Chine : l’an 56 du totalitarisme
Intervention de Michel Wu à la conférence de Genève le 6 octobre. Michel Wu était rédacteur en chef de la section Chine de RFI (Radio France International) et correspondant de l'agence Xinhua à Paris, agence qualifiée récemment par RSF (Reporters sans frontières) comme organe de la propagande du PCC (Parti communiste chinois). |
|
Mesdames, Messieurs, Nous voilà au terme de ce cycle de conférences organisées en l’honneur de mon pays d’origine par nos amis suisses dans le cadre des fêtes de Genève. Les européens s’interrogent partout où je suis allé sur la nature du régime dit communiste de Pékin. A cette interrogation je répond par deux questions auxquelles vous avez sans doute la réponse. Je crois pourtant que ça vaut la peine de les poser: Question 1. De quel pays du monde, la dictature est inscrite noir sur blanc dans la constitution? Question 2. Nous sommes au 21ème siècle. Savez-vous que le dirigeant suprême du quart de l’humanité a été désigné par un vieil homme mourant? Je crois que ces deux questions sont parmi les bonnes pistes pour mieux comprendre la nature du régime de Pékin. Dans le même ordre d’idées, je me permets de vous indiquer que ce seraient de vains efforts si vous essayiez de classer le Parti communiste chinois selon le schéma politique européen. En fait, le PCC n’est ni de droite ni de gauche, puisqu’il n’existe qu’un parti unique en Chine. Non plus, il n’est ni communiste ni socialiste encore moins capitaliste, car ce qu’il cherche à préserver avant tout, ce n’est ni le bien-être social ni le profit, mais le pouvoir : un pouvoir total et absolu acquis pour la pérennité, un pouvoir qui n’est pas obligé de se soumettre à la constitution, aux lois et de respecter le parlement et les syndicats. Ce n’est pas le pouvoir d’un temps de mandat. Et les dignitaires du régime de Pékin ne s’inclinent jamais devant les électeurs qu’ils considèrent plutôt comme des sujets auxquels ils sont censés commander. Le peuple souverain, le pluralisme, l’élection libre, le suffrage universel, ces acquis politiques des peuples européens sont systématiquement rejetés comme des déchets de la “démocratie de la bourgeoisie”. Le régime de Pékin est par conséquent et tout simplement totalitaire. Ce régime a pour l’originalité un trucage idéologique et un maquillage institutionnel. Pour justifier leur légitimité, les chinois dits communistes ont greffé l’absolutisme millénaire sur “la critique du programme de Gotha”, cet écrit classique dans lequel Karl Marx préconisait qui préconise la dictature prolétarienne pour toute la période de transition vers un mirage qu'est la société communiste. Pour masquer le fait qu’ils sont de dignes successeurs de la féodalité, les chinois dits communistes coiffent de l’épithète “populaire” les noms de toutes les institutions du pays : république populaire, assemblée du peuple, armée de libération du peuple etc. La mise en scène est d’autant plus déroutante sur le plan international. Cependant, le bilan des 56 années du régime est bien moins éloquent : une bonne vingtaine de campagnes politiques en vue de réduire au néant toute réticence ou résistance, 7 à 8 coups d’Etat du palais pour se disputer le pouvoir et 80 millions de victimes de la dictature exercée au nom du prolétariat, et qui sont dans la plupart des cas de vrais prolétaires. Quant aux paysans qui ont suivi le mouvement de Mao, ils souffrent après 1949 d’un apartheid social par le truchement d’une politique de domiciliation qui les séparent des urbains. Après le gouffre de la révolution dite culturelle, le régime de Pékin tirant la leçon de la chute du mur de Berlin, a essayé de jouer au marché, tout en renforçant la dose dictatoriale sur tous ceux qui s’écartent de la discipline politique et sociale du Parti dont les pratiquants de Falun Gong. Néanmoins, l’économie de marché sous régime de parti unique n’est rien d’autre qu’un casino géré par la mafia. Ainsi est apparue sous la dynamique de la croissance une population appelée couramment de “plaignante” qui, après être ruinée par les fonctionnaires corrompus cherchent à porter plainte à Pékin ou dans des chefs-lieus de province. Cette “population plaignante” qui sillonne les rues et fuie la répression policière est un phénomène social typique que vous pouvez toujours constater sur place si vous séjournez en Chine. Il y a 56 ans, Mao et ses compagnons ont conquis le pouvoir sous la bannière de la démocratie. Une fois installés dans le parc impérial Zhong Nan Hai à Pékin, ils ont substitué le bureau politique à la cour. Ils ont mis au point une dizaine de plans quinquennaux sans élaborer aucune feuille de route de la démocratie. A l’heure qu’il est, contrairement à leur souhait, les contradictions sociales engendrées par la dictature accumulent rapidement de l’énergie. Selon les statistiques officielles, l’année dernière, le pays a enregistré 74 000 manifs, grèves et émeutes dûment réprimés. Les nouvelles de l’année en cours ne sont guère réjouissantes. Ces mouvements sont dispersés sur un vaste territoire. Supposons qu’ils éclatent en un seul point, ce serait, à n’en pas douter, dix fois plus forts que les événements de 1989. Les dirigeants du régime de Pékin sont partisans convaincus de la violence. Mais, on en a vu tant d’autres qui, portés par une jacquerie fulgurante se sont écroulés soudainement comme un château de carte, sans pouvoir ni vouloir comprendre que le seul système en mesure d’assurer une stabilité relative est la démocratie parlementaire. Chers amis, en terminant mon intervention, je me permets ici un conseil amical: on peut se lancer dans une aventure chinoise, mais il faut garder toujours à l’esprit les dispositifs de sauvegarde et surtout ne pas perdre de vue notre identité et nos valeurs européennes, car nous ne sommes plus les européens du 19e siècle qui cherchaient à vendre à tout prix. Et à ceux qui se retrouvent bon gré mal gré sur une position d’avocat au service du régime totalitaire de Pékin, je dis : détrompez-vous, car cette position peu enviable risque de peser lourdement sur vous-mêmes quand viendra le moment de confronter avec l’histoire.
|