Droits de l’Homme en Chine : la fin des années de plomb ?

Écrit par Aurélien Girard, avec correspondance Toronto, Washington DC, Varsovie
28.11.2006

 

 

 

 

La question des droits de l’Homme n’est plus, depuis longtemps, une réelle source d’inquiétude pour les autorités communistes chinoises : la croissance économique et la perspective pour beaucoup d’investisseurs de pénétrer ce qu’ils  espèrent être « le » grand marché de demain a partout justifié, au mieux des mollesses, au pire des compromissions.

  • Nancy Pelosi, chef de file du Parti démocrate à la Chambre des représentants aux États-Unis(攝影: / 大紀元)

Les votes aux Nations Unies sur la question des Droits de l’Homme, qui au début des années 90 donnaient des sueurs froides à Pékin, n’ont été les huit dernières années que d’aimables rencontres entre « amis » : les pays africains couverts de cadeaux et d’investissements chinois, les européens – et particulièrement les Français – à la recherche d’un contrepoids à l’hégémonie américaine… et les États-Unis embourbés dans les conflits du Moyen-Orient, forcés de donner du mou pour se garantir du soutien au Conseil de Sécurité de l’ONU. C’est une véritable diplomatie du silence qui s’est progressivement installée, dont le fondement imposé est : « Pour parler bien, ne parlons pas ». Le Canada vient pourtant de réaliser une avancée considérable en faisant plier Pékin là où d’autres voyaient l’effacement comme seule issue.

 

 

RELATIONS INTERNATIONALES

C’est une position de principe forte qu’a prise le gouvernement de Stephen Harper, le Premier ministre canadien au mois de septembre : décider d’annuler les sessions de dialogue bilatéraux sur les droits de l’homme avec les autorités chinoises si celles-ci ne permettaient pas d’aborder librement tous les sujets. La suite a été un ballet de menaces et de pressions, menant jusqu’à l’annulation par les autorités chinoises de la rencontre prévue entre Stephen Harper et le dirigeant chinois Hu Jintao lors des rencontres de l’APEC à Hanoi, au Vietnam, la semaine dernière. Et en prime, l’annulation effective des dialogues bilatéraux.

La réponse de Stephen Harper, relayée par la presse canadienne, a été directe et ferme : « Je crois que les Canadiens veulent que nous stimulions les relations commerciales internationales, et c’est ce que nous faisons, mais je ne pense pas que les Canadiens veulent que nous vendions nos valeurs canadiennes les plus importantes – notre croyance à la démocratie, à la liberté, aux droits de l’homme […] ils ne veulent pas que nous vendions cela au sacro-saint dollar ». Cette position a été confortée par plus de 2/3 d’opinions favorables dans les sondages d’opinion.

UNE VICTOIRE MORALE MARQUANTE

A la surprise générale, le  Ministère chinois des affaires étrangères a alors fait un virage à 180 degrés en demandant le 16 novembre que la rencontre soit reprogrammée ; plus encore, d’après l’hebdomadaire canadien Globe And Mail, le régime communiste est également revenu sur l’annulation de la rencontre entre Stephen Harper et Hu Jintao. Ces concessions du régime chinois, à l’opposé de l’attitude extrêmement menaçante des jours précédents, sont aux yeux des experts une percée majeure et un succès marquant de la diplomatie canadienne, qui pourrait servir de référence à tous les pays tentant de discuter des droits de l’Homme avec la Chine.

Il faut savoir que depuis 1989, le régime de Pékin a systématiquement allégé la pression internationale en demandant que les questions de droits de l’Homme soient débattues à huis clos et sans déclarations publiques fortes. Le contrat tacite étant de ne pas discréditer le régime, en retour de quoi celui-ci s’engageait à travailler à améliorer les droits humains. En France, sous l’impulsion du président Chirac, ces échanges appelés « dialogues constructifs » ont été amorcés en 1997. Les discussions y sont polies, les sujets les plus sensibles systématiquement évités, et les progrès enregistrés nuls. Amnesty International comme Human Rights Watch confirment qu’aucune amélioration de la situation des droits de l’Homme n’est visible en Chine, avec des tortures toujours systématiques dans les prisons, toujours des milliers d’avortements forcés, toujours le blocus d’Internet et toujours la censure des médias.

D’après des sources au sein du gouvernement canadien, les discussions préparées par les assistants de Stephen Harper incluent la question des prélèvements d’organes sur les pratiquants de la méthode traditionnelle Falun Gong.

Harper a dit lui-même récemment : « Nous allons être très francs sur ces choses, et nous n’accepterons aucune condition préalable aux discussions ».

 

POSITIONS DE PRINCIPE

Les actions du tout nouveau gouvernement Harper pour le respect des droits de l’homme en Chine dépassent de loin ce qui avait été fait jusque-là au pays des érables. Au mois de septembre, le parlement Canadien a, à l’unanimité, attribué au Dalai Lama le titre de citoyen d’honneur, malgré les protestations officielles chinoises affirmant que ceci allait « nuire aux relations commerciales » entre les deux pays.

Pékin reçoit également comme autant de soufflets le soutien vigoureux qu’expriment de nombreux parlementaires canadiens aux pratiquants du Falun Gong.

