Un entretien avec l’ancien conseiller de Zhao Ziyang
L’influence de Zhao Ziyang met en question la légitimité du PCC Le Dr Wu Guoguang faisait partie du groupe de conseillers de l’ancien Secrétaire général du Parti communiste chinois (CCP) Zhao Ziyang, mort le 17 janvier. M. Wu a accepté un entretien avec La Grande Époque (LGE).Pendant les années 80, Wu était parmi les cerveaux de la réforme politique lorsque Zhao était au pouvoir. Après le Massacre de la Place Tienanmen le 4 juin 1989, il a obtenu un doctorat en sciences politiques à l’Université de Princeton dans le New Jersey |
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Après neuf ans d’enseignement à Hong Kong, il est allé à l’Université de Victoria en Colombie-Britannique en tant que professeur invité et il enseigne à la fois dans le Département des sciences politiques et le Département d’histoire. Il est aussi le président du « Programme Chine » au Centre pour les initiatives d’Asie Pacifique. LGE : Le PCC a fait une annonce extrêmement discrète de la mort de Zhao Ziyang, et ne prévoit aucun service commémoratif pour Zhao, qu’en pensez vous ? [Note de l’éditeur : Au moment de l’entretien, aucun plan n’avait été fait pour un service commémoratif, mais depuis un service était prévu pour le samedi 29 janvier.] Wu : Je ne suis pas surpris. C’est un régime barbare, il donne naturellement des réponses inhumaines. Tout ce qui leur importe est leur propre position et leur pouvoir. LGE : Quelle opinion avez-vous de Zhao? Wu : Une grande chose à propos de Zhao Ziyang, une chose remarquable, c’est qu’il a pu sacrifier son propre pouvoir, sa propre position, et même sa liberté – tout ce qu’il avait – pour sa conscience, ses idéaux et les intérêts des gens ordinaires. Ceci forme un contraste aigu avec le caractère des actuels dirigeants chinois. Cela contraste aussi beaucoup avec l’atmosphère de dégénérescence de la société chinoise d’aujourd’hui. Pendant plus de 10 ans, sous les ravages de la répression et la subordination au règne despotique, cette société a oublié les règles fondamentales de la civilisation. Elle est en train de perdre la nature humaine et la sollicitude élémentaire, et ne reconnaît plus que l’argent et le pouvoir. Les gens feraient n’importe quoi, aussi méprisable que ce soit, pour l’argent et le pouvoir. Les fonctionnaires vont contre leur conscience pour obtenir des promotions et un gain personnel. En contraste, nous pouvons voir la grandeur des actions de Zhao en 1989 et, en particulier, sa persévérance pendant les 15 ans et 8 mois qui ont suivi. Naturellement, ses actions et sa persévérance sont inséparables de son idéal d’établir un système politique civil démocratique en Chine en accord avec l’intérêt commun de la population. Cet idéal et sa contribution à la réforme économique sont l’essentiel de ce sur quoi s’est établi le statut historique de Zhao. LGE : Quelle sera selon vous l’influence de la mort de Zhao sur la situation politique de la Chine ? Wu : Il semble que l’impact actuel soit de menacer la soi-disant stabilité du PCC. C’est le genre de stabilité qu’on peut trouver dans une société pourrie par la tyrannie. Ils craignent d’autoriser un service en mémoire de Zhao, ou de diffuser des nouvelles à la Télévision centrale chinoise, ou même de permettre à Bao Tong de présenter ses condoléances à la famille. Pour que cette « stabilité » soit déjà si fragile, elle doit avoir des problèmes. Pourquoi quelqu’un voudrait-il maintenir une telle « stabilité » ? Puisque le régime du PCC continue à prétendre que sa décision de 1989 était correcte et en accord avec les intérêts des gens, et que Zhao avait tort, pourquoi devraient-ils avoir peur de leur propre décision « juste » ? Ils ont même peur de faire face à Zhao Ziyang décédé. Leur décision de 1989 était uniquement basée sur le pouvoir, manquant de la plus élémentaire humanité. Pendant plus de 15 ans, ils sont allés de plus en plus loin sur cette voie descendante. À présent, ils considèrent des choses honteuses comme étant honorables. Si leur décision était si honorable et si elle a bénéficié au peuple chinois, pourquoi ont-ils peur de laisser les chinois savoir que Zhao est mort et pourquoi ont-ils peur de laisser les gens exprimer librement ce qu’ils ressentent à propos de Zhao ? Ces quelques dernières années, ce pouvoir politique a chanté sur tous les tons ses