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Comment le quartier chinois de Montréal a pris son apparence chinoise

L’«enchinoisement» du quartier chinois – 5e partie

Écrit par Nathalie Dieul, Epoch Times
03.06.2014
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Fermetures de commerces fondateurs

D’un autre côté, les 10 dernières années ont vu plusieurs des commerces fondateurs du quartier chinois fermer. L’architecte paysagiste a vu de véritables institutions qu’il connaissait depuis sa petite enfance fermer. Il s’agit par exemple du magasin de thé qui était situé au coin des rues Saint-Urbain et De la Gauchetière, remplacé par une pâtisserie. M. Cha se souvient : «C’était une caverne d’ali-baba où il y avait tous les journaux chinois qui étaient en vente, et tous les thés. Il y avait un vieux Monsieur chinois qui ne parlait pas français ni anglais, qui faisait goûter les thés.»

  • Une mère et sa fille achètent des décorations traditionnelles à l’occasion du nouvel an chinois. (Nathalie Dieul/Epoch Times)

Une autre de ces institutions était le célèbre café Nanking, au coin des rues Clark et de la Gauchetière. «Dans les années 1980, tous les joueurs du Canadien de Montréal allaient manger là-bas», se rappelle le montréalais. «C’était vraiment un très très bon resto. Les proprio sont morts, ou bien ils étaient très vieux et ils sont partis.»

Dans la décennie précédente, il y avait déjà eu la fermeture d’un autre commerce fondateur que Jonathan Cha a bien connu dans sa jeunesse, un commerce qui l’a marqué : «tous les petits commerces, au coin de la Gauchetière, au coin sud, en face du parc, avant, tout ça c’était un commerce en long, un commerce des années 1950 avec un comptoir et des tabourets en métal, et derrière se trouvaient les pâtisseries, les tartes, les gâteaux. C’était la seule place où on achetait des gâteaux dans le quartier chinois. Il y avait des machines à sous. Et c’était rempli de vieux chinois qui prenaient un café, mangeaient une tarte ou une pâtisserie, jouaient aux machines [à sous]. (…)Quand ça a fermé dans les années 1990, pour moi c’était un peu comme le début de la fin du quartier chinois comme quartier vivant…»

«Il y a vraiment un changement dans le quartier chinois. C’est la réalité que les bâtisseurs ou ceux qui y ont habité toute leur vie, il y en a de moins en moins.»

Certains ferment, laissant la place à la nouveauté. Par exemple, depuis cet automne : un chef cuisinier occidental, Aaron Langille, a ouvert un restaurant dans le quartier chinois. Jonathan  Cha a remarqué le restaurant Orange Rouge, sur la rue de la Gauchetière, mais ne l’avait pas encore essayé au moment de rencontrer Époque Times. «On n’est pas habitué à voir des chefs dans le quartier chinois. (…) Là, on a un chef très célèbre de Montréal, pas très connu des gens en général, mais dans la scène culinaire il et assez connu. Il vient de s’ouvrir un resto à saveur asiatique en plein quartier chinois.»

  • Même l’intérieur du complexe Guy-Favreau est enchinoisé par de nombreux pots contenant des bambous. Les personnes âgées chinoises viennent en grand nombre s’asseoir sur les bancs pendant l’hiver.(Nathalie Dieul/Epoch Times)

L’urbanologue, amateur de cuisine chinoise, se demande si l’arrivée d’un restaurant «peut-être une coche au-dessus du point de vue de la cuisine» va amener un autre type de population à fréquenter ce quartier en pleine redéfinition. Il espère aussi qu’il restera toujours des restaurants cantonnais, puisque c’est la cuisine chinoise qu’il préfère. Ils sont de moins en moins nombreux à cause de la compétition avec les restaurants qui offrent de nouvelles cuisines de Chine et d’autres nationalités asiatiques.

Récemment, une sorte de nouveau quartier chinois s’est développée autour de l’université Concordia. «Ce n’est pas vraiment un quartier dans le sens où on ne se sent pas vraiment dans un Chinatown, mais il commence à y avoir un nombre important de commerces, d’épiceries et de restaurants», uniquement des commerces alimentaires, précise M. Cha.

À Concordia, il s’agit en particulier de restaurants de nouvelle cuisine, «une cuisine chinoise qu’on ne connaissait pas à Montréal. Et là on voit que certains de ces commerces ouvrent des succursales dans le quartier chinois. (…) Après quelques années, ça fonctionne, ils migrent vers le quartier chinois. On a vu le remplacement de vieux restos qui sont là depuis des décennies.» Tout cela amène un certain renouveau.

Vers une sixième phase d’enchinoisement ?

L’urbanologue se pose la question de savoir si un jour, une nouvelle phase d’enchinoisement pourrait rendre le quartier chinois encore plus asiatique qu’il ne l’est actuellement. «Est-ce qu’il peut y avoir d’autres gros symboles ? (…) Les arches, les pavillons, les temples, je pense qu’on ne peut pas en avoir plus. De toutes façons, il n’y a pas vraiment d’espace pour ça.» 

