Le Pakistan, sanctuaire du terrorisme?

Écrit par Noé Chartier, La Grande Époque
13.12.2006

Coup d’œil sur un pays tiraillé par les États-Unis, la Chine et la mouvance islamiste radicale

 

«Les bases des Talibans sont au Pakistan», racontait un caporal-chef des Forces canadiennes de retour d’Afghanistan. Dans son exposé, il démystifiait l’idée que les Talibans comptent sur l’appui considérable de combattants étrangers. Cette affirmation n’est pas neuve et sa véracité est maintenant établie. Alors que se passe-t-il avec le Pakistan? Est-ce que l’OTAN et les soldats canadiens peuvent continuer d’étouffer les excroissances de l’insurrection en sol afghan tandis que les forces talibanes se fabriquent et se régénèrent dans un pays voisin?  

  • Des pakistanais brandissent leurs AK-47 (攝影: / 大紀元)

   

Après les attaques du 11 septembre et le début de la lutte spécifique contre Al-Qaïda et Ousama Ben-laden, l’administration Bush a jugé important, pour attaquer les Talibans, de renforcer ses liens avec le Pakistan du général Pervez Musharraf. Auparavant considéré comme un paria sur la scène internationale, en raison de son accession «illégitime» au statut de puissance nucléaire mondiale et de son appui des Talibans, le Pakistan était soudainement devenu un allié «mal nécessaire» pour les Américains.

Avec quelle facilité Musharraf a accepté les demandes américaines? Selon des déclarations qu’il a faites à l’émission 60 Minutes de la chaîne CBS lors de sa visite aux États-Unis en septembre dernier, il aurait été menacé. Selon ses dires, l’ex-vice secrétaire d’État américain, Richard Armitage, aurait dit au directeur des renseignements pakistanais que le Pakistan serait «retourné à l’âge de pierre par des bombardements» s’il refusait de collaborer dans la lutte contre Al-Qaïda.

Que cela soit véridique ou non, George W. Bush exprime sa satisfaction de Musharraf dans son travail pour contrer le terrorisme. Mais les analystes sont moins certains qu’il fasse tout son possible et les résultats semblent parler d’eux-mêmes. De plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer l’inaction ou l’inefficacité du Pakistan de contrer les Talibans qui continuent de lutter férocement en Afghanistan.

Musharraf est en fait dans un étau qui sans cesse se resserre. En donnant publiquement son appui aux efforts américains, il se mettait automatiquement à dos la majorité de la population qui se nourrit d’antiaméricanisme. Arrivé au pouvoir par un coup d’État en 1999, le général fait face à une mouvance d’islamisme radical de plus en plus puissante. Il a déjà échappé à plusieurs tentatives d’assassinat, et l’appui américain – qui inclut le partage de renseignements – devient pour lui un bouclier lui permettant de conserver son pouvoir issu d’un putsch.

Même si Musharraf aurait développé au fil des ans une sincérité dans sa lutte contre le terrorisme, étant lui-même une cible, chaque geste de sa part visant à contrer les islamiques radicaux produit un effet ricochet qui le place dans une situation encore plus délicate.

La formation

Le Pakistan possède un intense réseau de madrasas, ces écoles coraniques souvent blâmées comme étant des carburants de l’islamisme radical. Le gouvernement a tenté d’exercer un certain contrôle sur elles, mais certaines refusent complètement de s’enregistrer. Selon un texte de novembre 2006 de Nicolas Martin-Lalande, chercheur à la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques à l’UQAM, 20 % des madrasas «jouent un rôle d’incubateurs du radicalisme religieux en dispensant un enseignement fondamentaliste (courants déobandi-wahhabite et salafiste) et un entraînement paramilitaire.»

Même si Musharraf est militaire, il ne contrôle pas entièrement ses subordonnés. Une partie de l’armée sympathise avec les Talibans, ce qui rend peu efficaces les efforts visant à saper leurs bases pakistanaises. Même chose pour les services de renseignements pakistanais (Inter-Intelligence Services, ISI), qui semblent être même impliqués dans des activités hors frontières tout à fait terroristes. À cet effet, M. Martin-Lalande dit que «Les cadres de l’armée ou de l’ISI sont fréquemment diplômés des mêmes madrasas que les Talibans.»

Selon le centre d’études stratégiques américain Council on Foreign Relations, des politiciens au sein du gouvernement de Musharraf expriment ouvertement leur admiration pour Al-Qaïda.

