméables à «l’euro-bashing».

On note aussi une crise politique marquée par un rejet des politiques traditionnelles et une défiance importante vis-à-vis de l’Union européenne qui a beaucoup déçu depuis le début de cette crise. Il est vrai que l’UE a tardé à réagir et à prendre les bonnes décisions qui lui auraient permis de lutter plus efficacement et de mieux protéger les économies européennes.

Elle peine aussi à se positionner sur des enjeux cruciaux pour son avenir tels que la question de ses frontières et de l’élargissement, de son identité ou de sa nature politique. Tout cela fait qu’aujourd’hui l’Union européenne est encore fragile et manque de force de conviction, mais cette crise de défiance touche de manière plus forte encore les gouvernements et parlements nationaux! Il existe donc un discrédit général vis-à-vis des gouvernements traditionnels qui favorise les partis eurosceptiques qui cultivent une stratégie d’opposition et de dénonciation du «système».

Au-delà, il faut également prendre en compte l’évolution des opinions publiques sur un certain nombre de sujets. L’attachement à la nation protectrice est plus fort aujourd’hui qu’il y a une trentaine d’années. Par opposition, l’Union européenne n’est pas perçue de manière aussi positive que par le passé dans le contexte actuel de mondialisation et d’immigration de masse qui inquiète les populations et fait naître une attente identitaire. Cette évolution de l’état d’esprit général est ainsi liée à des enjeux qui ne sont plus, encore une fois, les mêmes qu’il y a trente ans.

En résumé, l’euroscepticisme est le produit d’une conjonction de facteurs conjoncturels et structurels associée au doute des citoyens européens quant aux réponses que l’UE peut apporter face à tous ces enjeux.

Les dirigeants européens ont-ils les moyens de redresser la cote de popularité de l’Union européenne?

Il faut faire une différence entre les thèmes portés aujourd’hui par les eurosceptiques et les solutions qu’ils préconisent. En effet, les thématiques portées sont légitimes et répondent à de vraies préoccupations des opinions publiques. C’est d’ailleurs pour cela que les partis eurosceptiques se renforcent aujourd’hui. Ces thématiques concernent notamment l’efficacité du fonctionnement de l’Union européenne, sa capacité à faire face aux enjeux migratoires et à se définir dans le contexte de mondialisation.

Encore une fois, tous les eurosceptiques ne souhaitent pas forcément la sortie de l’UE : certains sont hostiles à son évolution actuelle tout en ayant en tête une alternative. Au final, les partis traditionnels ont encore une marge de manœuvre importante au sens où ils ont la possibilité de se positionner sur ces thèmes qui, aujourd’hui, sont accaparés par les eurosceptiques. Il faudrait ainsi qu’ils cessent d’aller de l’avant sur le processus d’élargissement par exemple et s’emparent des débats relatifs aux limites extérieures de l’Union, à la nature de l’identité européenne qui seules peuvent permettre de renforcer l’attachement des peuples européens à l’UE. Mais se positionner sur ces thèmes ne signifie pas automatiquement formuler les mêmes propositions que les partis eurosceptiques, et plus particulièrement les partis d’extrême-droite! Ce type d’attitude n’a en outre que peu d’effet, car les citoyens préfèrent toujours l’original à la copie.

De façon plus constructive, l’idée serait d’avoir des débats et de pouvoir proposer des alternatives sur des sujets considérés comme essentiels par les opinions publiques et que les eurosceptiques sont aujourd’hui les seuls à évoquer. Les dirigeants européens semblent pour le moment très hésitants non seulement parce qu’ils ne sont pas tous d’accord sur ces sujets, mais aussi parce que ce sont effectivement des thèmes compliqués et difficiles à traiter. Ils ont ainsi tendance à les contourner alors qu’il serait urgent de formuler des propositions alternatives.

Source : Affaires-stratégiques.info