Et, dernier et peut-être plus sévère affront, les autorités canadiennes ont en octobre refusé de renouveler le visa d’un diplomate chinois en poste au Canada, soupçonné justement d’espionner les activités du Falun Gong. Le 25 octobre, Wang Peifei a été renvoyé en Chine.

…ET LE VENT DEMOCRATE AUX ETATS-UNIS

Le syndrome Harper pourrait rapidement faire des émules : la défaite marquante des Républicains aux élections au Congrès et au Sénat américain, a propulsé Nancy Pelosi, leader démocrate, à la présidence de la chambre des Représentants, poste qu’elle est la première femme à occuper. La désignation de Mme Pelosi, connue pour son franc-parler sur le régime chinois, a de l’autre côté de l’océan été accueillie par le sibyllin commentaire : « Maintenir des relations bilatérales saines est dans l’intérêt de la Chine et des États-Unis ».  Signe évident de la nervosité chinoise, plusieurs semaines avant les élections, des diplomates chinois cherchaient déjà à savoir si Nancy Pelosi pourrait prendre la présidence de la Chambre en cas de victoire démocrate.

Le site Sina.com, un des portails chinois les plus populaires, énonce la situation plus clairement : Jin Canrong, de l’université du peuple de Pékin, juge sur ses pages que Nancy Pelosi « est biaisée quand il s’agit de la Chine, ce qui pourrait paralyser les relations sino-américaines ».

Le Southern Weekly, l’un des journaux populaires au Sud de la Chine, affirme de plus que « Pelosi a voté contre le Chine dans quasiment chaque occasion qui lui a été offerte. Elle s’est opposée à l’attribution des JO 2008 à Pékin, et s’oppose aux échanges culturels et technologiques entre Chine et États-Unis ».

Depuis le massacre de la place Tian An Men en 1989, Nancy Pelosi a effectivement toujours condamné ouvertement les violations des droits de l’homme en Chine, rappelle Xia Min, professeur de politique à la City University of New York. En 1990, elle a même profité d’une visite à Pékin pour déployer sur la place Tian An Men une banderole en hommages aux martyrs du printemps 1989.

Nancy Pelosi, si elle garde la liberté de ton qu’elle a jusqu’à maintenant farouchement défendue, pourrait donc devenir la caisse de résonance du mouvement des droits civiques émergeant en Chine, et des défenseurs des droits de l’homme d’une manière générale.

 

NOUVELLES HORREURS REVELEES

Parmi eux se tient en bonne place David Kilgour, ancien secrétaire d’État canadien pour la région Asie-Pacifique, dont l’enquête sur les prélèvements d’organes en Chine a provoqué une vague d’indignation internationale : lui et son collègue l’avocat David Matas ont mis en lumière en début d’année un gigantesque réseau, à l’échelle de toute la Chine, se servant des pratiquants de Falun Gong emprisonnés dans des camps de travaux forcés comme un simple réservoir d’organes pour les transplantations. D’après leurs estimations, depuis 2001 plus de 41.000 transplantations réalisées en Chine n’auraient d’autre explication que l’utilisation comme simple « matière première » de ces prisonniers de conscience.

De passage à Varsovie la semaine dernière pour la Semaine sur les Droits de l’Homme en Asie, Kilgour a dévoilé à la presse un nouveau témoignage de patient transplanté :

Ce témoin, un homme de 35 ans, a reçu une transplantation rénale à l’hôpital N°1 de Shanghai en 2003. Il dit avoir été opéré par rien moins que le Dr Tan Jianming, une sommité, à la tête de la société chinoise de recherche sur la dialyse et les transplantations. Atteint d’une maladie immunologique rare, le témoin avait peu de chance de trouver un organe compatible. Dans les huit premiers jours après son arrivée à Shanghai, 4 reins de 4 « donneurs » différents ont été amenés et testés pour vérifier leur compatibilité. Trois mois après, les premiers reins s’étant révélés incompatibles, 4 nouveaux reins ont été proposés,  et l’un d’eux a été le bon.  Le Dr Tan aurait ouvertement reconnu devant le patient que les organes venaient de prisonniers exécutés.

« Je suis certain que certains d’entre eux étaient des pratiquants de Falun Gong qui n’ont jamais été jugés, ni même accusés de quoi que ce soit », dit Kilgour.

Pour comparaison, il faut en France attendre 3 à 6 ans pour se voir proposer un seul rein.

 

LA POSITION FRANÇAISE

Le Président Chirac garde lui la position de « meilleur ami de la Chine » qui le caractérise, n’abordant jamais les sujets qui fâchent, et allant jusqu’à accepter publiquement l’idée de droits de l’homme aux caractéristiques « spécifiques » de la Chine.

Madame Chirac pendant ce temps, qui déjà en 1999 avait dansé avec le dirigeant Jiang Zemin (poursuivi depuis pour crime contre l’humanité dans près de 20 pays), a lors de la dernière visite officielle du Président en Chine, il y a à peine un mois, visité en s’émerveillant un hôpital chinois spécialisé dans… la transplantation d’organes.

L’Elysée semblant insensible à l’énormité de la gaffe et à tout ce qu’elle implique de soutien au régime communiste, il est à parier que le modèle canadien n’aura qu’un effet modeste sur la politique chinoise de l’Elysée. Ce modèle ouvre pourtant une nouvelle voie, que de nombreux experts croient la seule efficace, pour améliorer la situation des droits de l’homme en Chine : celle du courage, des convictions, et des principes non compromis.