Ilham Tohti condamné à la prison à perpétuité pour «séparatisme»

Écrit par Lu Chen, Epoch Times
26.09.2014
  • 23 septembre 2014: le professeur ouïgour Ilham Tohti assis au tribunal intermédiaire populaire d'Urumqi dans le Xinjiang. Il a été condamné à la prison à perpétuité pour «séparatisme» (Capture d'écran/China Central Television)

La peine a choqué les observateurs et a fait tituber sa famille: Ilham Tohti, intellectuel ouïgour modéré et professeur d'économie, a été condamné ce 23 septembre à la prison à vie par le tribunal populaire intermédiaire d'Urumqi, capitale de la Région autonome ouïgoure du Xinjiang, pour «séparatisme». Les économies de sa famille ont également été confisquées.  

Ilham Tohti enseignait à l'Université Minzu de Chine à Pékin. Il était considéré comme une voix dissidente, bien que modérée, par les politiques ethniques du Parti communiste chinois (PCC) au Xinjiang.

Il s'est opposé à ce que le Xinjiang, territoire des Ouïgours, peuple musulman turcophone, devienne un état indépendant – comme l'entendent les accusations de séparatisme – mais s'est exprimé dans ses écrits sur les besoins d'un dialogue plus ouvert sur les causes de la méfiance et des tensions entre Chinois Han, l'ethnie dominante, et les Ouïgours.

M. Tohti éditait un site web, a écrit des essais et offert de nombreux entretiens avec les médias occidentaux au cours desquels il a discuté et critiqué les politiques officielles chinoises. C'est pour cela qu'il a été harcelé et suivi pendant un certain nombre d'années – et aujourd'hui, après avoir été ramené au Xinjiang par les autorités de la sécurité locale, condamné à la prison à vie.

Cette punition extrême sera probablement perçue par les Ouïgours comme la prolongation logique de la critique qu'il avait adressée aux politiques sur les minorités ethniques.

Ces dernières années, un nombre croissant d'articles dans les médias officiels chinois, impossibles à vérifier, ont rapporté des violences ouïgoures à l'encontre des Chinois Han. La propagande officielle chinoise essaie de dépeindre ces violences comme des actes terroristes alimentés par une idéologie islamiste. Un point de vue plus largement partagé sur la question est qu'il s'agit de mesures désespérées adoptées par un peuple qui a lui-même été la cible de la terreur pendant des décennies.

  • 12 juin 2010: Ilham Tohti, professeur, blogueur et membre de la minorité musulmane ouïgoure, prend une pose avant de donner cours à Pékin. (Frederic J. Brown/AFP/Getty Images)

Cette dernière année, les informations venant du Xinjiang ont relaté les pressions croissantes appliquées sur les coutumes et le mode de vie des Ouïgours, en essayant par exemple d'empêcher la célébration du Ramadan, de restreindre le port de la robe musulmane ou de la barbe ou encore d'interdire les écoles religieuses. La présence sécuritaire a également été progressivement renforcée. Des coupables ont été dénoncés lors de rassemblements de masse et des exécutions ont été menées sous les accusations de «terrorisme».

Davantage de Chinois Han sont envoyés dans la région et certains responsables ont promis des récompenses pour les mariages entre Han et Ouïgours, ce qui ressemble à une tentative de politique explicitement assimilationniste. Le Professeur Émérite Bruce Jacobs de l'Université Monash en Australie a qualifié le règne chinois au Xinjiang de colonialisme total. 

Le Congrès mondial ouïgour, basé en Belgique, a dit «condamner dans les termes les plus forts possibles» la condamnation de M. Tohti. «Un tel résultat est complètement inacceptable et illustre le manque évident d'humanité ou de respect envers les droits fondamentaux de la part des responsables chinois», précisait la déclaration.

Le crime

La loi sur le séparatisme de la République populaire de Chine (RPC) décrit ce crime comme un acte tourné contre «le régime dictatorial démocratique populaire et le système socialiste».

Selon cette loi, les actes qui constituent le séparatisme incluent l'«incitation à la disharmonie ethnique», la «provocation de chaos ethnique» et le «sabotage de l'unité ethnique et nationale». Ces activités spécifiques qui outrepassent la loi sont déterminées par les tribunaux, qui sont eux-mêmes contrôlés par les autorités du Parti.

Nicholas Bequelin, un chercheur du département Asie de Human Rights Watch, a écrit sur Twitter: «Dans des procès tels que celui de M. Tohti, la question pour la cour est de savoir si l'accusé a critiqué ou non les politiques sur les minorités du Parti. Rien d'autre.»

Un auteur modéré

L'examen des propres écrits d'Ilham Tohti révèle un personnage différent de celui décrit par la propagande officielle. Dans un article intitulé «Mon rêve et la carrière que j'ai choisie,» publié sur le site étranger Democratic China, il décrit ce qui l'a conduit à étudier les tensions ethniques entre Chinois Han et Ouïgours.

«Après avoir voyagé en Asie centrale, en Russie, en Asie du sud et d'autres régions, j'ai vu tant de cas vivants de meurtres de vengeance en raison des conflits ethniques, de l'instabilité politique et des manquements du changement social. Cela m'a éveillé au souhait d'éviter qu'une telle tragédie se passe en Chine. Cela m'a progressivement amené à diriger tous mes efforts vers la recherche et l'étude de la problématique du Xinjiang et de l'Asie centrale.»

Une autre ligne dit: «Je crains pour ma ville natale, que mon pays sombre dans l'agitation et ne se brise».

Selon lui, les sensibilités politiques autour des questions ethniques en Chine ont exacerbé le problème.

«Il n'y a même plus de simple discussion publique sur le sujet entre intellectuels ouïgours et Han. Cela est extrêmement anormal, c'est une situation inquiétante».

Ilham Tohti a établi le site web Uighurbiz «pour permettre aux Ouïgours et aux Han de communiquer sur une même plate-forme», précise l'article.

Il conclut: «Il y a bien sûr de fortes disputes dans la communication, mais je pense que la controverse n'est pas si effrayante. C'est la suspicion et la haine créées en silence qui sont effrayantes.»

Version originale: Uyghur Scholar in China Sentenced to Life in Prison for Writings and Speech