Édito

Comme les temps changent

Écrit par Aurélien Girard
08.09.2014
  • Albert Einstein. «Deux choses sont infinies: l'univers et la bêtise humaine. Mais en ce qui concerne l'univers, je n'en ai pas encore acquis la certitude absolue.» ( Wikimédia)

Avec les saisons, «l’axe du mal» pivote, évolue, voire bascule; outil de mesure de la polarisation du globe, boussole dont l’aiguille subirait des influences magnétiques multiples, cet axe – de la crainte duquel on abreuve le monde  qui a besoin de trembler un peu pour se sentir vivre – fait année après année se manifester le «mal» à différents endroits.

Celui-ci habite, à en croire la rumeur publique, successivement différents corps, sans suivre de logique visible. Ces derniers mois, il a discrètement quitté Bachar Al-Assad, en Syrie, sa résidence principale depuis que la mort de Mouammar Kadhafi l’avait laissé à la rue. Le déménagement valait l effort, il habite depuis dans un loft charmant qui fait trembler l’Occident, avec au rez-de-chaussée la Russie de Vladimir Poutine, et au premier étage – avec vue sur Bagdad – l’État Islamique en Irak.

L’axe du mal a donc pivoté: l’Iran, grande star de nos craintes jusqu’à 2012, n’est plus qu’un régime autoritaire comme les autres, déshabillé de son costume sombre de destructeur de la paix mondiale. Au point qu’un accord sur le nucléaire – après dix ans de tensions – pourrait être trouvé avant la fin de l’année. Au point que l’Internet  s’y libère, un peu, avec l’ouverture la semaine dernière de fréquences 3G et 4G qui vont multiplier par dix la rapidité des communications entre Iraniens. Au point que Téhéran serait prêt à une coopération militaire avec les États-Unis pour éradiquer les bruyants sunnites de l’État islamique.

Et – on en rougirait presque – l'Occident se retrouve aujourd’hui en Syrie aussi à combattre de facto du même côté que les troupes régulières d’Al-Assad. Le dictateur sanguinaire d’hier est devenu, à son corps défendant, notre rempart. Les temps changent. Il suffirait d’une goutte d’amnésie collective de plus pour que ces ennemis mortels d’hier deviennent des alliés aujourd’hui. Une amnésie dont l’injection serait aussi bienvenue pour ne plus voir, par exemple, qu’en libérant la Libye de Kadhafi, l’Occident l’a transformée en champ de ruines, en zone de non-droit.

La question se pose donc, plus vive encore qu’auparavant, de la variabilité de ce que nous appelons le bien ou le mal. De nos capitales assises, on semble penser que ce dernier s’accroche à tout ce dont l’autorité commence à être contestée, ou à tout ce qui s’oppose à nos modes de vie. Et que le bien serait, lui, ce qui sert nos intérêts sans froisser de façon trop visible les principes posés par les fondateurs de nos nations.

Ici avec ses décapitations, là avec sa corruption, là encore avec sa pollution, partout avec la facilité du mensonge, la boussole de l’axe du mal pointe toujours où l’on lui dit de le faire. Elle ne dit rien de la possibilité du changement réel qui arrive parfois, comme celui que montre peut-être l’évolution de la situation iranienne, elle s'ingénie aussi à ne montrer que le mal bruyant, celui des bombes et des Kalachnikov, en laissant  de côté le mal insidieux qui s'étire ailleurs.

Einstein aurait dit: «Deux choses sont infinies: l'univers et la bêtise humaine. Mais en ce qui concerne l'univers, je n'en ai pas encore acquis la certitude absolue.» Après avoir observé notre bêtise sans y trouver rien d’autre, après une vague, qu’une autre vague pareille, il n’est peut-être pas vain de se tourner vers l'autre infini cité par Einstein. Tranquille, patient, celui-là semble nous écouter en silence. Un rien pourrait suffire, descendu d’on ne sait où, pour que les temps changent.