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Ces sages-femmes qui repoussent les limites

L’accouchement «underground» pour commémorer davantage la vie

Écrit par Mathieu Côté-Desjardins, Epoch Times
10.06.2014
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  • Marie-Anne et Mathieu montrent l’échographie de leur petit Charles-Antoine qui s’en vient, le 1er septembre 2013. (Manon Allard, artiste-photographe)

Jessie (nom fictif pour protéger l’identité de l’interviewée) est sage-femme, mais pas aux yeux de tous. Certains l’appellent «sage-femme underground», d’autres par l’adjectif français «sage-femme libérale». Même entre sages-femmes, elle est reconnue comme professionnelle par certaines consœurs de travail.

«Il y a longtemps, on appelait cela des “sages-femmes reconnues par leur communauté”. Ce n’est pas une instance au-dessus de nous qui nous reconnaît, mais bien les gens, les parents qui nous reconnaissent. Les critères ne sont pas ceux du gouvernement mais du parent. Je trouve ça encore plus vrai. C’est un acte de confiance dans les deux sens. Je m’engage envers eux et eux envers moi. On ne parle jamais d’assurances, de poursuite, jamais avec les parents. Spontanément, ça ne vient pas dans nos discussions. On est seulement des gens qui décident d’être ensemble pour un événement magique», fait valoir la sage-femme qui pratique depuis quelques décennies.

Jessie ne travaille pas dans les maisons de naissance, mais plutôt dans les maisons des gens, dans la nature, dans des tipis, etc. «Certains parents ne veulent pas avoir les services des sages-femmes des maisons de naissance qui ont une structure, une organisation qui limitent les demandes spéciales qu’ils ont des fois. Mon rôle est de me plier à la demande des gens, de m’y adapter tout en rendant le tout praticable et sécuritaire, naturellement», ajoute-t-elle.

Également accompagnante à la naissance, elle a un regard privilégié sur la situation dans les centres hospitaliers. «C’est mon chapeau officiel», lance Jessie. «Le terme ne spécifie pas où j’accompagne. J’accompagne parfois à l’hôpital, parfois à la maison. On joue avec les mots. Si on suit la loi, les femmes ont le droit d’accoucher à la maison. Mais, techniquement, je n’ai pas le droit d’y être avec elle. Il faudrait qu’elle se débrouille toute seule, ça c’est légal. Quand je vois des lois comme ça, je me dis qu’il y a erreur quelque part. Ça n’a pas de bon sens», tranche Jessie.

Au service des oubliés

Son métier lui permet non seulement d’offrir des expériences de naissance qui ressemblent aux familles les requérant, mais elle est aussi, en quelque sorte, un filet de sécurité pour le manque de place dans les maisons de naissance actuelles. «On dessert notamment les gens qui n’ont pas accès aux maisons de naissance. […] Il y a des listes d’attente, mais il y a aussi des femmes qui sont hors secteur. Les maisons de naissance appartiennent à un territoire. Si la femme n’est pas dans ce territoire, elle n’y a pas accès. Il reste de grandes régions qui ne sont pas desservies. J’habite à Longueuil, personne ici n’a accès à une sage-femme», ose affirmer la sage-femme «illégale».

«Il y a aussi une catégorie de gens qui nous cherche : les immigrants, les sans-papiers. Pour eux, accoucher à la maison, c’est ce qu’il y a de plus normal. Quand ils arrivent au Québec et qu’ils n’ont pas leur carte d’assurance-maladie, ça coûte ridiculement cher. L’hôpital demande un dépôt de 10 000 $. Ça serait un gros dossier en soi. On leur dit de venir travailler ici, mais ils sont traités souvent comme ça. On devient à l’occasion un service de première nécessité», rapporte-t-elle.

Hôpitaux forcés de se renouveler

«Lorsqu’une maison de naissance ouvre, elle doit négocier des ententes avec un hôpital pour les éventuels transferts. La femme peut également faire la demande d’aller accoucher à l’hôpital avec sa sage-femme. Au début, il y a des hôpitaux qui ont refusé de négocier. Les deux hôpitaux de Longueuil continuent de refuser ce genre d’entente, ils ne veulent rien savoir. Ils sont hors-la-loi, comme il y a bel et bien une loi qui a été mise en place pour faciliter le pont entre les deux. Ce n’est pas arrivé seulement à Longueuil, mais aussi au Lac-Saint-Jean, en Abitibi, à plusieurs autres endroits. Le gouvernement les laisse faire», se désole l’accompagnante à la naissance.

