Incursion dans la saga nord-coréenne

Écrit par Noé Chartier, La Grande Époque
17.10.2006

Il était démontré dernièrement que les États-Unis ont envahi l'Irak en se basant sur des informations erronées fournies par leurs agences de renseignement. Saddam Hussein ne possédait pas vraiment d'armes de destruction massive. Nous connaissons la suite.

  • Un soldat nord-coréen patrouille les rives de la rivière Yalu dans la ville de Sinuiju, de l’autre côté de la ville frontalière chinoise de Dandong le 15 octobre 2006.(攝影: / 大紀元)

 

Pendant ce temps, le régime stalinien de Kim Jong-iI en Corée du Nord préparait tout bonnement son accession, par la porte arrière, au club sélect des puissances nucléaires mondiales.

Représentait-il une menace moindre à la sécurité internationale? La réponse est bien sûr que non, mais il est difficile de tirer une simple conclusion de cette affaire et de comprendre avec lucidité sa complexité. Tentons une petite incursion...

Autres informations erronées

Le monde entier savait que ce test se produirait éventuellement. En 2002, il était révélé que la Corée du Nord recherchait l'arme nucléaire et, en décembre de cette même année, elle expulsait les inspecteurs de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). Quelques jours plus tard, elle se retirait du Traité de non-prolifération (TNP). Plus tard, en 2003, elle annonçait son succès à produire un carburant nucléaire. Finalement, en 2005, Pyongyang se retirait des négociations à six (Chine, Corée du Sud, États-Unis, Japon et Russie), avec comme excuse les sanctions financières de Washington qui ont pour but de mettre un terme au piratage et au blanchiment d'argent.

Le monde aurait-il été pris par surprise par l'action désespérée de la Corée du Nord?

C'est difficile à croire. Selon les informations diffusées par le quotidien de Glasgow The Herald, il semble que ce serait le cas, du moins pour les États-Unis. Selon des fonctionnaires du Département d'État américain cités par le journaliste Ian Bruce, des espions étasuniens auraient averti la Maison Blanche que la Corée du Nord ne possédait pas d'armes nucléaires et qu'elle «bluffait probablement» au sujet de la conduction d'un test nucléaire souterrain. Les fonctionnaires américains auraient dit qu'il y avait au moins dix mauvais jugements de la part des agences de renseignement, par exemple, que le programme nucléaire coréen ne posait pas une menace immédiate.

En blâmant du mauvais renseignement, les fonctionnaires américains pourraient essayer d'excuser leur inaction ou leur mollesse dans le dossier ces dernières années. Il demeure surprenant qu'avec ses quinze agences d'espionnage, l'administration américaine demeure incapable d'obtenir l'heure juste sur la question aussi délicate que la prolifération nucléaire. Mais encore, nombreuses comme elles sont, elles ont la permission d'avoir le dos large, comme dans le cas irakien.

Un vrai test?

Il était soufflé pendant la fin de semaine que les Américains auraient découvert certaines traces de radioactivité près du site présumé du test nucléaire nord-coréen. D'autres pays, dont la Corée du Sud, n'ont de leur côté pas obtenu ces résultats jusqu'à présent.

Il semble que plusieurs jours soient nécessaires pour l'obtention de résultats plus précis. C'est ce qui explique les messages divergents envoyés de part et d'autre.

Le quotidien sud-coréen Chosun Ilbo, entre autres, indiquait le 11 octobre 2006 que des avions militaires américains à la fine pointe de la technologie – qui détectent les radiations et qui sont basés au Japon – après avoir été dépêchés suite à l'observation de signes de test nucléaire en Corée du Nord, n'avaient remarqué rien d'anormal.