Les allégations les plus sérieuses et inquiétantes de l’implication de l’ISI dans le terrorisme international sont venues en septembre dernier lorsque la police indienne a accusé les services de renseignements pakistanais d’avoir orchestré les attentats de Mumbai de juillet dernier qui ont fait 186 morts.

«Nous avons résolu le cas des attentats du 11 juillet. Toute l’attaque était planifiée par l’ISI pakistanais et mise en branle par le Lashkar-e-Toiba [groupe terroriste luttant au Cachemire] et leurs agents en Inde», avait annoncé en conférence de presse AN Roy, le commissaire de police de Mumbai.

Le Pakistan a tout nié, avançant qu’il s’agissait d’une autre tentative de l’Inde de salir sa réputation.

Toute cette région est en fait une poudrière qui constitue de plus en plus un point géostratégique d’une importance primaire. Si le Pakistan est récemment devenu l’allié des États-Unis dans sa lutte contre le terrorisme, la Chine, alliée de bien plus longue date, voit également le terrorisme comme une occasion de solidifier ses relations.

Le dirigeant chinois, Hu Jintao, était au Pakistan dernièrement, où de multiples nouveaux accords de coopération dans tous les domaines ont été signés. La Chine est, selon l’agence de presse Reuters, le principal fournisseur d’armes conventionnelles au Pakistan, et l’idée est répandue que c’est Pékin qui a aidé Islamabad à développer son programme nucléaire militaire.

Les deux pays mènent justement cette semaine des exercices militaires antiterroristes conjoints en sol pakistanais. Pour la Chine, la menace «terroriste» de la région vient principalement de la lutte et de la répression qu’elle mène contre les populations musulmanes ouïgours indépendantistes du Xinjiang, dans le nord-ouest de son territoire. Fait intéressant : selon  l'association américaine des Ouïgours, ces musulmans sont les plus proaméricains du monde, marquant un fort contraste avec leurs frères religieux d’ailleurs. C’est que leur ennemi est l’autoritarisme du Parti communiste chinois, et non l’impérialisme américain.

En mettant dans le décor le géant indien qui a une relation toujours suspicieuse avec la Chine, malgré son désir de renforcer le commerce bilatéral, et en ajoutant la relation toujours tendue entre Inde et Pakistan, via, entre autres, le Cachemire, la complexité de la région prend toute son ampleur. Ajoutez à cela l’aide américaine nucléaire apportée à l’Inde malgré son refus d’entrer dans le Traité de non-prolifération, puis mélangez-y la guerre en Afghanistan et les ambitions nucléaires iraniennes et vous obtenez un casse-tête géopolitique qui s’intensifie rapidement à chaque pays voisin que vous ajoutez à l’équation.

À la lumière de tout cela, les combats acharnés que mènent les soldats canadiens en Afghanistan semblent n’être qu’un grain de sable dans le désert. La mauvaise herbe talibane a ses racines de l’autre côté d’une frontière qui ne peut être franchie légitimement par les forces de l’OTAN.

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Malgré la résurgence des Talibans ces derniers temps, avec plus de vigueur et d’attentats-

suicides, l’opération Méduse déployée dans le sud au début du mois de septembre a bel et bien prouvé la supériorité militaire de l’OTAN. Cette dernière affirmait avoir tué 512 Talibans et en avoir fait prisonniers 136. Selon Asadullah Khalid, le gouverneur de la province de Kandahar où l’opération se déroulait : «L’habileté des Talibans de demeurer et de combattre en groupes est terminée. L’ennemi a été écrasé.»

Mais écrasé pour combien de temps? George W. Bush a dit le 22 septembre dernier que Musharraf lui a promis que des élections libres auraient lieu au Pakistan en 2007. La république islamique verra-t-elle alors porté au pouvoir un autre genre de «Hamas» pakistanais? Rien n’indique qu’un autre candidat que Musharraf aurait une loyauté plus grande envers Washington, déjà que celle du général semble être acquise à la pointe d’un fusil, allié ou ennemi.

L’appui américain à la démocratisation des pays islamiques a eu jusqu’à maintenant des résultats leur étant, disons, défavorables.

Tant que la question pakistanaise demeurera un à-côté du conflit afghan, l’OTAN continuera de jouer au pompier en éteignant les feux à gauche et à droite. Mais tout effort de pousser le Pakistan à une collaboration plus efficace pourrait créer une instabilité qui aurait des conséquences encore plus dangereuses pour la stabilité de la région. Dans un pays où la pauvreté et la corruption font rage, plusieurs voient dans la révolution islamique la seule issue.

Certaines informations proviennent de CTV et BBC.