Commerce équitable 2.0

La voie du Symbole des petits producteurs

Écrit par Mathieu Côté-Desjardins, Epoch Times
18.08.2014
  • Une peinture inspirée par le Symbole des petits producteurs. (Gracieuseté de la Brûlerie Santropol)

En 2001, lors du Forum social mondial (FSM) à Porto Alegre au Brésil, le slogan scandé par ses participants était : «Un autre monde est possible». Plusieurs commerçants équitables s’étaient réunis lors de cette rencontre au sommet. Devenus de plus en plus évidents aux yeux d’un bon nombre d’entre eux, les lacunes et le vrai potentiel de cette façon de faire des affaires les forceraient, un jour ou l’autre, à reprendre ce slogan et se positionner. Doit-on continuer à faire du commerce équitable qui a perdu de sa valeur, notamment par son succès chez les multinationales ou passons-nous à une vitesse supérieure, à un commerce équitable 2.0? Dario Iezzoni, directeur ventes et marketing de la brûlerie Santropol située à Montréal, a été l’un des rares à avoir soutenu la deuxième option qu’il chérit avec son cœur et ses actions.

Voici la définition de commerce équitable provenant du site Équiterre et datant de 2001 :

«Le commerce équitable est un partenariat commercial fondé sur le dialogue, la transparence et le respect, dont l’objectif est de parvenir à une plus grande équité dans le commerce mondial. Il contribue au développement durable en offrant de meilleures conditions commerciales et en garantissant les droits des producteurs et des travailleurs marginalisés, tout particulièrement au sud de la planète. Les organisations du commerce équitable [soutenues par les consommateurs] s’engagent activement à soutenir les producteurs, à sensibiliser l’opinion et à mener campagne pour des changements dans les règles et pratiques du commerce international conventionnel.» 


Voici où en est Dario en 2014. Bien qu’il existe plusieurs certifications équitables, il a choisi de vivre la révolution de ce domaine avec celle qui est la plus pertinente à ses yeux : celle du Symbole des petits producteurs.

«Le Symbole des petits producteurs (PP), appellation que l’on pourrait qualifier de naissante, a été créé en voyant que le commerce équitable était en train de dévier de sa mission initiale qui était celle d’appuyer des coopératives. C’est cette idée d’aller au-delà de ça», indique Dario Iezzoni.

«Le prix du café aux producteurs est basé sur la bourse de New York. Quand la bourse est, par exemple, à 1,50 $ US pour une livre de café, le producteur reçoit, en moyenne, la moitié de ce prix, soit 0,75 $ US. Pour le commerce équitable et biologique “Fairtrade”, il recevra au minimum 1,90 $ US/lb. Pour la certification de Rainforest Alliance [ONG internationale qui œuvre pour conserver la biodiversité et assurer des moyens de subsistance durables aux populations locales avec son logo de la petite grenouille verte]: entre 0,76 $ et 1,20 $ [variable selon la qualité]. Pas besoin d’un doctorat en sociologie pour comprendre que c’est peut-être un pas dans la bonne direction, mais il est timide et a peu d’impacts. Pour le Symbole des petits producteurs, on parle de 2,15 $ US/lb», partage le directeur ventes et marketing de la brûlerie Santropol.

«Pourquoi paie-t-on 2,15 $ la lb de café avec le Symbole des PP? Les PP considèrent l’évolution du système de commerce équitable qui, pendant très longtemps – de sa création jusqu’à tout récemment –, était un système de certification contrôlé par les pays consommateurs du Nord. Le Symbole des PP permet davantage le contrôle par les pays producteurs, par les regroupements de producteurs eux-mêmes. Ce geste, de passer par les PP, c’est dans l’idée de développement, d’améliorer la situation, dont notamment l’habilitation, l’empowerment [aussi traduit par autonomisation] des communautés. La suite logique du commerce équitable est que le producteur gagne en pouvoir de déterminer les normes, d’influencer le prix, de le fixer, de gérer le système de certification, etc.», insiste Dario.

  • Une cueillette «équitable» a lieu. (Gracieuseté de la Brûlerie Santropol)

«Dans le commerce équitable, il y a un inspecteur différent de celui qui fait la certification bio et celle équitable. Souvent, il ne connaît vraiment pas la réalité des producteurs. Sous le Symbole des PP, l’inspecteur fait à la fois le contrôle de la qualité biologique et de l’équitable, en plus d’être une personne qui connaît bien le milieu où il se rend. Cela rend le commerce équitable plus efficace, donc moins de perte dans tous les sens», précise le grand connaisseur «du comment on en arrive à une tasse de café».

«Cette forme de commerce équitable va plus loin que les certifications connues [Fairtrade et Certifié équitable] en s’appliquant aussi sur des produits de métier d’art à l’intérieur des pays du Sud. Le Symbole des PP, c’est également des normes qui peuvent s’adresser aux marchés locaux. Les produits ne partent plus nécessairement du Sud et prennent la direction du Nord [Amérique ou Europe]. Comme dans l’exemple qui vient d’être mentionné, on peut avoir un rapport “Sud-Sud”. Le Symbole des PP a déjà été utilisé par le ministère de l’Agriculture et des petites Entreprises en Bolivie, tout comme par le ministère du Développement économique en Équateur, comme étant la base de leur stratégie de souveraineté alimentaire. Autrement dit, c’est un outil utilisé par le mouvement de l’économie sociale du Sud, précise le passionné de justice sociale en action.

