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Afrique : Enjeux politiques d'un continent «saturé de sens»

Écrit par Zora Ait El Machkouri, La Grande Époque
05.10.2006
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Dans son dernier ouvrage sorti le 16 septembre 2006 dans les librairies de Montréal, Introduction à la politique africaine, Mamoudou Gazibo analyse avec méthodologie et pédagogie les principaux moments de la politique africaine. Professeur au département de sciences politiques de l’Université de Montréal, Mamoudou Gazibo se donne comme objectif ambitieux de nous faire saisir l'Afrique politique dans toute sa complexité. Pour ce faire, il tient compte de la diversité africaine, tout en soulignant les défis communs. Il se penche également sur les grands débats liés à la nature de l'État en Afrique, sur la portée réelle des processus de démocratisation ainsi que sur l'efficacité d'une construction comme l'Union africaine. Un pari réussi qui offre autant aux initiés qu'aux débutants un panorama et une synthèse des grands enjeux de l'Afrique contemporaine. Nous avons rencontré M. Gazibo.

  • intérieur du parlement du Ghana(攝影: / 大紀元)

 

La Grande Époque (LGÉ) : L'objet d'étude auquel vous vous attaquez n'est rien de moins que l'Afrique. Comment arrive-t-on à faire une synthèse des enjeux politiques d'un des continents les plus complexes qu’il soit?

Mamoudou Gazibo : Analyser un continent de 53 pays requiert des précautions. J'ai privilégié d’abord une dynamique transversale qui a permis de mettre en exergue des logiques communes entre les différents pays africains. Ce qui m'intéressait était de savoir ensuite comment, dans l'espace africain, ces logiques politiques se manifestaient différemment en fonction des dynamiques variées que l'on retrouve à travers le continent.

LGÉ : Vous tenez à bien définir votre méthodologie dans la première partie de votre ouvrage. Pourquoi une telle précaution?

M. Gazibo : Cette partie me semble fondamentale, notamment le premier chapitre qui pose la question des méthodes. En effet, il pèse sur l'Afrique un véritable stock de préjugés et d'idées reçues. Nous devons être conscients de ces préjugés et de la manière dont ces préjugés affectent le discours, universitaire ou non, que nous pouvons tenir sur l’Afrique. En ce sens, le débat des méthodes est indispensable. Dans le chapitre 2 qui clôt la première partie, j’ai tenté, non pas de proposer un modèle théorique, mais de fournir l’éventail des approches théoriques à partir desquelles les chercheurs qui se sont penchés sur l'Afrique ont tenté d’en comprendre les grands enjeux, tels l’État, le développement ou l’intégration. Cela permet de s’y référer et de mieux comprendre certains phénomènes empiriques plus loin dans le livre.

LGÉ : Vous décrivez l'Afrique comme un continent «saturé de sens». Est-ce que ce «trop plein» nous empêche de saisir, au final, l'essence même de l'Afrique?

M. Gazibo : C'est une expression que j'emprunte à Achille Mbembe. C'est vrai que l'Afrique est investie de représentations et d'images. Ceci agit comme une sorte d'écran, de barrière à la connaissance. C'est pour cela qu'au début de mon livre, j’attire l'attention du lecteur sur les risques auxquels s'exposent les chercheurs qui se penchent sur l'Afrique. Il faut briser cet écran si on veut connaître l’Afrique de manière intrinsèque.

LGÉ : Vous soulignez que l'Afrique est associée inéluctablement aux clichés issus de la colonisation et de l'esclavage. Sont-ce vraiment ces deux faits historiques qui nous ont donné une image déformée de l'Afrique d'aujourd'hui?

M. Gazibo : Nous ne pouvons pas dire qu'ils sont la source de l'image déformée que nous avons de l'Afrique. Mais ce sont des moments de cristallisation des perceptions négatives des Africains. Depuis la Grèce antique, l'Afrique a été vue comme mystérieuse et sombre. Comme on ne la connaît pas, on élabore des hypothèses parfois fantaisistes comme l’idée d’Hérodote selon laquelle le sperme des Noirs serait noir… Il en est de même de l’interprétation à laquelle a donné lieu la malédiction de Cham dans la Bible. Ces préjugés remontent donc à très loin, mais c'est vrai qu'avec la traite et la colonisation, nous avons un passage des idées reçues à une forme d'animalisation. Les Africains sont alors vus comme des outils vivants et, avec la relation de domination qui s'installe entre les colonisateurs et les Africains, les idées reçues se sont littéralement vitrifiées.

LGÉ : Au sujet de la colonisation, vous citez un passage procolonisateur saisissant de Victor Hugo, pourtant grand défenseur de la liberté, qui recommande de s'emparer au plus vite de la terre africaine.