Tant qu'un diagnostic clair n'aura pas été établi, plusieurs hypothèses vont circuler concernant le test. Il y a bien eu une explosion, provoquant une secousse sismique de 4 sur l'échelle de Richter. On s'entend en général pour dire qu'elle était de l'ordre d'environ 500 tonnes. Était-elle rattachée à du plutonium? Si oui, l'explosion aurait pu ne pas être suffisamment puissante pour déclencher la fission d'atome qui produit une explosion atomique. Selon cette théorie, le régime coréen aurait échoué son test et pourrait être tenté d'en effectuer un autre. L'autre hypothèse est qu'il s'agissait de pur bluff de la part du dictateur nord-coréen Kim Jong-iI.

La Chine mène le bal

Après le jusqu'à maintenant présumé test, les médias internationaux s'étaient emballés de la position chinoise qui le «condamnait sévèrement», ce qui semblait démontrer pour une rare fois une distance entre les régimes communistes de Beijing et Pyongyang. La Chine s'est vite retrouvée dans la position du conducteur, forte de son veto au Conseil de sécurité, et jouant le rôle de protecteur de la Corée du Nord face à des sanctions qui pourraient provoquer l'ire de Kim Jong-iI.

L'agence de presse officielle du régime chinois, Xinhua, qualifiée de «plus grande agence de propagande au monde» par Reporters sans frontières, envoyait un message particulier suite au présumé test nucléaire; des paroles reprises par aucun autre média. Sur son site Internet, il était écrit le 10 octobre 2006 que la Chine «n'a pas changé sa politique de développer des relations de bon voisinage avec la République démocratique populaire de Corée (RDPC), même si le test a eu des impacts négatifs sur les liens». Le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Liu Jianchao, poursuit en disant que «la Chine va continuer de développer des relations de bon voisinage et de coopération amicale avec la RDPC et cette politique est inébranlable».

Les États-Unis ont quand même dit très diplomatiquement, le 13 octobre, qu’il n’y avait pas de «fracture idéologique» entre eux et la Chine alors que les négociations allaient bon train au sujet des sanctions à imposer au régime nord-coréen et que la Chine demeurait dans cette position de contrôle.

La Chine doit vraiment s'efforcer de maintenir le statu quo dans le béton armé. Toute vague d'instabilité chez son voisin pourrait avoir de sévères répercussions chez elle. À prime abord, il y a la question des réfugiés nord-coréens que la Chine s'évertue à retourner dans leur pays d'origine où ils font face à une mort presque certaine. Elle ne désire être envahie si le régime tombait. D’autre part, dans un scénario catastrophe, elle n’a aucunement envie de revivre les événements de la Guerre de Corée (1950-53) où elle a perdu près d’un million de soldats dans l’effort de Staline d’étendre son domaine de contrôle à toute la péninsule coréenne.

L’autre point important est qu’une chute du régime stalinien nord-coréen pourrait affecter la stabilité interne de la Chine continentale. Même si cette dernière est entrée dans l’ère du capitalisme avec beaucoup de vigueur, les dirigeants et idéologues du régime misent encore sur la propagation de l’idéal socialiste pour désamorcer l’insatisfaction grandissante causée par les inégalités titanesques et la corruption généralisée. Pour l’aile dite «conservatrice» du Parti communiste chinois, la Corée du Nord représente l’exemple de «pureté idéologique».

L’effondrement d’un des derniers «frères» communistes pourrait gangrener le régime chinois et lui faire perdre cet État-tampon, sans foi ni loi, qui lui permet de transiger avec d’autres pays amis par un canal alternatif.

La filière chinoise

Selon la BBC, l’Iran est le seul pays à avoir ouvertement défendu le geste de Kim Jong-iI. Téhéran, également aux prises avec la communauté internationale au sujet de son programme nucléaire, bénéficie de la même protection russe et chinoise que la Corée du Nord au Conseil de sécurité de l'ONU.

L’ambassadeur d’Israël aux États-Unis, Danny Ayalon, craint maintenant que la Corée du Nord et l’Iran collaborent ensemble. «Maintenant que la Corée du Nord a prouvé sa capacité nucléaire, elle risque de collaborer avec l’Iran et accélérer son programme nucléaire», a-t-il dit dans des propos rapportés par le Daily Telegraph. «Dans ce contexte, des sanctions [contre Téhéran] deviennent de plus en plus urgentes», ajoute-t-il.

