Les espions chinois ont ciblé une dame de Toronto
TORONTO – Alors que Jillian Ye s’apprêtait à écouter un document audio
secret provenant d’une agence d’espionnage de Chine, elle prévoyait y
entendre des informations privées. Ce qui l’a surprise, c’est que ces
informations la concernaient directement.
«Ma foi», s’est exclamé
madame Ye, conseillère en base de données et vivant dans le secteur est
de Toronto, «Ils [les espions] sévissent partout au Canada […] je ne
sais quoi dire.»
Le document, obtenu par La Grande Époque la
semaine dernière, est intitulé «Intelligence 274(2003), série nkf03292»
et est daté du 1er septembre 2004. Il rapporte les plans détaillés de
madame Ye pour démarrer une entreprise en communication. À ce
moment-là, selon madame Ye, la compagnie n’avait pas encore commencé
ses activités et elle avait seulement discuté du sujet en privé.
«Cela
m’amène à me demander comment ils obtiennent toutes leurs informations
et avec quelle intensité ils nous surveillent», dit-elle.
Le
document était destiné au vice-directeur d’un département et livré au
ministère des Affaires étrangères en Chine. Il a aussi été envoyé aux
bureaux de la Sécurité publique de Beijing, Tianjin, Jiangsu, Shandong,
Guangdong et dans d’autres provinces chinoises.
Cible invraisemblable
Jillian
Ye, 39 ans, est chinoise d’origine. Elle est arrivée au Canada au début
des années 90 pour compléter une maîtrise en sciences informatiques à l’ University of Western Ontario. Elle est ensuite devenue citoyenne canadienne.
Madame
Ye n’a pas un historique de participation dans la politique chinoise ni
même dans l’organisation communautaire. Au premier coup d’oeil, elle
semble être la personne la moins intéressante pour les services secrets
du gouvernement communiste chinois.
C’est ainsi, bien entendu, si vous ignorez qu’elle pratique le Falun Gong.
La
famille de madame Ye était une des premières à débuter la pratique du
Falun Gong au Canada au milieu des années 90. Le Falun Gong est une
discipline spirituelle qui combine des étirements de type yoga, de la
méditation et des principes moraux basés sur l’authenticité, la
compassion et la tolérance. À ce moment-là, la pratique était acceptée
par le gouvernement chinois. Il faisait d’ailleurs la promotion de la
pratique et la réputation grandissait rapidement.
Toutefois,
alors que la popularité du Falun Gong continuait de croître en Chine,
l’organisation qui chapeautait la pratique y voyait une opportunité de
faire des profits. Le fondateur du Falun Gong a voulu maintenir la
gratuité des activités et s’est retiré de la Société de recherche et de la science du qigong.
Soudainement,
le régime chinois s’est retrouvé dans une impasse. Selon son
estimation, il y avait plus de 70 millions de citoyens chinois qui
pratiquaient le Falun Gong en 1998. Les autorités exigent que toutes
les pratiques spirituelles et religieuses soient sous le contrôle de
l’État, mais le Falun Gong n’était plus sous son égide. L’ancien
président chinois, Jiang Zemin, a commencé à percevoir cette pratique
comme une faiblesse dans l’emprise que le régime exerce sur l’idéologie
du peuple. Il a banni la discipline en juillet 1999 et a enclenché une
campagne semblable à la Révolution culturelle pour l’éradiquer. La
persécution se poursuit jusqu’à maintenant et a déjà causé 2500 morts
confirmées.
Pendant ce temps au Canada, madame Ye et des milliers
de pratiquants du Falun Gong ont commencé à plaider leur cause au
gouvernement et aux médias pour aider à mettre fin aux tortures et
meurtres qui balayaient la Chine. Les efforts parfois bien en vue de
Jillian Ye pour exposer la persécution en ont fait une cible de premier
choix pour le réseau d’espionnage de la Chine à l’étranger.
Madame
Ye et plusieurs autres personnes ont toujours su que des agents secrets
les surveillaient de près, mais elles n’avaient cependant jamais
anticipé que ceux-ci en savaient autant.
