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Jiu Ping, 40 ans après

Écrit par Michel Wu pour La Grande Époque
02.06.2005
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Discours de Michel Wu à l’Assemblée nationale de Paris lors d’une conférence de presse qui s’est tenue le 30 mai, à l’occasion de l’anniversaire du massacre de Tiananmen. Cette conférence était intitulée « Droits de l’Homme et communisme en Chine. » Michel Wu, ancien rédacteur en chef de la section chinoise de RFI, a exposé un lien intéressant entre la série des Neuf commentaires parus en 2003-2004 dans The Epoch Times avec une première série de 9 commentaires, rédigées par le Parti communiste chinois lui-même. Cette première série critiquait alors les conduites du Parti communiste de l’Union soviétique, qui tendait vers le renoncement de la guerre. 

  • Michel Wu, l'ancien directeur de la section chine de RFI (Radio France Internationale)(攝影: / 大紀元)

 

Je vais commencer mon exposé par un mot chinois : « Jiu Ping » qui signifie neuf commentaires. C’est un mot qui aurait pu être, tout comme « taikonaute »a, un événement médiatique. Paraissant peut-être un peu trop elliptique, Jiu Ping est pourtant suffisamment significatif pour éveiller la curiosité professionnelle de la presse occidentale. « C’est de la chinoiserie » affirmait un ami journaliste qui n’est pas initié à l’astuce de la culture chinoise déformée et rehaussée par un régime qui fait du fusil et de la plume les deux piliers de son pouvoir.

Durant ces 40 dernières années, la vie politique en Chine a été marquée par deux Jiu Ping – Neuf commentaires

La première série de neuf commentaires a été publiée dans les années 60 du siècle dernier, plus précisément entre 1963 et 1964, par la revue théorique du Parti communiste chinois (PCC) Drapeau Rouge et le Quotidien du Peuple. Ces fameux commentaires répondaient à une lettre ouverte du comité central du Parti Communiste d’Union Soviétique, portant à l’apogée une polémique qui avait éclaté 10 ans auparavant à la suite des travaux du 20ème congrès du PCUS au cours desquels Nikita Khrouchtchev, alors secrétaire général, commençait à liquider les héritages politiques de Joseph Staline décédé en 1954. Le PCC était très fier de son offensive puisque Nikita Khrouchtchev fut remplacé par Léonid Brejnev avant que ne soit épuisé la série de ces neuf commentaires politiques. Jiu Ping entra dans le vocabulaire politique et le PCC voulait montrer de cette façon au monde l’efficacité de la plume tout comme le fusil dans ses mains.

Quarante ans après, alors que le même Parti communiste s’est vu obligé de reprendre sur son compte tous les reproches qu’il faisait à Nikita Khrouchtchev et au PCUS, une autre série de neuf commentaires est publiée le 19 novembre dernier par The Epoch Times, un journal indépendant créé à New York par des journalistes chinois. Les nouveaux Jiu Ping dissèquent, de son origine jusqu’à nos jours, le PCC et la pratique meurtrière du stalinisme en Chine. Il constitue un bilan noir construit pourtant avec les faits et chiffres glanés dans les publications officielles chinoises. En lançant cette diatribe sous la forme de Jiu Ping - neuf commentaires - ses auteurs ont sans doute voulu souligner l’impitoyable ironie du sort que l’histoire a réservée à un régime qui, en désespoir de cause, a renfilé aux années 80 le pantalon du révisionnisme khrouchtchévien qu’il avait attaqué à boulets rouges au nom de l’orthodoxie du mouvement communiste international.

De quoi le PCUS était-il accusé il y a 40 ans ?

Et bien, à part le procès de Staline, c’est surtout la ligne générale du mouvement communiste international qui se trouvait au centre du débat. Pour Khrouchtchev et compagnie, le camp socialiste devait jouer davantage sur la paix que la guerre, c’est-à-dire, coexistence, compétition et transition pacifiques à l’échelle internationale, et mettre en oeuvre sur la plan intérieur un Etat du peuple tout entier et un Parti du peuple tout entier. Ce n’était alors pas du tout du goût du PCC. Il y voyait un flagrant abandon de la révolution mondiale et de la dictature prolétarienne. Il accusait notamment le PCUS de chercher à transformer la dictature prolétarienne en un règne de la bourgeoisie bureaucratique, restaurant ainsi le capitalisme en URSS.