M. Gazibo : Effectivement, les idées reçues sur l'Afrique ont du mal à être extirpées encore aujourd'hui, car elles sont portées par des gens qui sont sur un piédestal dans la pensée occidentale. Je ne fais aucunement le procès de Victor Hugo, qui pensait sûrement bien faire. Mais les clichés et les perceptions qui stigmatisent sont d'autant plus véhiculés que des grands noms de la pensée occidentale les ont portés, même à leur corps défendant. Je ne parle même pas ici des thèses sur l’inégalité des «races» portées par des auteurs comme de Gobineau.

LGÉ : Vous vous intéressez spécifiquement à la politique africaine. Peut-on dire qu'il y a une influence directe entre le type de colonialisme subi par les pays africains et le type de régime établi après la décolonisation?

M. Gazibo : Les colonisations ont varié en intensité et en méthode et expliquent en partie les régimes africains. Avec le processus de décolonisation et la socialisation des élites, les colonisations vont léguer des héritages. Au cas par cas, la nature de la colonisation, sa durée, le type de socialisation des élites africaines, le processus de décolonisation vont générer des États différents. Un pays comme le Congo par exemple a tout de suite sombré dans le chaos après le départ des Belges. Le Congo est devenu ingérable. Mais il faut prendre en compte également les stratégies de conquête et de conservation du pouvoir utilisées par les élites africaines.

LGÉ : Une des «solutions» africaines est la création de l'Organisation de l'Unité africaine (OUA), maintenant connue sous le nom d'Union africaine. Nous l'avons vu récemment au Darfour, l'Union africaine connaît des difficultés. Pourquoi?

M. Gazibo : L'union ou la fédération de pays africains est une vieille question des années 60. Le choix était de faire soit une union, soit une organisation plus légère. C'est cette seconde option qui a été adoptée, car plusieurs facteurs empêchaient l’adoption d’une union, comme l'influence encore forte des anciens pays colonisateurs ou encore les luttes de leadership et les rivalités entre les différents dirigeants africains. Aujourd'hui, au sein de l'Union africaine, il y a beaucoup de détermination politique, mais l’attachement à la souveraineté des pays membres, ou encore les querelles de leadership, est encore fort. Il est difficile d’adopter une ligne directrice engageant tous les États. Il faut aussi tenir compte de la faible capacité de projection de puissance de la plupart des États africains qui limitent leur engagement au Darfour.

LGÉ : Un conflit qui prend de l'ampleur sur le continent est le conflit somalien qui oppose les tribunaux islamistes et le gouvernement intérimaire. Quel est votre point de vue sur la situation?

M. Gazibo : Le conflit somalien renferme trois dimensions. D’abord, une dimension interne qui inclut le clivage entre les miliciens islamistes et le gouvernement intérimaire, qui n’en est pas vraiment un puisqu'il ne contrôle que Baidoa, la capitale provisoire. Ensuite, une dimension régionale, puisque l'Éthiopie soupçonne l'Erythrée de soutenir les tribunaux islamistes dirigés, entre autres, par d'anciens militaires qui avaient déjà pris part à la guerre de l’Ogaden contre l'Éthiopie dans les années 70. Les islamistes ont dit vouloir contrôler l’espace peuplé par les Somalis et s'ils restent dans cette logique, les risques de crise majeure seront augmentés. Enfin, la dernière dimension est internationale. Les États-Unis accusent certains chefs des tribunaux islamistes d'avoir des liens avec Al-Qaïda, dans la droite ligne de la croisade contre le terrorisme international que mènent les Américains. Toute cette dynamique est porteuse d’incertitudes.

LGÉ : Face à toute cette complexité, peut-on rester optimiste au sujet de l'avenir politique de l'Afrique?

M. Gazibo : Il y a certes encore des problèmes profonds en Afrique comme les inégalités économiques, la corruption, le chômage, les conflits. En tant que chercheur, on doit mettre l'accent sur ces difficultés afin de les analyser. Mais depuis une dizaine d'années, plusieurs évolutions positives peuvent être relevées en Afrique au plan politique comme économique. Beaucoup de pays africains peuvent être cités en exemple en matière de démocratisation et de progrès de l’État de droit. Je pense au Ghana, à l’Afrique du Sud, au Bénin ou encore au Mozambique. Au plan économique, plusieurs institutions comme l’OCDE ou la Banque mondiale ont montré des signes de reprise économique encourageants dans des rapports récents. Il ne faut donc surtout pas s’avouer vaincu.

Mamoudou Gazibo, Introduction à la politique africaine, Editions P.U.M, Collection Paramètres, 2006.

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