propres louanges. À présent, leurs actions concernant la question de la mort de Zhao dévoilent leurs propres ruses et ne peuvent que permettre à plus de gens de réaliser la nature de ce pouvoir politique. Je pense que ça aura aussi une influence à long terme sur la situation politique de la Chine parce que Zhao a conseillé de mener à bien des changements dans le système politique de la Chine et de mettre en œuvre un transfert politique vers la démocratie. Seul ce genre de réforme peut résoudre la série de conflits et de problèmes auxquels la Chine fait face aujourd’hui, et peut permettre au peuple de partager les bénéfices obtenus par le boom économique. Le peuple participe aussi à donner une impulsion à ce transfert. La fondation d’un pouvoir politique devrait être approuvée par le peuple, et non maintenue par une persécution brutale. Ce genre de plaidoyer et de point de vue auront une large influence à long terme sur la situation politique de la Chine parce que la Chine ne peut pas éviter de faire face au défi de la réforme du système politique. L’an dernier, à l’occasion du 85e anniversaire de Zhao, j’ai écrit un bref essai, et je l’ai intitulé « Le défi Ziyang ». Zhao est tombé en poussant la Chine à dépasser ce défi. Tôt ou tard, la Chine devra l’affronter. Plus elle en retardera le moment, plus les gens auront la nostalgie de Zhao Ziyang et réaliseront plus profondément la valeur de Zhao. Son influence défiera directement la légitimité de l’actuel pouvoir politique et la stabilité qui est maintenue par la police et l’argent. Cette situation ne fera que devenir plus dangereuse à mesure que le temps passera et que les conflits se creuseront. LGE : Pensez vous que les gens en Chine accepteront la façon dont le PCC a traité Zhao ? Wu : Je ne sais pas. Le peuple chinois a été privé du droit de savoir, du droit d’exprimer ses propres souhaits. Zhao voulait changer leur situation ces années là. Aujourd’hui, nous sommes entrés dans l’âge de l’information, mais la plupart des chinois ne savent pas que Zhao est mort. Les jeunes gens n’ont jamais entendu parler de Zhao, conséquence de 15 ans de déformation de l’histoire. En dépit de ces faits, aussitôt Zhao mort, le PCC a répondu comme s’il était confronté à un formidable ennemi. Cet ennemi n’est pas Zhao Ziyang parce qu’il est déjà mort. Son ennemi est le peuple. LGE : Les citoyens de Chine continentale ont-ils une réponse profonde quant au départ de Zhao ? Wu : Que cela puisse initier une réponse profonde – comme ce qui est arrivé après le départ de Zhou Enlai et de Hu Yaobang – n’est pas déterminé seulement par l’aspect de la citoyenneté. Lorsque Zhou Enlai est décédé, il était Premier ministre. Il avait des titres et un statut. Lorsque Hu Yaobang est mort, la situation politique générale en Chine était quelque peu relâchée. Le présent pouvoir politique est très autoritaire. Ce qu’il n’aime pas, vous ne pouvez pas l’aimer. Si vous exprimez une opinion, alors vous devez être supprimé. Naturellement, il y a des citoyens qui exprimeront leurs sentiments d’affliction. Malheureusement, beaucoup plus nombreux sont ceux qui ont peur de s’exprimer. Ils ont tout particulièrement peur d’aller le pleurer Place Tienanmen. Il se pourrait aussi que ce ne soit pas possible de le faire là. Avant de pouvoir arriver jusque là, la police ou les policiers en civil vous arrêteraient. Et cela ne date pas d’aujourd’hui. Depuis 15 ans et demi, il en est de même pour la Place Tienanmen et tout autre endroit public. N’en a-t-il pas été ainsi ? Vous ne pouvez même pas porter un vêtement jaune si vous allez Place Tienanmen en touriste. LGE : Pensez-vous que ce type de persécution à haute pression politique par le PCC réussira à réprimer les gens ? Wu : Je ne sais pas. Elle a au moins accompli son but ces 15 dernières années. Le peuple chinois s’est toujours adapté à ce qui lui arrivait, se résignant aux mauvaises conditions, avalant mêmes les insultes. Toute la société aujourd’hui paraît incapable de faire la distinction entre le bien et le mal. Il en a spécialement été ainsi ces 15 dernières années. Les gens en vendent d’autres pour le pouvoir ou des gains matériels. Non seulement tout le monde pensait comme ça, mais ils étaient envieux, ils admiraient et considéraient ce genre de personne comme des gens talentueux. Ils voulaient obtenir les faveurs de gens puissants. Peut-être