«Sinon, ceux qui ont ouvert la porte, comme l’Hôpital Saint-Luc à Montréal, en collaboration avec la maison de naissance Jeanne-Mance, ont eu l’occasion d’évoluer. J’ai pu être témoin de changements. Le fait que les spécialistes de la santé aient côtoyé des sages-femmes, sur différents comités, a créé une certaine ouverture. À l’Hôpital Saint-Luc, il y a une souplesse et une humanisation qui a pris tranquillement un peu plus de place. Peut-être que les médecins sentent une “saine” compétition et qu’ils sont poussés à changer. Pour quelle raison les gens courent-ils après les sages-femmes? C’est sans doute pour ce qu’elles offrent. S’ils restaient aussi durs et déshumanisés, la clientèle partirait complètement. Tant mieux si l’hôpital s’humanise, mais je pense quand même que les femmes sont mieux avec leur famille à la maison pour l’accouchement», croit Jessie.

«Par ignorance, la plupart des médecins s’opposent aux sages-femmes. L’idée que cela soit dangereux est toujours présente. Ils n’ont souvent jamais eu la chance de voir une sage-femme travailler de près. Même chose pour un accouchement naturel à la maison. Ils restent donc avec ce qu’ils ont appris à l’école : “C’est dangereux.” Pour être aussi dans les hôpitaux comme accompagnante à la naissance, il y a plus de risques dans les hôpitaux, de la manière dont les médecins travaillent», a constaté Jessie.

«À l’hôpital, je me dis souvent : “On ne voit jamais ça à la maison.” Tout l’environnement fait qu’une femme sera plus stressée, en plus que l’hôpital est, à la base, stressant. Elle doit accoucher vite, les médecins sont toujours prêts à faire des interventions pour activer le travail, ils ne peuvent accepter que ce soit long. Les interventions bousculent, on augmente le risque d’infection, on joue dans un processus qui est très délicat. Les hormones, c’est très complexe et fin. Si on arrive avec nos gros sabots là-dedans, on bousille tout. Après, la mère et le bébé vont moins bien. Je fais en sorte de respecter le rythme de la naissance, je les protège et fais en sorte que les hormones circulent bien, ça se fait tellement mieux à la maison. C’est un regard complètement différent», répète la sage-femme «underground».

Aller outre la formation

«Quand elles commencent à l’école, les nouvelles sages-femmes doivent prendre un stage à l’hôpital, elles passent des mois à regarder comment les médecins pratiquent les naissances. Je ne trouve pas ça pertinent. Est-ce qu’on impose aux résidents en médecine d’aller faire des stages dans des maisons de naissance? Non. Quand on regarde ces sages-femmes qui passent par les hôpitaux, on constate qu’elles finissent par se “médicaliser”», relève Jessie.

«À l’heure actuelle, il y a un mouvement de jeunes “futures” sages-femmes qui voient tout ça aller et qui n’aiment pas cela. Elles ont peur de perdre quelque chose et je les comprends parfaitement. Elles se rappellent que leur motivation qui les avait amenées à devenir sages-femmes était bien plus forte que ce que propose le modèle actuel. Il y a un retour aux sources qui s’effectue», se réjouit-elle.

  • Marie-Anne à 36 semaines de grossesse, le 1er septembre 2013 (Manon Allard, artiste-photographe)

«Il y aura justement l’été prochain, au mois d’août, un “YoniFest” au Québec. L’idée première était de se rencontrer, de se parler afin de retrouver nos racines en tant que sages-femmes. Ça a eu lieu l’an dernier à San Francisco, en Californie. Il y avait des étudiantes sages-femmes d’ici qui y sont allées. Elles ont tellement été chamboulées qu’elles sont revenues ici et ont décidé de créer le même genre d’évènement, en Estrie, à la campagne. Beaucoup de gens en provenance de l’international sont attendus. On garde le flambeau d’une ancienne façon de faire, à un rythme plus lent, plus près des familles. Ce ne sont pas toutes les sages-femmes qui sont d’accord avec ce qui se passe actuellement», partage celle qui a déjà été invitée comme conférencière dans un événement de la sorte.

Quant à Jessie, elle a un diplôme américain qui n’est pas reconnu au Québec. «De façon traditionnelle, j’ai appris à travailler avec une sage-femme libérale. On s’est formé avec des groupes d’études, on a cheminé avec des modèles d’étude américains, on a engagé nos profs, on a lu les livres à lire, on a rencontré les gens à rencontrer, on a fait des stages, le tout aux États-Unis. Là-bas, ils ont une merveilleuse façon d’évaluer les apprentissages. En accumulant les traces de ses apprentissages dans un portfolio, on passe le NARM, le “North American Registry of Midwives”, chapeauté par le MONA, la “Midwives Alliance of North America”. On doit valider nos apprentissages en passant des examens très rigoureux. J’ai beaucoup apprécié ce haut standard. Ça se doit d’être comme ça», exprime Jessie. On compte environ 1500 sages-femmes «underground» aux États-Unis.

Jessie demande 2300 $ pour l’équivalent des rencontres qu’une sage-femme «légale» propose. Cela signifie un prix nettement inférieur exigé pour le service d’une sage-femme du système de santé québécois. Cependant, ce dernier est gratuit avec la carte d’assurance-maladie.

 

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