Les espions chinois ont ciblé une dame de Toronto

Écrit par Jason Loftus, La Grande Époque
19.06.2005

TORONTO – Alors que Jillian Ye s’apprêtait à écouter un document audio

secret provenant d’une agence d’espionnage de Chine, elle prévoyait y

entendre des informations privées. Ce qui l’a surprise, c’est que ces

informations la concernaient directement.

«Ma foi», s’est exclamé

madame Ye, conseillère en base de données et vivant dans le secteur est

de Toronto, «Ils [les espions] sévissent partout au Canada […] je ne

sais quoi dire.»

Le document, obtenu par La Grande Époque la

semaine dernière, est intitulé «Intelligence 274(2003), série nkf03292»

et est daté du 1er septembre 2004. Il rapporte les plans détaillés de

madame Ye pour démarrer une entreprise en communication. À ce

moment-là, selon madame Ye, la compagnie n’avait pas encore commencé

ses activités et elle avait seulement discuté du sujet en privé.

«Cela

m’amène à me demander comment ils obtiennent toutes leurs informations

et avec quelle intensité ils nous surveillent», dit-elle.

Le

document était destiné au vice-directeur d’un département et livré au

ministère des Affaires étrangères en Chine. Il a aussi été envoyé aux

bureaux de la Sécurité publique de Beijing, Tianjin, Jiangsu, Shandong,

Guangdong et dans d’autres provinces chinoises.

Cible invraisemblable

Jillian

Ye, 39 ans, est chinoise d’origine. Elle est arrivée au Canada au début

des années 90 pour compléter une maîtrise en sciences informatiques à l’ University of Western Ontario. Elle est ensuite devenue citoyenne canadienne.

Madame

Ye n’a pas un historique de participation dans la politique chinoise ni

même dans l’organisation communautaire. Au premier coup d’oeil, elle

semble être la personne la moins intéressante pour les services secrets

du gouvernement communiste chinois.

C’est ainsi, bien entendu, si vous ignorez qu’elle pratique le Falun Gong.

La

famille de madame Ye était une des premières à débuter la pratique du

Falun Gong au Canada au milieu des années 90. Le Falun Gong est une

discipline spirituelle qui combine des étirements de type yoga, de la

méditation et des principes moraux basés sur l’authenticité, la

compassion et la tolérance. À ce moment-là, la pratique était acceptée

par le gouvernement chinois. Il faisait d’ailleurs la promotion de la

pratique et la réputation grandissait rapidement.

Toutefois,

alors que la popularité du Falun Gong continuait de croître en Chine,

l’organisation qui chapeautait la pratique y voyait une opportunité de

faire des profits. Le fondateur du Falun Gong a voulu maintenir la

gratuité des activités et s’est retiré de la Société de recherche et de la science du qigong.

Soudainement,

le régime chinois s’est retrouvé dans une impasse. Selon son

estimation, il y avait plus de 70 millions de citoyens chinois qui

pratiquaient le Falun Gong en 1998. Les autorités exigent que toutes

les pratiques spirituelles et religieuses soient sous le contrôle de

l’État, mais le Falun Gong n’était plus sous son égide. L’ancien

président chinois, Jiang Zemin, a commencé à percevoir cette pratique

comme une faiblesse dans l’emprise que le régime exerce sur l’idéologie

du peuple. Il a banni la discipline en juillet 1999 et a enclenché une

campagne semblable à la Révolution culturelle pour l’éradiquer. La

persécution se poursuit jusqu’à maintenant et a déjà causé 2500 morts

confirmées.

Pendant ce temps au Canada, madame Ye et des milliers

de pratiquants du Falun Gong ont commencé à plaider leur cause au

gouvernement et aux médias pour aider à mettre fin aux tortures et

meurtres qui balayaient la Chine. Les efforts parfois bien en vue de

Jillian Ye pour exposer la persécution en ont fait une cible de premier

choix pour le réseau d’espionnage de la Chine à l’étranger.