Ses craintes pourraient arriver un peu tard, car la Corée du Nord exporte depuis belle lurette armes et technologie à une foule de pays qui n’apprécient guère Israël ou les États-Unis : Iran, Syrie, Pakistan, Yemen, etc.

Les plus gros fournisseurs de matériel militaire de la Corée du Nord et de l’Iran sont la Chine et la Russie. Des analystes y voient un appui indirect aux réseaux terroristes internationaux qui déstabilisent l’Occident. Dans un article précédent de La Grande Époque, il était question du transfert de missiles de conception chinoise, par l’entremise de l’Iran, au Hezbollah libanais qui avait lors du récent conflit permis de détruire une frégate israélienne au large des côtes.

Responsabilité américaine

L’Iran blâme les Américains pour les agissements de la Corée du Nord. Il considère que l’attitude impérialiste et hégémonique des États-Unis, qui cherchent à s’imposer dans tous les domaines par toutes sortes de moyens, est la cause du présent conflit. Le comportement combatif du régime stalinien est une réponse à l’oppression des sanctions américaines qui pèsent sur lui.

Cette idée est bien répandue. La guerre au terrorisme et l’intervention américaine en Irak sont des facteurs qui alimentent la création de pôles de résistance, qu’ils soient organisés en États ou simplement constitués d’éléments plus ou moins souples.

C’est d’ailleurs ce qui a tout dernièrement poussé le plus haut gradé de l’armée britannique, le général Sir Richard Dannatt, à émettre des commentaires qui ont profondément ébranlé son pays. «Je ne dis pas que les difficultés auxquelles nous faisons face à travers le monde sont causées par notre présence en Irak, mais il n’y a aucun doute que notre présence en Irak les exacerbe», a-t-il dit. Il a aussi dit que ses troupes devraient se retirer «vite». Inutile de dire que ces propos ont bouleversé Tony Blair.

Faiblesse américaine

Selon des analystes stratégiques interrogés par l’Agence France-Presse (AFP), c’est précisément le conflit irakien qui permet à la Corée du Nord un regain d’agressivité. L’embourbement des troupes américaines en Irak serait perçu comme une source de faiblesse de l’administration Bush, qui doit en plus faire face au mécontentement des citoyens.

Le cas irakien est aussi source de crainte, car Pyongyang voit que les Américains peuvent attaquer un autre pays sans l’aval de la communauté internationale. Il y a donc là une justification de s’armer jusqu’aux dents, avec l’arme nucléaire si nécessaire. Le président du Venezuela, Hugo Chavez, raisonne sensiblement de la même façon, martelant sans cesse que les Américains pourraient l’envahir pour s’accaparer les richesses pétrolières de son pays. C’est ainsi qu’il bâtit également son arsenal. On retrouve le même son de cloche chez son homologue iranien, Mahmoud Ahmadinejad.

Le vice-président du Council on Foreign Relations, Guy Samore, croit que la Corée du Nord se sent renforcée par l’attitude de l’Iran, qui refuse de se plier aux demandes occidentales. «[Les Nord-Coréens considèrent les États-Unis comme très faibles et distraits par la situation au Proche-Orient», a expliqué M. Samore à l’AFP. «Je ne pense pas que ce que les États-Unis disent [à la Corée du Nord] ait beaucoup d'importance parce que les Nord-Coréens ne voient pas les États-Unis en position de force. Ce qui compte, c'est ce que les Chinois et les Sud-Coréens disent en privé à la Corée du Nord.»

S’il est vrai que les Américains ne sont pas en position de s’élancer dans une autre aventure militaire, ils ont tout de même 30 000 soldats positionnés en Corée du Sud et 50 000 au Japon. L’armée sud-coréenne est pour sa part forte de 700 000 hommes.