 

 

Soutien financier du PCC aux autres partis communistes ou aux partis nationalistes en vue d’établir une révolution socialiste mondiale.

Sur la lancée du succès de ses Jiu Ping, le PCC a redoublé d’ardeur dans ses efforts en vue du triomphe de la révolution mondiale, en offrant aux autres partis communistes une généreuse aide financière et aux mouvements de libération nationale une assistance militaire en armes et en munitions. Moi-même, j’ai été témoin de l’intervention chinoise dans la guerre pour l’indépendance algérienne. L’été 1962, quand j’allais franchir la frontière entre le Maroc et l’Algérie, un commandant - dit Stempouli - m’affirmait dans le camp d’Oujda : « Savez-vous combien nos combattants savent gré au PCC ? Tous les matins, avant de prendre le petit-déjeuner, ils crient en chœur : Vive Mao ». Il a confirmé que leurs armes légères, les munitions ainsi que les chaussures, les uniformes, les couvertures et les tentes moustiquaires étaient tous fournis à titre gracieux par la Chine communiste. Ici, je n’ai pas à m’étendre sur la douloureuse histoire commencée par un coup de l’éventail. Je témoigne tout simplement que l’intervention du PCC dans la guerre d’Algérie faisait bien partie de sa stratégie de révolution mondiale.

« Dans la Chine d’aujourd’hui, qui est-ce qui incarne mieux que le parti communiste la dictature de la bourgeoisie bureaucratique ? »

Sur le plan intérieur, deux ans après la publication des Jiu Ping fut déclenchée la grande révolution dite culturelle qui s’est soldée par un million de victimes innocentes, la faillite de centaines de grandes entreprises d’Etat et la vaste campagne en friche. Tout comme Mao qui n’a pas hésité à déclencher au plus fort de l’aventure des hostilités à la frontière nord pour « mettre les point sur les i », Deng, le petit timonier, a lancé la guerre de punition contre le Vietnam pour redresser la situation. Mais il savait que l’aventure révolutionnaire étant terminé à l’échelle planétaire, il fallait changer de cap et tant pis pour les Jiu Ping anti-révisionnistes. L’ouverture et la réforme se sont accompagnées d’une sérieuse remise au point idéologique : la triple politique de paix chez Khrouchtchev est devenue la diplomatie de paix, l’Etat et le parti du peuple tout entier se sont soigneusement introduits dans la nouvelle invention doctrinale suite au rejet de certains aspects du maoïsme, et plus tard, la théorie de triple représentativité a ouvert aux patrons la porte du parti et engagé le processus permettant d’inscrire dans la constitution le droit à la propriété privé. Dans la Chine d’aujourd’hui, qui est-ce qui incarne mieux que le parti communiste la dictature de la bourgeoisie bureaucratique ?

Les changements fulgurants en Chine communiste posent pourtant une question pertinente : est-ce qu’en Asie la guerre froide est tout aussi terminée ?

Force est de constater que sur la péninsule coréenne, les deux camps continuent leur face à face à couteau tiré ; les missiles de la Chine communiste braquent en bouquet sur Taiwan et menacent les USA ; le Japon n’a toujours pas récupéré les quatre îles du nord ; enfin, contrairement à ce qui s’est passé en Europe, aucun régime communiste ne s’est écroulé en Asie. Pour les dirigeants chinois qui se succèdent au pouvoir, la chute du mur de Berlin n’est qu’un revers et jamais ils n’y voient la fin d’une époque. Ils ont affirmé et réaffirmé qu’ils sont d’un parti marxiste et que toutes les réalisations de ces dernières années ont été enregistrées à la lumière d’un marxisme qu’ils considèrent comme un devoir de développer. Dans cette optique, il y a lieu de croire que si la Chine devenait la première puissance mondiale, Pékin se réclamerait être la première puissance communiste mondiale et qu’alors serait sonnée l’heure de la reconstitution du mouvement communiste international.

