Prendre la pilule rouge: les professionnels de Hong Kong s’organisent après le mouvement d’occupation

Écrit par Larry Ong, Epoch Times
18.02.2015
  • Des avocats manifestent en faveur de l’indépendance judiciaire le 27 juin 2014 à Hong Kong. (Philippe Lopez/AFP/Getty Images)

La politique a rarement, ou même jamais, vraiment préoccupé les professionnels de Hong Kong. Toutefois, dernièrement, il s’est produit un genre de déclic.

Au cours des dernières semaines, médecins, avocats et financiers ont commencé à mettre sur pied des organisations prodémocratie, de manière apparemment spontanée.

Plus d’une dizaine de jeunes médecins ont fondé Médecins Inspirés en décembre dernier.

En janvier, environ 70 banquiers et financiers de Hong Kong, menés par le gestionnaire de fonds spéculatifs Edward Chin, ont fait équipe avec 50 avocats, universitaires et autres, pour créer le groupe multiprofessionnel 2047 HK Monitor.

Une semaine plus tard, deux procureurs et un avocat – Kevin Yam, Jonathan Man et Wilson Leung – ont fondé le Progressive Lawyers Group (groupe des avocats progressistes), rassemblant une cinquantaine de jeunes professionnels du domaine juridique.

Ces nouveaux groupes professionnels sont préoccupés par la démocratie et les valeurs fondamentales de Hong Kong, soit la liberté de la presse, la liberté d’expression, l’indépendance de l’aile judiciaire et la primauté du droit.

Ils demandent également au gouvernement de Hong Kong de retirer son appui à une proposition du Comité permanent de l’Assemblée nationale populaire de Chine qui a déterminé le 31 août dernier que les Hongkongais doivent élire leur dirigeant selon une liste de deux ou trois candidats choisis par Pékin.

C’est cette décision qui avait déclenché le mouvement d’occupation du centre-ville de Hong Kong pendant 79 jours et qui incite maintenant les professionnels à poursuivre la lutte pour la démocratie.

La pression augmente

«Avant le mouvement Occupy, les professionnels de Hong Kong s’impliquaient rarement de manière ouverte dans le militantisme prodémocratie», explique dans un courriel le journaliste et commentateur bien en vue Ching Cheong.

  • Conférence de presse, le 19 janvier 2015 à Hong Kong, des membres fondateurs du groupe 2047 HK Monitor (de gauche à droite) : David Webb, Edward Chin, Ching Cheong, Sing Ming (Kiri Choi/Époque Times)

Les professionnels se concentraient plutôt sur les questions qui touchent leurs domaines et ils exprimaient leurs opinions durant les élections tenues chaque cinq ans, votant pour certains sièges à l’assemblée législative qui sont supposés représenter certains groupes professionnels et d’intérêts. Pékin a augmenté la pression pendant un an avant que les professionnels de Hong Kong réalisent qu’ils devaient prendre le taureau par les cornes.

Alors que le régime communiste chinois s’attaque de plus en plus à la gouvernance et aux libertés civiles de Hong Kong ces dernières années, les professionnels ont développé une conscience civique et sont plus actifs.

En 2013, des enseignants ont fondé la Progressive Teachers' Alliance (l’alliance des enseignants progressistes) – un groupe de pression prodémocratie – car ils s’inquiétaient que les syndicats traditionnels laissaient Pékin s’ingérer dans le système d’éducation de Hong Kong.

La même année, Edward Chin a rassemblé des professionnels de la finance qui étaient préoccupés par la prolifération des pratiques d’affaires douteuses de la Chine continentale à Hong Kong et qui voulaient le franc-jeu dans l’industrie. Ils ont formé un groupe de soutien à la campagne Occupy Central with Love and Peace (occuper Central avec amour et paix), soit une série de manifestations qui s’est transformée dans l’Umbrella Movement (mouvement des Parapluies), mené par les étudiants.

Le moment critique

Plusieurs événements sont survenus en 2014 qui ont incité les professionnels à se faire entendre.

En février 2014, Kevin Lau, l’ex-rédacteur en chef du quotidien Ming Pao – une publication hongkongaise respectée – a été sauvagement attaqué au hachereau dans la rue, un événement qui en a bouleversé plusieurs.