Au niveau des arches, en effet, il serait assez impensable d’en ajouter. Le quartier chinois de Montréal, assez petit par sa superficie, en possède déjà quatre. Le Canada compte en tout cinq quartiers chinois à travers tout le pays, qui se partagent neuf arches, dont presque la moitié se trouve dans celui de Montréal. L’immense quartier chinois de la ville de Vancouver, qui compte un grand pourcentage de population asiatique («la ville est quasiment devenue un quartier chinois»), ne compte que deux de ces arches.

Quant à celui de Toronto, «qui est assez grand, avec des commerces, l’enchinoisement est beaucoup plus restreint, ou limité à des phases beaucoup plus précoces», il n’y a jamais eu aucun grand geste pour lui donner une apparence chinoise, seulement quelques éléments de façades et quelques juxtapositions.

Pour en revenir à Montréal, la question est de savoir si une éventuelle nouvelle phase d’enchinoisement en serait une qui pourrait «accentuer, stabiliser ou diminuer le caractère chinois ? Je serais étonné qu’on revienne à un aspect plus folklorique. Il faut dire aussi que tous les symboles qu’on voit sont quand même simplifiés», s’interroge l’architecte paysagiste.

Il reste pourtant encore de la place pour de grands projets. Il y a par exemple «deux immenses terrains vacants sur Saint-Laurent, au coin de Viger et au coin de René-Lévesque, où on pourrait penser avoir des bâtiments en hauteur, même de plusieurs dizaines d’étages peut-être au coin de René-Lévesque. Il y a un gros potentiel immobilier. Si jamais il y a des partenaires chinois ou que la ville est impliquée, est-ce qu’on va marquer ça ?»

Il y a aussi un autre terrain vide en plein cœur du quartier : celui laissé par un incendie qui a ravagé une épicerie, en 2007, au coin du Boulevard Saint-Laurent et de la rue Clark. «D’un point de vue urbanistique, c’est une grande perte. Ce n’était pas un bâtiment de grande qualité, mais c’était un bâtiment qui faisait l’angle, un bâtiment un peu mythique qui a accueilli différents bars et clubs dans les années 50, 60, 70, et qui ont contribué aux nuits de Montréal.» Jonathan Cha souligne qu’il s’agit du coin de rue le plus important du quartier, avec celui de la rue Clark.

Malgré le potentiel de ces terrains, «c’est aussi typique que le quartier chinois n’arrive pas beaucoup à intéresser les investisseurs, on est un peu réfractaire à s’installer là», constate l’architecte paysagiste. Des projets d’importance auraient pourtant leur place à ces endroits. D’autant plus que la communauté chinoise est fervente de projets immobiliers, particulièrement des projets de condominiums au centre ville de Montréal. Et plus les projets sont situés près du quartier chinois, plus le pourcentage des acheteurs chinois est important, pouvant atteindre jusqu’à 70% dans certains cas.

Sur la rue Clark en particulier, il existe aussi de nombreux bâtiments désuets, souvent insalubres, qui pourraient faire l’objet de rénovations majeures dans le but d’offrir des habitations. Le quartier qui est somme toutes assez peu habité de nos jours, pourrait l’être davantage. «Il n’y a pas beaucoup de possibilités d’habitat à même le quartier. C’est plutôt un lieu de destination, autant pour les montréalais que pour les chinois», observe l’urbanologue.

Un quartier vivant

  • Il serait assez impensable d’ajouter de nouvelles arches au quartier chinois de Montréal qui en compte déjà quatre.(Nathalie Dieul/Epoch Times)

Le quartier chinois de Montréal est tout de même un quartier vivant, où «il y a beaucoup de commerces qui fonctionnent bien (…) On voit beaucoup beaucoup de chinois, donc d’un point de vue c’est un bon signe. Le quartier est vivant, comparativement au quartier chinois de Winnipeg par exemple, où je suis allé récemment : c’est mort. Il y a quelques bâtiments, mais il n’y a aucune vie», constate M. Cha.

«Dans un des meilleurs livres qui a été écrit sur les quartiers chinois au Canada (Chinatowns, towns within cities, in Canada, de David Chuenyan Lai), l’auteur parle de ce qui fait qu’un quartier chinois réussit. Il dit qu’il faut qu’il y ait des résidences, il faut qu’il y ait des commerces, une certaine activité économique, il faut qu’il y ait des lieux de cultes, des lieux de rencontre, et surtout il faut qu’il y ait un centre culturel chinois. Et Montréal a tout ça en fait : il y a les agences de voyage, les magasins spécialisés, les journaux, les épiceries, les magasins de thé…» Donc Jonathan Cha estime que, «malgré le fait qu’il soit assez réduit en terme de taille, en terme de population qui l’habite, on a là aujourd’hui un quartier chinois qui est vivant.»

Le fait que ce secteur de la ville soit petit est en fait une force : non seulement il y a de nombreux symboles chinois, mais en plus ils sont très concentrés dans l’espace. «Ça crée une belle ambiance, on est comme en voyage quand on rentre là. On est enveloppé dans tout ça.»

 

 

 

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