Qui a tué Mohamed Taha ?

Écrit par Yuhai Sela
05.10.2006

Le corps du journaliste soudanais Mohamed Taha a été retrouvé décapité le 3 septembre à Khartoum, la capitale soudanaise, seulement quelques heures après qu’il ait été kidnappé.

D’après la police de Khartoum, ses pieds et ses mains étaient attachés lorsqu’on lui a coupé la tête. Aujourd’hui encore, les raisons de sa mort restent discutées : puni pour avoir « blasphémé » Mahomet ou bien gênant pour le pouvoir soudanais ?

Mohamed Taha et la controverse

Taha était le directeur de la publication du journal El Wifaq et était connu pour ses articles controversés, notamment au sujet de la politique des organisations islamiques vis-à-vis du génocide au Darfour. Il évoquait également le manque de coopération entre les organisations islamiques et internationales. Malgré son appartenance au Front national islamique, Taha n’hésitait pas dans ses colonnes à parler de l’effet dévastateur de l’islamisme radical et des relations trop fragiles entre les différentes factions du Soudan. Il avait foi dans l’amélioration de son pays et ses choix éditoriaux provoquaient parfois des remous dans les cercles radicaux islamistes, au Soudan et ailleurs.

La première tentative d’assassinat de Taha avait eu lieu en 2000, lorsqu’un camion avait foncé sur lui. Cela avait alerté les cercles d’intellectuels soudanais ainsi que la communauté internationale qui avait alors appelé le gouvernement soudanais à respecter la liberté d’expression pour les journalistes locaux et étrangers. Le gouvernement avait fait protéger Taha, mais n’avait pas autorisé les journaux à mentionner l’évènement.

Au début de 2005, Taha a publié dans son journal une série d’articles montrant un aspect inconnu de la vie du prophète Mohamed. L’article concernait les origines ethniques de Mohamed et contredisait la tradition islamique.

Incitation à la haine

Une campagne contre Taha au Soudan et à travers le monde a commencé juste après la publication de ces articles et n’a pas cessé jusqu’à son assassinat.

Taha a commencé à recevoir des menaces, tandis que des leaders religieux incitaient les fidèles à l’attaquer physiquement. Le gouvernement soudanais l’a arrêté quelques jours à la suite de pressions, son journal a été fermé pendant trois mois et a dû payer une amende de quelques milliers de dollars américains (au Soudan, le PIB est de 2.000 dollars américains par an). Pendant son procès, des centaines de personnes s’étaient rassemblées devant la cour et demandaient sa mise à mort.

Le harcèlement de Taha a continué après le procès et malgré ses longues explications et ses excuses. En mars 2006, les bureaux de El Wifaq ont été incendiés et les coupables n’ont jamais été identifiés.

Jusqu’au 6 septembre, quand le corps de Taha a été retrouvé.

Censure

Depuis son décès, une vague de censure frappe les quotidiens privés arabophones Al-Ayam, Al-Sahafa, Al-Sudani et Rai-al-Shaab (opposition), une première depuis l’annonce de la fin des lois d’exception par le président Omar al-Bechir en juillet 2005.

« Nous avions souligné, l’année dernière, l’amélioration progressive de la situation de la liberté de la presse au Soudan. Mais les agressions et les emprisonnements de journalistes se sont multipliés ces dernières semaines. En contradiction avec ses engagements solennels, le gouvernement soudanais utilise maintenant le drame de l’assassinat du rédacteur en chef du quotidien privé Al-Wifaq, Mohamed Taha, le 6 septembre 2006, pour remettre en vigueur la censure des articles à caractère politique. La communauté internationale, très concernée par la situation au Soudan, doit aussi prendre en compte la situation de la liberté de la presse », a déclaré Reporters sans frontières.

La mise à mort de Taha n’est pas sans rappeler les méthodes terroristes utilisées par les sympathisants d’Al Qaïda.

Mais il est difficile de discerner avec certitude les causes réelles de l’assassinat de l’embarrassant journaliste. A qui, au final, la liberté d’expression de Mohamed Taha a-t-elle déplu, dans ce pays organisateur du génocide du Darfour ?