MOOC déficients prenant racine dans un modèle éducatif défaillant

Écrit par Mathieu Côté-Desjardins, Epoch Times
02.09.2014
  • Le professeur associé de l’UQAM et auteur de La guerre des écoles, entre transmissions et construction des connaissances, Gérald Boutin(Gracieuseté de Gérald Boutin)

Avec une trentaine d’années d’expérience dans le domaine de l’éducation, le professeur associé de l’UQAM et auteur de La guerre des écoles, entre transmissions et construction des connaissances, Gérald Boutin, est fasciné par ce domaine des MOOC (Massive Open Online Course, en français  «cours en ligne ouvert à tous»). Ce phénomène ne l’a pas rendu indifférent, tout en ne l’ayant pas maintenu longtemps en haleine. Spécialisé pour voir ce qui se passe derrière le voile éducatif, il s’est rendu compte que les MOOC ne peuvent devenir très vigoureux, puisqu’ils sont engendrés par des universités dévalant une pente raide.

«On ne peut pas bouder le progrès», c’est ce que plusieurs disent; mais, pour M. Boutin, faut-il encore que le progrès soit réel, authentique. «Les MOOC s’inscrivent dans une suite d’évènements et de méthodes qui ont existé bien avant leur apparition. N’oublions pas que l’enseignement par correspondance existait déjà au XIXe siècle. De tout temps, l’homme a voulu partager ses connaissances. On pourrait même remonter aux XIe et XIIe siècles, alors que les maîtres et les élèves ne cessaient de circuler à travers l’Europe à la recherche du savoir. On pourrait aussi ajouter à tout cela la contribution des universités populaires. Les initiateurs des MOOC ont voulu faire croire en une très grande nouveauté. Depuis une dizaine d’années, de nombreux modèles de MOOC sont apparus et cela continue. En 2012, tout le monde parlait de ça», fait-il savoir.

«En dépit de l’emballement de certaines institutions pour transformer leurs pratiques courantes, la prudence nous invite à soumettre les MOOC à l’épreuve d’une véritable analyse, à une véritable évaluation, considérant, entre autres, les nombreuses difficultés que rencontrent les universités», rappelle Gérald Boutin.

Bien que plusieurs universités fassent le saut et se mouillent en intégrant ces nouveaux outils de transmission de connaissances, «on les voit devenir encore plus compétitives entre elles et se consacrer corps et âme à la recherche. Dans la foulée, elles ont tendance à considérer l’enseignement comme secondaire. Paradoxalement, ce mouvement vers les MOOC peut les conduire à redonner une plus grande importance à l’enseignement et à établir ainsi un meilleur équilibre entre recherche et enseignement. Il existe aujourd’hui de nombreux types de MOOC dont certains sont utilisés en lien avec l’enseignement classique alors que d’autres font cavalier seul», clarifie-t-il. 

«Le fait que d’innombrables firmes offrent à un large public des contenus de cours qui s’apparentent largement à ceux que dispensent les universités devrait amener ces institutions scolaires à se questionner sur leur rôle, sur la façon dont elles dispensent leur enseignement, sur le moyen technique qu’elles mettent à la disposition des professeurs. Un fait est certain, l’industrie du marketing s’empare de plus en plus de la transmission du savoir, selon l’idéologie qui lui est propre. Comment les universités vont-elles réagir dans les années à venir face à cette invasion? Pour l’heure, certaines d’entre elles rejettent toute collaboration avec les responsables des MOOC; d’autres, au contraire, les invitent à collaborer avec elles», souligne l’expert en formation des intervenants sociaux et des enseignants.

L’idée du modèle unique rencontre aussi ses limites à travers le MOOC. M. Boutin s’en est bien rendu compte dans sa position de vice-président de l’Association Francophone Internationale de Recherche Scientifique en Éducation (AFIRSE). «Des collègues africains, entre autres, déplorent le fait que certains auteurs des MOOC se servent de ces dispositifs pour leur proposer un modèle unique en ligne que plusieurs d’entre eux considèrent comme peu adapté à leur réalité socioéconomique et à leur culture. Certains voient même dans cette façon de procéder une tentative de propagation d’une idéologie marchande d’inspiration américaine», relate M. Boutin.

«La relation humaine, le contact, demeure irremplaçable à leurs yeux. “On aimerait rencontrer des gens, parler à du vrai monde.” Nos modes pédagogiques ou les contenus de nos programmes ne sont pas nécessairement adaptés aux besoins des populations du Tiers-Monde, à des populations en survie», avance-t-il.