Militarisation de la région

Cette faiblesse des États-Unis, le «gendarme du monde», est en fait une arme à deux tranchants. D’un côté, elle permet à court terme d’éviter l’affrontement. Mais de l’autre, son incapacité d’assurer la sécurité de ses alliés dans la région asiatique les poussera à s’armer davantage, ce qui déclencherait une course aux armements que la Chine menait jusqu’à présent par de grandes enjambées.

Shinzo Abe, arrivé récemment au pouvoir au Japon, veut sortir son pays de l’état de «nain politique» sur la scène internationale, désire également revoir la constitution japonaise qui empêche le pays de posséder une armée en bonne et due forme, héritage de la défaite de la Seconde Guerre mondiale. Les Japonais ont présentement une force d’autodéfense bien armée.

La mollesse de la position américaine, à la remorque de la Chine, n’est rien pour sécuriser les Japonais. Mais jamais, à moins d’un revirement majeur de l’opinion publique, accepteraient-ils de s’élancer dans la course aux armes nucléaires. Ils sont les seuls à avoir subi la terreur des bombes atomiques et cultivent, depuis 1945, un pacifisme exemplaire. Toutefois, existe le principe d’inter-engendrement. Tokyo y est allé de sanctions unilatérales bien salées envers Pyongyang. Pyongyang a, pour première cible, le Japon. Les Japonais le savent.

Sanctions, solution?

Après une dilution de la résolution américaine par un effort sino-russe, le Conseil de sécurité a adopté, le 14 octobre 2006, des sanctions contre la Corée du Nord. Cette dernière a condamné la résolution : «[La Corée du Nord] rejette totalement la résolution 1718 qui vient d'être adoptée», a dit l'ambassadeur de la Corée du Nord à l'ONU, Pak Gil-yon. «Le Conseil de sécurité utilise des méthodes de gangster en adoptant aujourd'hui une résolution coercitive tout en négligeant la menace nucléaire, l'action en faveur de sanctions et les pressions des États-Unis contre la Corée du Nord», a-t-il dit.

Il a aussi dit que «si les États-Unis persistaient à accroître la pression sur la Corée du Nord, celle-ci continuera à prendre des contre-mesures concrètes en considérant [ces pressions] comme une déclaration de guerre».

Le président américain, George W. Bush, s’est dit satisfait de la résolution. «C'est une résolution unanime envoyant un message clair au dirigeant nord-coréen concernant son programme d'armement. Cette initiative des Nations Unies, qui a été rapide et forte, montre que nous sommes unis dans notre détermination de voir une péninsule coréenne dénucléarisée.»

Certains analystes plus conservateurs aux États-Unis estiment qu’il n’y aura pas de paix tant que le régime stalinien de Kim Jong-il sera en place. Ils avancent que dans les considérations de part et d’autre, peu de gens se soucient réellement du sort des Nord-Coréens qui vivent sous la dictature la plus terrible de la planète depuis plus d’un demi-siècle.

Un d’entre eux, D. J. McGuire du China Support Network, estime que la Corée du Nord doit être libérée. «Lorsqu’il s’agit du régime staliniste, plusieurs dans les corridors du pouvoir dans le monde démocratique focalisent sur les négociations et/ou une action militaire limitée. La réalité est qu’aucune de ces options, aussi pratiques peuvent-elles sembler, peut réussir, car elles incluent maintenir le régime staliniste en place. Le peuple de la Corée du Nord doit plutôt être libéré de ce régime et avoir la chance de reprendre son pays.»

Les organisations humanitaires, quant à elles, s’inquiètent des conséquences des sanctions, surtout avec l’hiver qui s’en vient. «C'est un pays très fragile et très pauvre où nous essayons d'aider la population», explique Jaap Timmer, responsable à Pyongyang de la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, dans des propos rapportés par l’AFP.

«L'aide humanitaire ne devrait pas dépendre de décisions politiques, donc nous espérons que, d'un point de vue moral, les populations ne pâtiront pas des pressions exercées sur le gouvernement nord-coréen.»