« Le visa pour les journalistes et sinologues et le droit au reportage, à l’enquête, à la diffusion et à la retransmission feraient l’objet sans exception d’un chantage à peine voilé. »

La réponse à la question : est-ce qu’en Asie la guerre froide est terminée ? serait d’autant plus claire si on examinait un peu ce qui n’a pas changé en Chine communiste. Pour éviter de tomber dans les ornières des pays de l’est, le PCC a, après la chute du mur de Berlin, renforcé sa dictature oligarchique en proclamant haut et fort qu’il n’accepterait jamais la démocratie pluraliste - cette invention maligne de la bourgeoisie occidentale. Il n’a pas abandonné le culte de la violence ni relâché la mainmise sur les médias. Là-dessus, je me permets d’ouvrir une parenthèse. A l’heure qu’il est, il est surtout tenté par une mise au pas des médias et de l’intelligentsia à l’étranger. Le visa pour les journalistes et sinologues et le droit au reportage, à l’enquête, à la diffusion et à la retransmission feraient l’objet sans exception d’un chantage à peine voilé. Le but est de vous forcer à suivre sa ligne éditoriale et d’adapter vos produits à ses besoins politiques. Pour cela, l’argent ne leur manque pas. Dès la fin de la révolution culturelle, Deng avait décidé de reverser dans la propagande à l’étranger le fonds destiné auparavant à financer la révolution mondiale. Là non plus, la structure ne s’est pas défaite. Une commission interministérielle ad hoc créée en 2003 a été chargée de la besogne. Dans le même temps, il a cherché partout un auteur qui puisse écrire une nouvelle Etoile sur la Chine comparable à l’œuvre d’Edgar Snow. Un banquier écrivain américain a accepté de jouer le jeu. Pourtant, sans aucun scrupule, le département de la propagande a censuré dans la traduction de son œuvre tous les paragraphes gênants pour Jiang Zemin. La désagréable confrontation des versions, anglaise et chinoise, est honteusement étalée dans la presse hongkongaise. L’affaire Eutal-NTDTV en est un autre exemple frappant. NTDTV, cette fenêtre de la liberté, sera-t-elle fermée dans quelques jours sous la pression politico-économique de Pékin ? Le monde suit de très près ce combat entre le totalitarisme et la démocratie.

« On m’a formellement demandé de me taire sur le Falungong en me remettant un sac de brochures et cd de propagande anti-falungong. »

En 2002, moi-même j’ai été invité à prendre un café par l’ambassade de Chine à Paris quand j’avais encore la charge de l’émission en mandarin à Radio France Internationale. On m’a formellement demandé de me taire sur le Falungong en me remettant un sac de brochures et cd de propagande anti-falungong. Ma réponse était bien entendu négative. J’ai dit à mon interlocuteur qu’en l’absence de toute enquête indépendante et libre, les ordures que les autorités chinoises ont versées sur le Falungong n’étaient pas convaincantes puisque de 1992 à 1996 pendant quatre années durant, il faisait cinq colonnes à la une dans la presse officielle et mes oreilles résonnent toujours de la voix métallique des speakers chinois qui proclamaient « Fa lun da fa hao » (le Falungong est bon). Et comment se faisait-il que patata, ce mouvement qui préconise une autre philosophie que la lutte de classes et entraînait dans son sillage plus d’adhérents que les militants du parti et cela jusqu’à la plus haute hiérarchie, est devenu du jour au lendemain « secte », « bande » ou « organisation réactionnaire » ou encore « terroriste. » Il est en fait l’un des derniers parias politiques que le régime ne cessait de créer depuis un demi-siècle pour s’affirmer sur la scène politique en Chine. Je profite de cette occasion pour lancer un appel à une enquête de la presse internationale à ce sujet puisque sous un simulacre d’inculpation, plus de deux milliers de personnes ont succombé à la torture des plus barbares en prison et que le Falungong, malgré la répression digne d’un autre âge, a réussi à s’implanter dans une soixantaine de pays du monde. Et l’on entend partout les représentants de la Chine communiste qui s’adressent aux chinois et étrangers qui ne leur plaisent pas : « Etes-vous du Falungong ? » à l’instar de la gestapo qui poursuivait la population juive.

« Derrière la splendide façade d’un pays dopé à flot par dollars et euros se cache une réalité bien moins rassurante. »

Je reprends le fil de mon intervention. Derrière la splendide façade d’un pays dopé à flot par dollars et euros se cache une réalité bien moins rassurante : la réforme des entreprises d’Etat se heurte aux intérêts des tenants du pouvoir en haut comme en bas, les bourses craquent, les laissés pour compte d’une société ultra libérale et communiste souffrent d’un déséquilibre matériel et psychologique qui risque l’explosion. Enfin, de l’aveu des journalistes chinois, la concentration des pouvoirs a fait apparaître ostensiblement un législatif corrompu, une justice corrompue et un exécutif corrompu. Un beau bateau qui part à la dérive avec un discours officiel non moins déroutant.