Madame

Ye et plusieurs autres personnes ont toujours su que des agents secrets

les surveillaient de près, mais elles n’avaient cependant jamais

anticipé que ceux-ci en savaient autant.

Il y a deux semaines,

Hao Fengjun, un ancien policier chinois qui avait récemment déserté en

Australie, a fourni un document, qu’il a passé hors de Chine, au sujet

de madame Ye.

M. Hao travaillait pour une branche du département de sécurité à Tianjin appelée le Bureau 610.

Il affirme que cette agence est présente partout dans la société

chinoise et à tous les niveaux du gouvernement. Selon des rapports

venant de Chine, les autorités du Bureau 610 surveillent

constamment, harcèlent, battent, torturent et tuent les pratiquants du

Falun Gong en Chine. Selon M. Hao, l’agence envoie aussi des milliers

d’espions outre-mer pour espionner les pratiquants résidant à

l’étranger.

Hao Fengjun dit que le document, qui contient les

moindres détails des actions de madame Ye pour acheter une maison à ses

parents en août 2004, a été considéré comme une information de deuxième

niveau, donnant à ce renseignement une valeur d’une centaine de

milliers de yens chinois (près de 15 000 $ CAN).

En plus des

rapports au sujet de Jillian Ye, M. Hao a passé hors de Chine une

centaine de documents similaires lorsqu’il s’est esquivé lors d’une

visite organisée en février dernier en Australie. Il y a deux semaines,

il est sorti de l’ombre et a publiquement révélé ses informations sur

l’espionnage. Il dit avoir été inspiré de la désertion d’un

fonctionnaire du consulat chinois de Sydney qui a révélé la présence

d’un millier d’espions en sol australien.

Chen Yonglin, premier

secrétaire du consulat général de la Chine à Sydney, dit que le travail

«pervers» qu’il était forcé de faire en surveillant et réprimant les

pratiquants de Falun Gong et les activistes démocrates l’a poussé à

trouver une porte de sortie.

M. Hao estime que le réseau

d’espionnage au Canada est très similaire à celui de l’Australie décrit

par Chen Yonglin. Il dit que les noms de code sont assignés en fonction

du rôle de l’espion. Ceux en charge du Falun Gong ont le code «F101».

Leur rôle au Canada était de tenir une liste des noms des pratiquants,

les harceler, les menacer pour qu’ils cessent de protester contre la

persécution menée par le Parti communiste chinois (PCC) et écouter

leurs conversations téléphoniques.

Horreurs dans la mère-patrie

En tant que policier assigné au Bureau 610 à Tianjin, M. Hao n’a pas seulement vu les rapports d’espionnage à l’étranger, mais aussi la persécution dans son pays.

Peu

après octobre 2000, il a été témoin d’un collègue qui a brutalement

battu avec une barre de fer une pratiquante de Falun Gong. La victime,

du nom de Sun Ti, était mère d’une adolescente de 15 ans. On a demandé

à M. Hao de se taire.

Un mois plus tard, un superviseur a visité le Bureau 610

et a ordonné aux officiers de ne pas craindre le sang et la mort

lorsqu’ils s’occupent du Falun Gong. Monsieur Hao dit s’être seulement

fait avertir «d’empêcher que des secrets qui pourraient influencer

l’opinion de la communauté internationale soient connus au sujet du

gouvernement chinois».

Les allégations faites par M. Hao et M. Chen ont été niées par l’ambassadeur chinois en Australie.

Jillian Ye croit que le gouvernement canadien peut faire davantage pour bloquer les actions des agents chinois.

«Beaucoup

d’immigrants chinois au Canada vivent encore dans l’ombre du Parti

communiste», dit-elle. «Ils n’osent pas appuyer le Falun Gong en raison

de la pression et peut-être que, pousser par la peur, ils font du

travail d’espionnage.»

«Si le gouvernement canadien était plus

ouvert et plus ferme dans sa critique de la persécution du Falun Gong

par le PCC et par sa campagne d’espionnage au Canada, plusieurs Chinois

se sentiraient plus en sécurité ici et ils cesseraient de faire ces

actes de surveillance contre leur gré.»