que le peuple avait plus de scrupules, mais la couche sociale des gens soi-disant remarquables et des individus célèbres, la majorité d’entre eux ont été comme ça pendant 15 ans. LGE : Les problèmes actuels de la société sont très profonds. Wu : Oui, ils sont extrêmement profonds. Nous parlons de valeurs, de moralité, de personnalités, etc, non seulement parce que ces choses sont bonnes, mais parce que ce sont les ingrédients de base pour qu’une société se développe sainement. Si tout le monde bazardait ces choses, les voyous et les bandits deviendraient la force dominante dans la société. Les voyous et les bandits ne se soucient ni de votre vie ni de votre mort, ils ne considèrent que leurs propres désirs, si quelqu’un de cette stature devait contrôler une société, alors comment n’y aurait-il pas de profonds et d’extrêmes problèmes ? La seule méthode qu’ont les voyous et les bandits pour traiter ces problèmes est la brutalité. Par conséquent, d’un côté les problèmes sont profonds, et de l’autre, vous avez un contrôle politique hautement répressif, et donc ces deux choses coexistent. S’ils sont capables de réussir à réprimer les gens, alors les voyous et les bandits continueront à réussir. Viendra un jour où ils ne pourront plus complètement réprimer les gens. Lorsque cela arrivera, il n’y aura plus de retour possible, tout comme l’éruption d’un volcan. Le magma ne se tient pas tranquille avant l’éruption. Il lutte pour entrer en éruption encore et encore, mais peut-être qu’il ne peut pas passer à travers et est réprimé chaque fois. À la fin, le volcan entre pleinement en éruption. Si le magma devait monter, il s’écoulerait très rapidement. Sans pression, alors il n’y aurait pas d’éruption volcanique. Par conséquent, Zhao Ziyang discutait de la réforme politique à cette époque et il insistait sur la libération du peuple, permettre au peuple d’avoir le pouvoir de restreindre l’autorité des bureaucrates de sorte qu’ils aient un endroit pour s’exprimer, et qu’ils obtiennent justice pour les torts qui leur sont faits. Naturellement, d’un aspect positif, nous devrions avoir la possibilité d’attaquer les problèmes. Si nous utilisons l’analogie d’un volcan, on pourrait dire qu’il avait la capacité de rassembler et de contracter les énergies. Les volcans sont un type d’énergie. Zhao a indiqué que ces réformes politiques établiraient la paix à long terme. Ils ont réprimé Zhao parce qu’un tel gouvernement était totalement incapable d’accepter ce type de pensée. Ils ne l’accepteront toujours pas, même aujourd’hui. Par conséquent, ce parti a des manières fascistes vis à vis de Zhao et de son décès. Ils ne sont pas disposés à partager quoi que ce soit avec le peuple, que ce soit des avantages économiques ou l’autorité politique, alors bien sûr que les problèmes sont profonds. Plus ils le sont, plus rude la répression des dirigeants, et cette répression à haute pression crée les conditions pour une éruption volcanique. LGE : La mort de Zhao est survenue juste au moment où la vague de démission du Parti communiste arrivait. Quel est votre point de vue sur la rapide augmentation des démissions au Parti communiste parues sur Internet ? Wu : C’est aussi un type d’éruption. C’est peut-être l’écoulement du magma ! LGE : Certains se demandent, s’il n’y avait pas de Parti communiste, alors que ferait la Chine ? Quelle est votre opinion là-dessus ? Wu : Il y a beaucoup de pays qui n’ont pas de Parti communiste. Pour être plus précis, il y a beaucoup plus de pays qui ne pratiquent pas le système du Parti communiste. Comparée à la Chine, la majorité écrasante de ces pays gouverne beaucoup mieux. N’a-t-on pas dit que Taiwan faisait partie de la Chine ? Ils n’ont pas de Parti communiste, cependant leurs développements économique et politique, leurs libertés, leurs droits de l’homme et leur nationalisme se portent tous beaucoup mieux qu’en Chine sous le contrôle du PCC. En psychologie sociale, ils ont découvert ce qui est appelé le « Syndrome de Stockholm ». On dit qu’après avoir été détenu pendant une période prolongée, la psychologie d’un otage commence à se développer anormalement, il devient reconnaissant envers ses kidnappeurs, et a le sentiment que s’il les quitte il ne pourra plus vivre. Je pense que l’idée que la Chine, sans le Parti communiste, aura des ennuis, est exactement un phénomène de ce type. |