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Comment le quartier chinois de Montréal a pris son apparence chinoise

L’«enchinoisement» du quartier chinois – 2e partie

Écrit par Nathalie Dieul, Epoch Times
21.05.2014
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Avant et après l’Expo 67

La valeur des terrains situés aux alentours du quartier chinois montant fortement dans les années 1950 et 1960, des investisseurs achètent de vieux bâtiments, les démolissent et les convertissent en stationnement en attendant de pouvoir les revendre en faisant de gros profits. Plusieurs lots sont toujours vacants de nos jours.

  • Cette fresque de l’épopée du Roi des singes, sur la rue Saint-Urbain, fait partie des premiers gestes de la grande phase d’«enchinoisement» des années 1980.(Nathalie Dieul/Époque Times)

Un premier plan de développement du quartier est projeté dans les années 1960, sans n’être jamais réalisé à cause des divisions politiques et religieuses de la communauté chinoise ainsi que du manque d’intérêt.

L’Exposition universelle de 1967, où plus de 50 millions de visiteurs venus de partout en Amérique du Nord et dans le monde découvrent la ville de Montréal, est un événement majeur dans l’histoire de la ville mais aussi dans celle du pays.

La Ville essaie d’améliorer son image avant l’arrivée des visiteurs internationaux. Elle essaie de camoufler de manière éphémère les nombreux lots vacants du quartier chinois. Pour ce faire, elle plaque un peu partout des clôtures stylisées «à la chinoise», avec des couleurs chinoises comme le rouge. Une arche colorée est installée au-dessus d’une ruelle. Ces gestes d’«enchinoisement» temporaires essaient de cacher un côté délabré, vétuste et sale qui ne correspond pas à la nouvelle identité de Montréal, ville moderne qui vient de se doter d’un métro sous-terrain. Toutefois, cette fois-ci, ce n’est pas un geste individuel du propriétaire, mais un geste posé par le gouvernement municipal.

C’est également en 1967 qu’un membre de la communauté chinoise commandite un petit parc de la Pagode pour la paix et l’harmonie entre les Canadiens et également pour célébrer le centenaire de la fondation du Canada. Cette pagode deviendra vite un point central du quartier chinois, renforçant son côté identitaire. C’est le premier espace public du quartier chinois à montrer ce caractère ethnique et culturel.

Vers la fin des années 1960, la communauté chinoise commence à découvrir Brossard et à s’y établir. Les prix y étant très bas et cette banlieue étant très bien située, plusieurs Chinois décident de s’y installer, tout en continuant à fréquenter le quartier chinois de Montréal. Cette tendance s’accentue jusqu’à la fin des années 1980, où l’arrivée massive de Chinois de Hong Kong transforme Brossard en un autre quartier chinois tel qu’on le connaît aujourd’hui.

Période noire

À la fin des années 1970 et au début des années 1980, environ un tiers du quartier chinois de Montréal est détruit  au profit des grands projets immobiliers  : le palais des congrès, le complexe Guy-Favreau et le complexe Desjardins. De nombreux habitants doivent quitter le secteur. Ces démolitions de nombreuses résidences, entreprises, commerces ainsi que d’une école, un grand parc et deux églises amènent la communauté chinoise à avoir conscience de son sentiment d’appartenance à ce quartier et à commencer à se rebeller timidement.

C’est surtout lorsque la Ville décide d’élargir la rue Saint-Urbain qu’un soulèvement de la communauté se fait un peu plus sentir  : les travaux amènent la démolition du parc de la Pagode situé dans l’axe de la rue Saint-Urbain, empiétant jusqu’au milieu de la rue. L’élément identitaire chinois que constituait cette pagode était au centre de la vie du quartier. Les Chinois se sont sentis menacés par cette perte, d’autant plus qu’elle survenait juste après la démolition d’une grande partie du quartier.

Les projets de démolition ont toutefois été généralement peu contestés en raison de conflits à l’intérieur de la communauté. Le conseiller municipal Abraham Cohen a d’ailleurs remarqué  : «As long as the community remained broken in rebellious and irreconcilable elements, not only would Chinatown continue to stagnate, but it would be extirpated by a gradual incursion of speculators.»

Cependant, Jonathan Cha remarque que ce semblant de rébellion a quand même eu un impact sur le quartier  : «On a réussi à avoir la garantie qu’à la place du petit parc de la Pagode, il allait y avoir des bancs et un quelconque aménagement. C’est pour ça qu’il y a fresque murale et bancs [à cet endroit]. Ça fait partie de l’héritage de cette contestation-là.»

  • Le petit parc de la Pagode est le premier espace public du quartier chinois à montrer ce caractère ethnique et culturel. (Gracieuseté de Sandra Donaldson)

La population chinoise se mobilise véritablement en 1981 pour empêcher la démolition d’un bâtiment situé à l’angle de la rue de la Gauchetière et Saint-Urbain : 2000 personnes signent une pétition qui arrive à sauver l’édifice  : «Si vous êtes sur Saint-Urbain et que vous regardez vers l’église Notre-Dame, il y a un bâtiment qui est un peu décalé, qui empiète un peu sur le trottoir  : il a résisté», souligne l’urbanologue.

Cet événement marque un changement de cap dans l’histoire du quartier chinois. C’est la fin de la période de démolition et le début des grands projets de reconstruction et de revitalisation.