L’actuel secrétaire général Hu Jintao déclarait à l’occasion du 110ème anniversaire de la naissance de Mao : « L’histoire est un long fleuve. Aujourd’hui provient d’hier et demain est la continuation d’aujourd’hui. » Pour lui, l’objectif du PCC est de « réaliser la modernisation du pays, la réunification intégrale de la patrie et la grande renaissance de la nation chinoise. » Comment atteindre l’objectif ? Il enchaîna : « L’histoire a montré que seul le parti communiste était capable de nous diriger dans l’instauration d’un régime socialiste, que seul le socialisme est en mesure de sauver et de développer la Chine et que c’est seulement en persévérant dans la voie socialiste que nous pouvons réaliser la grande renaissance de la nation chinoise. » Hu n’a pas précisé si cette grande renaissance de la nation chinoise ne se fera que sur le sol chinois. Pourtant, dans des salons plus ou moins privés à Pékin, l’espace vital et l’arme démographique ne sont plus des sujets tabous au même titre que l’ingénierie génétique à des fins militaires, quand les généraux abordent non sans inquiétude la pénurie des ressources par rapport à la croissance d’une population encombrante et emportée par un chauvinisme ambiant.

Le qualificatif de « socialiste » que s’attribuent les régimes communistes.

Il est à noter que dans tous leurs énoncés officiels, le mot socialisme et l’adjectif socialiste sont omniprésents. Qu’est-ce que cela veut dire quand on sait par exemple que l’économie a toujours été de marché, alors pourquoi pas « l’économie socialiste de marché » ? Et bien cette phraséologie tant répétée veut dire à sa façon que l’économie de marché en Chine est placée sous la houlette du Parti communiste. Mais là, la question demeure toute ouverte et pertinente : quel est ce socialisme qui est tant chéri par le PCC ? On entend souvent dire qu’il s’agit d’un capitalisme camouflé. Par contre, après avoir comparé la montée de l’Allemagne nazi et la récente métamorphose de la Chine communiste, des observateurs avertis se demandent si l’on fait face sans en être conscient à un autre national-socialisme. On attend un Gorba, aura-t-on finalement un Adolf ? Une sommité académique officielle a éventé la mèche en dévoilant une loi qu’elle a découverte au prix d’études laborieuses : un Etat au-dessus du peuple plus le mercantilisme égalent la puissance prospère. La sueur froide dans le dos, non ? En tout cas, ce serait une très mauvaise surprise pour ceux qui croient fermement qu’un plus un font deux.

« En l’espace de moins de six mois et grâce à l’Internet et aux voyageurs, près de deux millions de militants communistes ont annoncé sur le net qu’ils se retiraient du parti. »

Oui, Mesdames et Messieurs, c’est sur ces entrefaites que sont parus les deuxièmes Jiu Ping. De par la solidité de ses arguments et la force d’une plume objective mais sans complaisance,la série des Neuf commentaires de The Epoch Times a su refléter le cœur des dizaines de millions de victimes du règne communiste en Chine et trouvé par conséquent un écho logique mais un peu inattendu. En l’espace de moins de six mois et grâce à l’Internet et aux voyageurs, près de deux millions de militants communistes dont la plupart se trouvent sur le continent ont annoncé sur le net qu’ils se retiraient du parti. Ce mouvement qui continue à prendre de l’ampleur a lieu sur le fond d’une vaste campagne de désobéissance civile. Par ailleurs, les Jiu Ping de The Epoch Times ont trouvé également un écho favorable parmi tous les courants de la dissidence en Chine comme à l’étranger. Les dissidents de Mao, de Deng, de Jiang et de Hu y voient tous un bon élément fédérateur auquel ils multiplient les gestes d’adhésion. On dirait un nouveau souffle de la longue marche des chinois vers la liberté et la démocratie, mais aussi le clairon pour terminer la guerre froide en Asie et en finir avec le communiste sur notre planète.

Heureux de terminer mon intervention sur cette note positive, je tiens à rendre hommage à vous tous, les illustres élus des peuples européens, pour tout ce que vous avez fait, 16 années durant, en faveur du peuple chinois. Il vous sera reconnaissant.

Je vous remercie de votre attention. 

 

 

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