Le Panama face au miroir de ses ambitions

Écrit par Marc Gadjro, La Grande Époque
23.10.2006

  • Une femme passe devant une publicité en faveur de l'élargissement du canal de Panama. Le référendum a eu lieu le 22 octobre 2006.(攝影: / 大紀元)

 

Deux millions d’électeurs panaméens étaient conviés aux urnes, ce 22 octobre 2006, pour un référendum historique. Appelés à se prononcer pour ou contre l’élargissement de leur Canal, ils décidaient ainsi de l'avenir du principal point de passage entre les océans Atlantique et Pacifique. Un projet de modernisation prévoit en effet la construction d’une nouvelle voie de navigation pour permettre aux bateaux de grand gabarit d’emprunter le Canal. Coût de l’opération : plus de 5 milliards de dollars US. Les détracteurs du projet appellent à voter contre, en affirmant que les revenus ne profiteront pas à la population.

Le triomphe annoncé du «Oui»

Les sondages annonçaient une large victoire du «Oui» avec 70 % des intentions de vote en faveur du projet du gouvernement. Ardent défenseur de l'opération, le président panaméen n'a pas hésité à peser de tout son poids dans la campagne: «L’élargissement est une nécessité», clamait ainsi en cette fin de semaine le fils du général Omar Torrijos qui a négocié le traité remettant le Canal aux Panaméens.

L’Autorité du Canal de Panama (ACP), qui gère le Canal depuis le départ des Américains à la fin de 1999, n'a pas non plus lésiné sur les moyens pour défendre la vertu de ses «coûteuses» ambitions. Avec l’augmentation des échanges commerciaux entre le nord-est de l’Asie (en particulier la Chine) et les États-Unis, le Canal sera saturé en 2012, l’élargissement est essentiel pour assurer sa prospérité face à la concurrence des autres routes maritimes, explique le directeur de la planification de l’ACP, Rodolfo Sabonge : «ne pas élargir le Canal, c'est réduire son potentiel, si les files d'attente s'allongent aux extrémités du canal de Panama, les armateurs chercheront une alternative». Et notamment d’autres routes comme le canal de Suez ou le transport terrestre par les États-Unis ou le Mexique.

  

Une entreprise pharaonique

Le projet du gouvernement prévoit de construire un nouveau chenal de navigation, parallèlement aux deux voies qui existent déjà, pour permettre aux plus grands navires d’emprunter le Canal. Cette troisième voie entre le Pacifique et l’Atlantique, plus large que les deux premières, sera dotée d’écluses coulissantes. Elle permettra le passage de mastodontes de 366 mètres de long, 49 mètres de large et de 15 mètres de tirant d'eau, des bâtiments baptisés «navires post-Panamax», trop larges et trop longs pour franchir le Canal actuellement. Aujourd'hui, ces gros paquebots doivent contourner le continent américain par le cap Horn pour relier les ports de l'Atlantique à ceux du Pacifique.

Dernier argument qui pèsera dans le choix des Panaméens, la promesse de créations d’emplois et de revenus. Selon l’ACP, le chantier de l’élargissement va générer 7000 emplois directs et 35 000 indirects. Le Canal, dont la construction a été lancée à la fin du 19e siècle par l’ingénieur français Ferdinand de Lesseps, a été achevé par les Américains et ouvert au trafic maritime en 1914. Il est un moteur principal de l’économie de ce petit pays d’Amérique centrale : 80 % du PIB est lié à l’activité du Canal. Et pour cause, 5 % du commerce maritime mondial passe par l’isthme. Plus de 14 000 navires le franchissent chaque année, générant une recette de 1,2 milliard de dollars. Après l'élargissement, la capacité du Canal passera à 17 700 bateaux par an.

Une opacité révélatrice des problèmes de société

Faute de savoir-faire, le Panama fera appel à des sociétés étrangères qui se partageront les contrats. Le budget global prévu est de 5,25 milliards de dollars US, mais l'addition pourrait se corser au fil du temps. Les détracteurs du projet représentés par différentes associations civiles, des syndicats et des intellectuels, dénoncent une sous-estimation de la facture et l’évaluent à 8 milliards de dollars US. Le camp du «Non» dénonce aussi «le manque de transparence du projet» et plaide pour «un plan national de développement». Selon eux, «il s’agit d’un projet qui répond aux intérêts de l’oligarchie panaméenne».

Au Panama, 40 % de la richesse nationale est entre les mains de 80 familles d’origine européenne. Le camp du «Non» a également dénoncé la campagne en faveur du «Oui» conduite à coup de millions de balboas (la monnaie locale) par le gouvernement, l’ACP et les entreprises. Ils estiment que le gouvernement ferait mieux de s’impliquer dans la lutte contre la pauvreté qui touche 40 % de la population.