«Les PP Nord-Nord, produits du Nord pour les gens du Nord, ça existe, mais il n’y a pas encore de contrôle, de régulation, ni d’inspection, ce qui serait des étapes logiques. Mentionnons que les éléments du commerce équitable se retrouvent dans le programme du panier bio d’Équiterre et des principes d’agriculture biologique», lance Dario.

Aspect symbolique

«Quand les producteurs travaillent et qu’ils savent qu’une partie de leur production va aller à des gens qui se soucient d’eux, ça transforme littéralement leur vision du monde, tout en les amenant à mieux travailler. Même s’ils ne connaissent pas les consommateurs, ils savent qu’il y a des gens au Canada, aux États-Unis et en Europe qui se soucient d’eux. J’ai vu la différence qu’il y a entre ceux qui travaillent avec le Symbole des PP et les certifications de commerce équitable de base», affirme Dario Iezzoni.

«Chez ceux qui travaillent avec les certifications de base, le producteur sait qu’il doit respecter des règles de la culture naturelle sans produits chimiques et, d’habitude, ça s’arrête là. C’est souvent des gens qui font face à de grands défis d’alphabétisation, donc toutes ces notions-là, ils en sont bien loin. De plus, les assemblées ont beaucoup trop de choses à se communiquer pour passer seulement 15 minutes par année sur le sujet. Ça va se dérouler dans une salle en plein air, sous toit de paille, avec du bruit, des enfants qui courent autour, donc tu n’as pas la totale attention. C’est une réalité, je l’ai vécue au Pérou et en Bolivie. Les standards seront plus élevés pour ces rencontres déterminantes chez les PP, notamment en comptant les femmes qui y participent», poursuit-il.

  • Le logo «Femenino» est une certification qui permet un traitement plus juste des femmes. (Public)

Café Femenino

«Étant commerçant avec la certification du Symbole des PP, on pose toute sorte de questions que les producteurs ne sont pas habitués d’entendre. La qualité du café n’est pas la seule chose à prendre en considération. On veut savoir comment ils vivent, comment ils vont. Par exemple, comme homme, je veux savoir ce qu’on fait pour les femmes. En Bolivie, dans une culture de quinoa, au comité de vérification, je leur ai lancé : “Pis, les femmes?” Ils regardaient le plancher. Ils se rendaient compte qu’ils ne faisaient pas grand-chose pour elles. C’est l’une des raisons pour lesquelles on tient le café Femenino à la brûlerie Santropol», souligne Dario.

«Dans différents endroits du monde, il y a des femmes membres de coopératives, elles sont propriétaires d’un petit lopin, en plus de celui de leur mari. Lors des assemblées générales, elles sont invitées et elles votent. Avant toute chose, elles doivent réussir à conjuguer avec le fait que leurs enfants dépendent d’elles. Dans le projet de café Femenino, un budget est accordé à des gens qui prendront soin des enfants pendant qu’elles seront tout ouïe devant l’assemblée. Ça assure également des initiatives pour améliorer la santé des femmes, des programmes de microcrédit ou encore pour l’achat de machinerie, d’outils pour faire un travail qui les affecte moins qu’auparavant», explique-t-il.

Commerçants d’ici

«Les entreprises d’ici sont plus frileuses aux nouvelles démarches, ce qui n’est pas si différent d’ailleurs. Il y a des freins. “Est-ce assez solide comme nouveau système? Le logo sera-t-il assez connu? Comment les consommateurs vont réagir? Devant la multiplication des logos, certifications, étiquettes, ‘ti-dessins’, est-ce vraiment pertinent d’en enlever un pour en mettre un autre?” Il y a aussi une volonté d’éviter d’augmenter ses frais d’opération dans un contexte où le marché du café fluctue beaucoup et que les petits torréfacteurs sont menacés par des concurrents comme Keurig et Nespresso ou Tassimo. En haut d’un tremplin de trois mètres, on a peur de se lancer. C’est seulement quand on a pris une grosse respiration et son courage à deux mains qu’on saute. Je le souhaite aux commerçants équitables d’ici et d’ailleurs. C’est simple : c’est ce que les petits producteurs regroupés demandent. Écoutons-les!», propose Dario.

Commerce équitable 3.0?

«Pourquoi pas! Faire évoluer l’économie internationale est la direction à prendre pour créer de nouveaux paradigmes dans le monde du commerce équitable. D’abord, il faudra augmenter les achats de produits transformés au Sud. Au Canada, le café est le produit qui a le plus de chance de se retrouver sous le Symbole des PP pour l’instant, bien qu’il existe du sucre, du cacao, mais il y a aussi des croustilles, des confitures, etc. En transformant différents produits, ces PP captent une plus grande partie de la valeur ajoutée, c’est-à-dire que plus il y a de transformation dans le Sud, plus de profits et d’emplois il y a», fait comprendre l’homme engagé ici et ailleurs.

«Favoriser l’interpénétration des intérêts économiques, c’est-à-dire favoriser une plus grande participation aux profits générés dans les pays du Nord par le Sud. C’est là où il y a encore une très grande partie des bénéfices de la chaîne, même équitable. Ce n’est pas une utopie. La coopérative de cacao Kuapa Kokoo, au Ghana, détient le contrôle de l’entreprise de distribution Divine Chocolate dont les chocolats se trouvent en Angleterre, au R.-U., aux É.-U. et au Canada. Il y aurait aussi le fait de pouvoir enrichir tout le monde pour que le Sud puisse acheter nos produits aussi. Des emplois au Nord, au Sud et un environnement plus sain, les familles seront plus heureuses partout!», renchérit Dario.