Être Québécois, dans la joie et à long terme?

Se définir positivement et à l’échelle humaine

Écrit par Mathieu Côté-Desjardins, Epoch Times
23.06.2014
  • Maryse Potvin, sociologue et professeure au département d’éducation et de formation spécialisées de l’UQAM (Maryse Potvin)

«Le discours victimisant “c’est de la faute des Anglais ou des immigrants” ou “on va disparaître” qui a marché depuis les années 1970, alors que les francophones étaient un groupe minoritaire, ça ne fonctionne plus, autant chez les souverainistes que chez n’importe quel fédéraliste. Surtout chez les jeunes, ils ne se sentent pas une minorité opprimée ni ne peuvent percevoir les menaces. Le discours qui met de l’avant que l’on avance, qu’on se démarque, qu’on est des winners, c’est plus créatif et constructif», avance la sociologue Maryse Potvin, professeure au département d’éducation et de formation spécialisées de l’UQAM. Son regard et ses inspirations permettent une nuance appréciable quant au fait d’être Québécois, de comment le mettre en application dans l’immédiat et comment assurer joyeusement sa pérennité à travers l’action.

«Ce qui m’a un peu déçue dans le débat de la charte des valeurs, c’est que c’était un discours frileux, qui a peur de la différence, qui transpire la peur d’être envahi par des immigrants qui vont établir leurs règles et leurs normes et où l’on perdrait le contrôle. On doit aller à l’opposé», insiste Mme Potvin.

«Par exemple, en milieu scolaire, toutes les études scientifiques démontrent que la meilleure façon d’apprendre le français, c’est de laisser les jeunes passer de leur langue maternelle au français. Ce n’est pas en interdisant les autres langues qu’on va promouvoir le français. L’approche coercitive, ça ne fonctionne pas non plus, donc il faut globalement changer de discours», souligne la sociologue de l’UQAM.

«Entrons plutôt en mode “valorisation” du peuple québécois. On peut commencer par souligner davantage son originalité, complémentaire à notre modernité, et faire cela au plan culturel, en mettant l’accent sur nos productions théâtrales, musicales, mais aussi nos gains et notre expertise scientifique, peu importe le domaine où l’on a cette particularité de créer des avancées intéressantes», avance Mme Potvin.

Identité partagée

«Pour créer une identité forte et commune, il faut des causes communes. L’idée qu’on s’est battu au Québec dans diverses luttes sociales, en d’autres mots l’importance des avancées en matière de droits de la personne, ça se doit d’être transmis aux immigrants. Prenons comme exemple les droits des femmes. Elles ont combattu pour être des personnes à part entière. [...] Il faut trouver une façon de célébrer ça», suggère Maryse Potvin.

«Les immigrants vont bien plus se sentir Québécois quand ils vont se sentir valorisés dans ce qu’ils sont, alors qu’on va considérer leurs choix et leurs positions parfois minoritaires. Accepter la différence au sens large comme une partie de notre identité doit devenir monnaie courante pour tous. On peut aussi leur montrer que nous sommes une société à la fois diversifiée, mais profondément francophone, ingénieuse, que nous avons des ressources qui nous tiennent à cœur comme la culture, etc. Il faut que ce soit positif, gagnant gagnant pour tout le monde», en convient l’experte en rapports ethniques, immigration, accommodements raisonnables et éducation inclusive.

«Si on prend la question de la langue, il est impératif de la voir nous-mêmes et de la présenter comme un droit, mais pas une obligation. C’est le droit d’appartenir et de participer à une société. “J’ai le droit d’apprendre le français”. Ce serait gagnant! Les immigrants vont vouloir l’obtenir plutôt que de la considérer comme une obligation», soulève Mme Potvin.

L’environnement est, selon Maryse Potvin, un enjeu rassembleur qui amène tout le monde à être sur le même bateau. «C’est quelque chose qui fait partie de l’identité québécoise. Les gens ne veulent pas détruire leur planète. Ça va devenir de plus en plus important. Si on ne fait pas participer les gens sur les décisions environnementales, même les nouveaux arrivants, il risque d’y avoir un écart encore plus grand entre les politiciens et les citoyens. Il faut qu’il y ait plus de démocratie dans les décisions centrales de choix de société du Québec. Sinon, on se sépare, on se sent désabusé, impuissant; les Québécois, qu’ils soient nouveaux ou de souche, ne se mobilisent plus collectivement autour de l’identité québécoise. Quand on se sent aliéné, quand on sent qu’on n’a pas de prise, notre vécu et notre sentiment d’appartenance partent à la dérive», pointe-t-elle.