Comme le comprend Gérald Boutin, les universités souffrent déjà d’importantes lacunes sur le plan logistique et matériel. Comment peut-on concevoir des investissements ou dons reçus dans les MOOC? «Comment peuvent-elles donner l’impression d’être au-dessus de leurs affaires alors qu’elles ont des amphithéâtres bondés, du matériel désuet, un soutien technique faible, en plus de crier sur tous les toits qu’elles ne parviennent pas à équilibrer leur budget», énumère-t-il. La mise en place d’un MOOC exige un déboursé important de la part des demandeurs universitaires. On parle même d’un coût de 50 000 $ par cours comme point de départ!», renchérit le professeur.

Enseignant allégé

«Il subsiste d’importants problèmes du côté des intervenants. Bon nombre d’entre eux, comme on peut le constater dans les vidéos MOOC, manquent de spontanéité», partage le passionné d’éducation qui est fréquemment invité dans les médias télévisuels afin de décortiquer certaines problématiques scolaires et familiales.

«On ne peut pas demander à tous les experts d’être automatiquement à l’aise devant les caméras, mais tout de même. C’est parfois un long apprentissage. Après avoir visité plusieurs sites, professeurs, chercheurs et étudiants ont pu constater que les présentateurs manifestent souvent peu d’humour, débitent leurs contenus comme des robots. Bref, cela manque trop souvent de naturel et rappelle certains cours magistraux et pas les meilleurs. On a parfois l’impression de se retrouver devant des marionnettes. On finit vite par s’ennuyer! Vraiment, il y a encore beaucoup à faire du côté des modes de communication utilisés par les MOOC. Ce pourrait être là une des raisons des nombreux abandons de la part de leurs abonnés!», développe-t-il.

«Les MOOC remettent au goût du jour la question de l’intention pédagogique et de l’art de communiquer. Ce sont des aspects paradoxalement peu travaillés dans le cas d’un MOOC, sinon complètement écartés. Comme la plupart des professeurs, quand j’enseigne à mes étudiants, je tente de m’adresser à chacun d’eux, à tenir compte de leurs caractéristiques personnelles. Ce type de communication en direct, en interaction constante, est impossible dans un enseignement en ligne de type MOOC ou autre. Rien ne remplace la présence physique! Il y a toute la question de la relation interpersonnelle que les MOOC ne peuvent pas recréer en dépit de leurs efforts ou de leur prétention», croit Gérald Boutin.

«S’adresser à 1000, 10 000, 100 000 personnes est très différent de s’adresser à un petit groupe, la relation enseignant-apprenant risque d’être aseptisée, déjà que dans la situation classique de l’enseignement, il reste difficile d’établir un lien authentique avec nos étudiants», relève-t-il. En plus de la présence de l’enseignant, de son potentiel à marquer nos vies, le professeur de l’UQAM se demande sérieusement si la relation pédagogique a encore une place à l’université.

«Plusieurs auteurs avaient annoncé “la mort de l’enseignement”. Les créateurs des MOOC ont aussi dit un peu cela à leur manière, que les enseignants disparaîtraient, qu’il n’y aurait plus d’universités, que les savoirs circuleraient librement dans l’air, etc. Ils se sont tous trompés», affirme M. Boutin.

«Pour que les MOOC aient une chance de trouver une forme idéale pour tous ou tout simplement pour que les études postsecondaires reprennent leurs lettres de noblesse, l’université se doit de redevenir une antenne critique, interpellant la société alors qu’elle est entrée dans l’ère des “fabriques de diplômes”, tout en plongeant trop souvent la tête la première dans des projets technologiques sans trop réfléchir», expose Gérald Boutin.

Bien que gratuits dans la plupart des cas, les MOOC pourraient constituer une source de revenus pour les universités. M. Boutin soutient qu’elles auront des livres, des outils et logiciels à vendre dans le cadre d’un partenariat avec les initiateurs de ces nouveaux moyens d’enseignement. 

Décrochage

Les décrocheurs des MOOC étant majoritaires, M. Boutin n’a pas à aller bien loin pour déclarer que trop d’étudiants universitaires n’ont qu’une seule motivation : le diplôme. «Les étudiants, en général, s’intéressent peu aux contenus. Forcément, si vous leur demandez de creuser davantage un sujet, sans une reconnaissance chiffrée à la fin, bien sûr qu’ils décrochent pour la plupart», répond-il. 