La construction de grands édifices tels que le palais des congrès et le complexe Guy-Favreau ont pour but de nettoyer une partie du quartier en éliminant des taudis. Toutefois, ils amènent une autre sorte de clientèle, de classe moyenne, à fréquenter les commerces du quartier chinois, ce qui permet d’améliorer son rendement économique. Les Chinois, quant à eux, même s’ils sont de moins en moins à y habiter, continuent à le fréquenter pour les différents services, le gardant vivant.

Un nouvel avenir pour le quartier chinois

«Après un moment où on a voulu presque anéantir ou démolir le quartier chinois», un vrai travail d’embellissement et d’«enchinoisement» est mis en place en 1981-1982. Un comité de travail est mis en place, sous la direction de l’architecte chinois Henry Ng.

Le comité regroupe à la fois des représentants de la Ville de Montréal, tels que Wendy Graham et Gabriel Deschambault, et des représentants de la communauté chinoise, dont le célèbre Père Thomas Tou, responsable de la mission catholique chinoise de Montréal et considéré comme un bâtisseur. Une véritable collaboration s’installe entre les différents acteurs, qu’ils soient chinois ou occidentaux  : du jamais vu.

«Par un geste municipal, on décide d’affirmer que ceci est de caractère et de propriété chinoise; maintenant, on va sentir qu’on est dans un quartier chinois», soutient l’urbanologue.

Contrairement aux autres gestes d’«enchinoisement» du passé, qui étaient soit posés par des individus, soit par la Ville de manière éphémère, le projet municipal consiste à réaménager, revitaliser et embellir le quartier chinois, tout en renforçant l’identité ethnique. Pour ce faire, des artistes et artisans chinois sont mis à contribution pour «réinterpréter l’identité chinoise montréalaise».

Le comité de travail commence par décider de transformer la rue de la Gauchetière en une rue piétonne, pour «en faire un lieu public à caractère un peu folklorique ou traditionnel chinois», commente l’architecte paysagiste. Les premiers gestes posés à partir de 1982 consistent à installer du mobilier urbain – lampadaires, bancs, cabines téléphoniques, fresques, murales et bas-reliefs – le tout stylisé «à la chinoise».

Parallèlement à cela, la construction de deux édifices démarre  : un Centre catholique communautaire sur la rue Côté et une maison de retraite, Bo Ai Lou. Un troisième bâtiment répondant aux besoins de la communauté chinoise sera construit dans la même lignée, sur la rue Saint-Dominique  : la tour d’habitations à loyer modique Wah Yen Tai Lou ou Chinese United Building. Ces trois édifices prennent la place de lots vacants. Ils sont plutôt sobres, tout en présentant «une enveloppe stylistique chinoise» et répondent à des besoins de la communauté.

  • Au moins 2000 personnes ont signé une pétition pour empêcher la démolition de cet édifice.(Nathalie Dieul/Époque Times)

«Jusqu’à présent, c’est essentiellement de la superposition ou de la juxtaposition sur des bâtiments existants. On ajoute une enseigne, on ajoute un signe, on peint la façade, ce qui fait qu’au final le bâtiment montréalais disparaît sous ces signes. Là, avec différentes démolitions, les promoteurs construisent des vrais nouveaux bâtiments qui intègrent des éléments chinois. C’est particulier, ce n’est pas unique à Montréal, mais c’est un élément assez important d’affirmation culturelle, dans la continuité du projet de piétonnisation, d’intégration des symboles», remarque Jonathan Cha.

La rue de la Gauchetière est pavée de briques, auxquelles sont incorporés de grands médaillons représentant des symboles tels qu’une fleur de lotus ou le yin yang. Des arbres sont plantés et deux arches décoratives sont construites au cœur de la nouvelle artère piétonne. Le nouveau parc Sun Yat-Sen remplace un ancien stationnement et devient vite le nouveau centre du quartier chinois, un lieu de rassemblement qui se transforme en petite Chine. La majorité des nouveaux gestes d’«enchinoisement» sont en effet visibles à partir du nouveau parc situé à l’angle des rues de la Gauchetière et Clark.

Le Centre catholique communautaire chinois et le Wah Yen Tai Lou, avec leurs motifs, couleurs et textures rappelant l’identité chinoise, servent un peu plus tard d’exemple à la construction d’un immense bâtiment à vocation touristique  : l’hôtel Holiday Inn. Situé au coin de la rue Saint-Urbain et de l’avenue Viger, l’édifice très «enchinoisé» se voit dès la sortie du métro Place-d’Armes, et les temples-pagodes sur son toit sont visibles de loin.

Le revêtement choisi, de couleur jaunâtre, contraste avec la brique colorée d’orange ou de rouge du quartier. L’ornementation du nouvel hôtel démontre incontestablement son côté chinois  : icônes insérées dans les façades, balcons supérieurs typés et, surtout, deux temples-pagodes d’inspiration impériale sur le toit.

À l’intérieur du bâtiment se trouve un autre temple-pagode ainsi qu’un grand bassin avec ses petits ponts permettant de se promener sur l’eau au son des fontaines. Tout l’édifice est construit selon les règles du Feng Shui.

L’ancien quartier chinois, souvent considéré comme un taudis, retrouve ses lettres de noblesse avec ces nouvelles réalisations, en particulier grâce à l’hôtel Holiday Inn qui marque le début de la nouvelle ère touristique du quartier chinois par une «ghettoïsation positive».

 

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