Ouverture sur le monde… et les régions

Être Québécois veut aussi dire cultiver ses liens avec ses différents organes, ses régions, mais aussi avec l’international. Selon Maryse Potvin, nous ne serions pas autant assidus à la tâche qu’on aimerait le croire. «On entend que “telle ville est jumelée avec telle autre” mais, au bout de la ligne, on ne voit pas ce que ça donne. Si on mettait juste plus en évidence et qu’on publiait davantage sur le sujet, ça permettrait de toujours faire mieux et plus fréquemment. Est-ce que c’est normal que Montréal n’ait pas eu de jumelage avec une ville du monde depuis 2001 [qui était jumelée avec Erevan, capitale de l’Arménie]. De plus, des quartiers de Montréal devraient accueillir des délégations provenant de la même ethnie que ses citoyens», propose-t-elle.

Montréal entretient des relations continues et suivies avec sept villes dans le monde : Shanghai, en Chine; Hiroshima, au Japon; Pusan, en Corée du Sud; Paris et Lyon, en France et Erevan en Arménie [source Canoe].

«Au niveau régional, toutes les écoles montréalaises devraient systématiquement avoir un projet de jumelage avec une région du Québec. Ça a déjà existé, mais le ministère de l'Éducation, du Loisir et du Sport, MELS, a coupé les subventions pour ce faire. Cela permettrait d’éviter de séparer le Québec en deux : Montréal et les régions. Ça prend de l’interconnaissance», précise Mme Potvin.

Des rues profondément québécoises

«Mettons au calendrier plus de soirées de poésie sur les coins de rue, un peu comme celle qui a eu lieu lors de la fin de semaine de la vente-trottoir de l’avenue Mont-Royal. Il faudrait avoir Dany Laferrière et des artistes du genre, qui représentent le Québec pluraliste d’aujourd’hui. Pourquoi pas un festival estival de poésie ou carrément ponctuer l’année d’événements du genre? Ça connaîtrait certainement une forte popularité. Il faut donc plus d’évènements de quartier avec des symboles du Québec moderne. On pourrait même y trouver une personnalité publique dans chacun des arrondissements», énonce Mme Potvin.

«On est l’un des endroits au monde où il y a le plus de festivals gratuits dans la rue, je suis persuadée de ça. On rend accessible notre culture au Québec, c’est une de nos marques d’originalité. Il faut mettre ça en valeur, pas juste au plan commercial et touristique, mais au plan citoyen. Les gens pourraient s’auto-organiser avec des fonds publics, comme en Suède, pour lancer des cercles de lecture par exemple. Des citoyens reçoivent un fond pour partager leur intérêt pour la lecture, ça augmente le degré de littératie, tu peux faire des clubs d’alphabétisation dans les quartiers sans trop de frais. Avec quelques dollars offerts par l’État ou la municipalité, les citoyens s’approprieraient davantage leur rue : on y verrait des groupes et ensembles musicaux apparaître en pleine rue, des tournois de hockey et un plus grand nombre de fêtes de voisins, etc.», s’exclame la jeune sociologue.

«Si on laissait les gens faire et qu’on leur donnait un peu de moyens, on verrait aussi naître des cercles d’apprentissage. Les citoyens pourraient arriver à se transmettre des avoirs et des habiletés les uns des autres, à partager des expertises, même si ce n’était qu’une heure par semaine. Malheureusement, on est dans une logique où l’on achète les services de tout le monde : tu paies quelqu’un pour faire ton CV, ton site web mais, sur ta rue, il a des gens qui le font déjà et qui pourraient t’enseigner des choses», expose Maryse Potvin.

«On est dans une société capitaliste, marchande où l’on doit tout acheter, il faut la contrebalancer par une logique citoyenne. Comme tout est commercial, je crois que c’est pour ça que les gens piratent beaucoup sur le web. Les citoyens s’approprieraient plus leur culture si c’était à l’échelle humaine. Par exemple, les auteurs veulent seulement vendre leurs livres et faire des séances de signature chez le libraire. Ce n’est pas mobilisateur», déplore Mme Potvin.

Université

«Au lieu que les étudiants aillent travailler dans des emplois ennuyeux et peu payés pendant l’été, on devrait les amener à offrir des services à la collectivité, découlant de leur formation. En éducation, par exemple, on les enverrait dans des organismes communautaires faire de l’alphabétisation. Dans Mercier–Hochelaga-Maisonneuve, on les retrouverait à faire du mentorat pour les jeunes immigrants, des activités, etc. Il faut créer des ponts dans les différents domaines, créer plus d’évènements, préparer des momentums pluralistes et mobiliser les étudiants autour de cela. On a vraiment toutes les ressources qu’il faut, il faut savoir maintenant les conjuguer», conclut-elle.