Le parallèle peut bien se faire avec la question de l’effort. Chose certaine, «il n’existe pas de moyen facile d’acquérir des connaissances, il faut faire un effort», croit-il, tout comme le pédagogue Célestin Freinet le répétait sans arrêt. Le passionné d’éducation cite un vieux proverbe : «On peut conduire un âne à la fontaine, on ne peut pas le forcer à boire», montrant bien par là les limites de toute activité éducative.

Plusieurs professeurs eux-mêmes ont décroché de leurs étudiants. Gérald Boutin se remémore l’une de ses expériences de recherche où une enseignante au secondaire avait tenté un programme similaire aux MOOC avec ses élèves, un type de pédagogie inversée qui consiste à remplacer les enseignements magistraux par du contenu en ligne. Il a noté qu’elle semblait très heureuse de ne les voir qu’une fois par semaine pour faire un retour et une discussion sur le travail fait à la maison.

«On peut bien s’imaginer que les adolescents ne se sont pas consacrés complètement à leur travail alors qu’ils étaient à la maison», ajoute-t-il. Il se désole qu’on propose aux jeunes des projets exigeant discipline et autonomie, où se prendre en main est essentiel, alors que rien de significatif n’a été fait en ce sens depuis la maternelle. «Ils vont à leur perte. On demande aussi la même chose aux étudiants qui prennent les MOOC et on semble déconcerté d’y voir 95 % de décrocheurs. En éducation, il faut baliser la route de la réussite le plus tôt possible», lance-t-il.

Avoir réussi un MOOC et l’inscrire dans son CV a aujourd’hui un effet à double tranchant. «Certains employeurs vont trouver plutôt prétentieux un candidat avec un CV comptant ce genre de réussite. On en est rendu là. C’est aussi le cas de personnes qui doivent taire le fait qu’elles ont un doctorat dans tel ou tel domaine pour ne pas être considérées comme trop qualifiées», déplore Gérald Boutin.

Sur un plan plus large, les MOOC suscitent l’inquiétude concernant la formation même des apprenants. «Ne risque-t-on pas de favoriser l’isolement, l’individualisme chez plusieurs sujets?», se demande le professeur-chercheur de l’UQAM qui laisse la réflexion ouverte.

Qui sont les personnes qui s’engagent dans les MOOC?

•    La majorité des étudiants s’engageant dans les MOOC sont déjà bien éduqués;

•    Les hommes possédant déjà un emploi sont ceux qui prédominent et beaucoup ont un âge avancé;

•    Plusieurs voient les MOOC comme une diversion plutôt qu’un moyen d’obtenir un baccalauréat ou encore un moyen afin d’obtenir un nouvel emploi;

•    Suivre un MOOC exige une situation spécifique : avoir assez d’éducation pour être capable de suivre un niveau de bachelier, avoir un accès constant à Internet et une source d’électricité fiable.

La moitié des étudiants sondés disent qu’ils prendraient un MOOC pour le plaisir et par curiosité.

•    44 % ont suivi un MOOC pour les aider à être meilleurs dans leur emploi;

•    17 % ont cherché des compétences pour réussir à obtenir un nouvel emploi;

•    13 % ont pris un MOOC pour accumuler des connaissances en vue de l’obtention d’un diplôme universitaire.

D’où viennent les étudiants des MOOC qui ont répondu au sondage?

34,32 % : États-Unis

5,76 % : Inde

3,57 % : Grande-Bretagne

4,07 % : Brésil

3,50 % : Canada

3,60 % : Espagne

3,25 % : Russie

Source : NewRepublic.com

France

•    5 % des étudiants français et 18 % des enseignants français savent exactement ce qu’est un MOOC;

•    20 % des étudiants français et 23 % des enseignants français en ont entendu parler sans trop savoir précisément ce que c’est.

Source : Opinionway

•    60 $ M ont été investis par l’Université Harvard et MIT pour lancer la plateforme MOOC edX (www.edx.org);

•    Plus de 1,7 million d’étudiants de par le monde se sont inscrits à un cours de la plateforme Coursera (www.coursera.org);

•    Plus de 370 000 étudiants se sont inscrits à des cours de la plateforme edX à l’automne 2012;

•    Le ratio étudiants-professeur était de 150 000 pour 1 à l’automne 2011 dans un cours offert sur la plateforme Udacity (www.udacity.com);

•    38,5 % des cours gratuits en ligne proviennent des É.-U.;

•    33 % des universités à être entrés dans la danse des MOOC le sont avec la plateforme Coursera.

Source : Edtechmagazine.com