Beijing, sous un épais brouillard
Érosion et diminution de la fertilité des terres agricoles, pollution
industrielle, salinisation des sols, dépérissement des forêts, la Chine
connaît un lot de problèmes environnementaux qui risquent fort de
s’accentuer dans les années à venir si rien n’est fait. Après
l’explosion de l’usine pétrochimique de Jilin en novembre dernier, puis
d’une autre à Guangzhou, puis d’une autre encore, la Chine, et
particulièrement Beijing, est désormais emprisonnée sous un épais smog
depuis bientôt plus de deux semaines.
Pourtant, les prévisions
météorologiques au-dessus de la capitale chinoise annonçaient du temps
clair et ensoleillé, mais les 15 millions d’habitants de Beijing n’ont
pu voir le bleu du ciel une seule fois lors de cette période.
Habituellement balayée par les vents en provenance de la Sibérie,
l’épaisse masse d’air polluée stagne au-dessus de la ville créant ainsi
des conditions sanitaires difficiles pour les jeunes enfants, les gens
ayant des problèmes respiratoires et les personnes plus âgées.
Figurant
à seize des vingt premières positions du palmarès peu reluisant des
villes les plus polluées au monde, c’est plus de 400 millions de
citadins chinois qui respirent annuellement de l’air vicié par bon
nombre de polluants atmosphériques. Selon l’Agence d’État pour la
protection de l’environnement chinoise (SEPA), on compte près de 15
millions de cas de bronchite ou de cancer respiratoire chaque année.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime d’ailleurs que les
coûts de santé reliés à la pollution de l’air représentent 7 % du PIB
chinois.
En septembre 2005, l’Agence spatiale européenne (ESA) a diffusé une carte réalisée par le satellite Envisat
montrant l’ampleur du plus gros nuage de pollution au monde au-dessus
de Beijing et du nord-est de la Chine. À cause du dioxyde d’azote (NO2)
provenant des voitures et des industries, il y a formation d’ozone
troposphérique (O3). Le smog photochimique prend place à la suite d’une
inversion des températures des masses d’air bloquant la diffusion vers
le haut des masses d’air au sol.
Selon les données publiées par l’édition de septembre de la revue Nature,
la concentration atmosphérique de NO2 de cette région a subi une
augmentation de 50 % entre 1996 et 2004. Les auteurs de l’étude ont
d’ailleurs révélé que cette augmentation rapide ne correspond pas aux
statistiques officielles d’émission fournies par le gouvernement
chinois. Pendant cette même période, l’étude démontre que pour
certaines régions d’Europe et d’Amérique du Nord, la concentration en
NO2 a diminué légèrement et que les informations recensées
correspondent aux données d’émission fournies par les autorités
respectives.
Les besoins énergétiques chinois sont principalement
comblés par la combustion d’un charbon de piètre qualité (jusqu’à 5 %
de soufre) qui génère dans l’environnement des quantités de dioxyde de
soufre phénoménales. Mentionnons que le dioxyde de soufre est à la base
de la formation des pluies acides. Effectivement, près de 70 % de
l’énergie fournie aux Chinois est à base de charbon et, maintenant,
plus de 30 % du territoire de la Chine subit les conséquences des
pluies acides. Compromettant la santé principalement de la faune et de
la flore marine, l’acidification des cours d’eau est un phénomène
naturellement irréversible.
«La Chine ne doit pas être blâmée
pour consommer autant, mais il faut tirer l'enseignement de ce qui se
produit lorsqu'un tel segment de l'humanité s'élève rapidement sur
l'échelle de l'économie globale. Le plan A, le business as usual,
n'est plus une option viable. Nous devons rapidement trouver un plan B
avant que la géopolitique déterminée par le manque de pétrole, de
céréales et de matières premières conduise à l'instabilité économique,
à des conflits politiques et au désordre social[1]», soutient Lester
Brown, président du Earth Policy Institute à Washington.
Or, les
autorités chinoises commencent à saisir l’ampleur de la situation.
Débutant cette année, le nouveau plan quinquennal prévoit doubler le
budget alloué à la protection de l’environnement.
«Ils
commencent à reconnaître qu'ils doivent procéder à des modifications,
mais ils ne sont pas encore allés jusqu'à dire en public que le modèle
occidental ne marchera pas chez eux» ( Agence France-Presse, 5 janvier 2006), a noté M. Brown lors de la présentation de son plus récent livre Plan B2 pour sauver une planète stressée et une civilisation en danger.
Entre-temps,
il sera difficile de cacher ce problème grandissant et le régime ne
peut, devant chaque caméra, orchestrer la scène qu’il avait montée lors
de l’annonce de la tenue des Jeux olympiques dans la capitale il y a de
cela quelques années. Pour l’occasion d’une conférence de presse devant
les médias étrangers, le gouvernement avait ordonné la fermeture des
usines pour quatre jours consécutifs, de manière à éclaircir le ciel de
sa pollution habituelle. Pour ce qui est du gazon, sec et mort
asphyxié, on l’avait tout simplement peinturé de vert.
[1] KOLLER, F (2006). La Chine au bord de l’asphyxie, Société (Paris), 25 janvier 2006.