Il y a deux semaines,
Hao Fengjun, un ancien policier chinois qui avait récemment déserté en
Australie, a fourni un document, qu’il a passé hors de Chine, au sujet
de madame Ye.
M. Hao travaillait pour une branche du département de sécurité à Tianjin appelée le Bureau 610.
Il affirme que cette agence est présente partout dans la société
chinoise et à tous les niveaux du gouvernement. Selon des rapports
venant de Chine, les autorités du Bureau 610 surveillent
constamment, harcèlent, battent, torturent et tuent les pratiquants du
Falun Gong en Chine. Selon M. Hao, l’agence envoie aussi des milliers
d’espions outre-mer pour espionner les pratiquants résidant à
l’étranger.
Hao Fengjun dit que le document, qui contient les
moindres détails des actions de madame Ye pour acheter une maison à ses
parents en août 2004, a été considéré comme une information de deuxième
niveau, donnant à ce renseignement une valeur d’une centaine de
milliers de yens chinois (près de 15 000 $ CAN).
En plus des
rapports au sujet de Jillian Ye, M. Hao a passé hors de Chine une
centaine de documents similaires lorsqu’il s’est esquivé lors d’une
visite organisée en février dernier en Australie. Il y a deux semaines,
il est sorti de l’ombre et a publiquement révélé ses informations sur
l’espionnage. Il dit avoir été inspiré de la désertion d’un
fonctionnaire du consulat chinois de Sydney qui a révélé la présence
d’un millier d’espions en sol australien.
Chen Yonglin, premier
secrétaire du consulat général de la Chine à Sydney, dit que le travail
«pervers» qu’il était forcé de faire en surveillant et réprimant les
pratiquants de Falun Gong et les activistes démocrates l’a poussé à
trouver une porte de sortie.
M. Hao estime que le réseau
d’espionnage au Canada est très similaire à celui de l’Australie décrit
par Chen Yonglin. Il dit que les noms de code sont assignés en fonction
du rôle de l’espion. Ceux en charge du Falun Gong ont le code «F101».
Leur rôle au Canada était de tenir une liste des noms des pratiquants,
les harceler, les menacer pour qu’ils cessent de protester contre la
persécution menée par le Parti communiste chinois (PCC) et écouter
leurs conversations téléphoniques.
Horreurs dans la mère-patrie
En tant que policier assigné au Bureau 610 à Tianjin, M. Hao n’a pas seulement vu les rapports d’espionnage à l’étranger, mais aussi la persécution dans son pays.
Peu
après octobre 2000, il a été témoin d’un collègue qui a brutalement
battu avec une barre de fer une pratiquante de Falun Gong. La victime,
du nom de Sun Ti, était mère d’une adolescente de 15 ans. On a demandé
à M. Hao de se taire.
Un mois plus tard, un superviseur a visité le Bureau 610
et a ordonné aux officiers de ne pas craindre le sang et la mort
lorsqu’ils s’occupent du Falun Gong. Monsieur Hao dit s’être seulement
fait avertir «d’empêcher que des secrets qui pourraient influencer
l’opinion de la communauté internationale soient connus au sujet du
gouvernement chinois».
Les allégations faites par M. Hao et M. Chen ont été niées par l’ambassadeur chinois en Australie.
Jillian Ye croit que le gouvernement canadien peut faire davantage pour bloquer les actions des agents chinois.
«Beaucoup
d’immigrants chinois au Canada vivent encore dans l’ombre du Parti
communiste», dit-elle. «Ils n’osent pas appuyer le Falun Gong en raison
de la pression et peut-être que, pousser par la peur, ils font du
travail d’espionnage.»
«Si le gouvernement canadien était plus
ouvert et plus ferme dans sa critique de la persécution du Falun Gong
par le PCC et par sa campagne d’espionnage au Canada, plusieurs Chinois
se sentiraient plus en sécurité ici et ils cesseraient de faire ces
actes de surveillance contre leur gré.»