Peu après cet incident, Ching Cheong, un journaliste chevronné, a participé à la mise sur pied de l’Independent Commentators Association (l’association des chroniqueurs indépendants), un organisme de défense de la liberté de presse.

En juin 2014, le Comité permanent de l’Assemblée nationale populaire a publié son livre blanc, déclarant que Pékin a «juridiction complète» sur Hong Kong et que les juges doivent «aimer le pays [la Chine] et aimer Hong Kong».

Les professionnels du domaine juridique ont été particulièrement troublés par l’exigence que les juges doivent «aimer le pays», comme s’ils ne faisaient que partie de l’administration plutôt que de représenter une justice indépendante et impartiale.

Environ 1800 avocats sont descendus dans les rues pour protester. C’était seulement la troisième fois dans l’histoire de Hong Kong que les professionnels du domaine juridique posaient ce genre de geste.

Et après que les procureurs ont appuyé un rare vote de non-confiance pour déposer le président de la Hong Kong Law Society, Ambrose Lam, pour avoir soutenu le livre blanc, les avocats Kevin Yan et Wilson Leung ont fondé le Progressive Lawyers Group, regroupant des professionnels du domaine juridique voulant défendre la démocratie.

Inspirés par Occupy

Environ 1,2 million de Hongkongais se sont rendus à Admiralty, Mong Kok et Causeway Bay pour participer aux manifestations et actes de désobéissance civile du mouvement Occupy, ayant débuté à la fin septembre 2014. Des gens de tous âges et horizons ont eu la chance d’interagir.

Dans les trois zones d’Occupy, beaucoup de jeunes professionnels de la classe moyenne «en ont appris davantage sur la société, sur ce qu’ils peuvent faire et ce qu’ils devraient faire», indique Alfred Chan, sous-responsable de la Progressive Teachers' Alliance.

Le mouvement des Parapluies était «très humain», mentionne pour sa part Wilson Leung. «Tout le monde a été touché par l’expérience.»

Des jeunes professionnels ont d’abord formé des groupes ad hoc durant le mouvement Occupy afin d’appuyer les étudiants, explique Ching Cheong, mais ils ont rapidement commencé à réfléchir à des questions «au-delà de leurs domaines».

«Après le mouvement, ajoute M. Ching, ils ont décidé de développer les groupes de soutien des premiers jours en quelque chose de plus permanent.»

Organisés pour agir

Ces nouveaux groupes professionnels n’ont pas l’intention de tourner autour du pot.

Peu après son relookage en janvier dernier, le 2047 HK Monitor a envoyé «dix requêtes» au Parti communiste chinois, abordant ce qu’il considère comme les valeurs fondamentales de Hong Kong. La lettre, adressée au dirigeant chinois Xi Jinping, a été publiée dans l’Asian Wall Street Journal.

  • Les responsables du Progressive Lawyers Group (de gauche à droite) : Jonathan Man, Kevin Yam et Wilson Leung (Kiri Choi/Époque Times)

Quant au Progressive Lawyers Group, son premier geste a été de dénoncer le soutien du gouvernement de Hong Kong à la décision du Comité permanent du 31 août en publiant un texte qui dissèque et rejette tous ses arguments juridiques.

Médecins Inspirés, le Progressive Lawyers Group et 2047 HK Monitor ont tous participé à une grande manifestation le 1er février dernier, le premier événement prodémocratie d’envergure depuis la fin du mouvement Occupy.

Les groupes d’avocats et d’enseignants planifient des tournées dans les écoles et d’autres activités communautaires pour sensibiliser la population au sujet de la primauté du droit, des libertés civiles et des droits de la personne.

Beaucoup de gens «ne comprennent toujours pas les buts et objectifs du mouvement des Parapluies», affirme Alfred Chan de l’alliance des enseignants.

Wilson Leung, le responsable du Progressive Lawyers Group, a résumé les effets du mouvement Occupy sur sa génération de professionnels politisés.

«Avant le mouvement des Parapluies, nous vivions dans un monde idéalisé : tout allait à merveille et c’était la joie», indique M. Leung. «Toutefois, après avoir avalé la pilule rouge, tu réalises vraiment ce qui se passe», ajoute-t-il en faisant un clin d’œil au film La matrice.

Version originale : Popping the Red Pill: Hong Kong Professionals Get Organized for Democracy Post-Occupy