Anglais | Chinois | Coréen | Français | Allemand | Espagnol | Japonais | Russe | Ukrainien | Hébreu | Roumain | Bulgare | Slovaque | Tchèque | Indonésien | Vietnamien
Faites un don

Joseph Staline chez Pierre Cardin : les mécomptes amoureux de Gorki…

Écrit par Raymond Alexandre D.
26.12.2006
| A-/A+

 

 

 

 

 

Nous avons eu le privilège de bénéficier d’une invitation à voir Gorki, l’exilé de Capri, pièce de théâtre écrite par Jean-Marie Rouart et représentée à l’Espace Pierre Cardin (1 avenue Gabriel, du 1er décembre au 7 janvier), lieu de prédilection pour le Tout-Paris. L’illustre Roger Planchon [1] interprète Maxime Gorki expatrié à Capri en 1927 [2] et s’apprêtant à rejoindre l’U.R.S.S. comme l’exige sa première femme, Katarina - incarnée par Marie-Christine Barrault [3] - pénétrée de foi communiste. Psychologie, déboires amoureux et politiques s’entremêlent dans cette œuvre mise en scène par Jacques Rosner, où deux parties se distinguent : l’exil ou plutôt la villégiature à Capri, puis le retour dans la patrie des soviets… 

  • Gorki(攝影: / 大紀元)

 

Le désabusement - tant sentimental que politique - constitue sans doute le lien entre les considérations amoureuses et idéologiques. Gorki, désenchanté, assène en guise d’introduction : « la vie putréfie, le feu purifie »…

L’expression « grand homme » constitue un Leitmotiv : l’auteur des Barbares ou plutôt Roger Planchon lui-même ménage une distance par rapport au « grand homme », vis-à-vis de son propre personnage. Au demeurant, l’accession de Gorki à la bourgeoisie voire à la civilisation est symbolisée par ses « vases de Chine ». Effectivement, le moujik Gorki s’estime devenir koulak… Sachant que le communisme pratiqua la dékoulakisation, i.e. la destruction des paysans « riches ». Le texte fourmille d’allusions historiques, dont on espère qu’elles n’échappent pas au public…

Maxime tourmenté par les caprices féminins

On décèle quelques universaux anthropologiques : la faiblesse de l’homme, la force - quoi qu’en dise le sens commun - de la femme, de sa maternité. Les indécisions de l’homme s’avèrent patentes : l’auteur des Vagabonds peine à prendre la décision de quitter son île, même si, dès le début, des domestiques préparent les valises, ostensiblement posées à l’avant-scène.

Quant au pouvoir féminin, il s’exprime selon différentes modalités. En particulier, on peut entr’apercevoir la puissance conférée à la femme par l’enfant : Katarina s’érige comme la seule dispensatrice d’une descendance à celui qui écrivit Une Confession. En tout cas, Katarina, agent du PC aussi froide qu’un PC [4], qualifiée par Gorki d’« institutrice » - ce qui vaut désormais quolibet pour l’écrivain embourgeoisé et bon vivant - remporte la victoire finale en persuadant l’auteur des Bas-fonds de revenir au pays des soviets. Quant à la maîtresse de Gorki, la baronne Moura Boudberg - jouée par Nathalie Nell - utilise contre la compagne légitime, afin de retenir Gorki à Capri, une autre femme, Nina [5] - incarnée par Adeline Zarudiansky. Le principal capital de celle-ci - sa jeunesse - séduit le créateur de Thomas Gordeiev : toute femme finit par aimer l’homme qu’elle considère comme son père, telle est la vérité proclamée… Quoi qu’en pense Gorki, qui focalise volontiers sur son âge, celui-ci ne constitue pas un obstacle. Nina, trivialement, ne confie-t-elle pas : « on couche pour savoir pourquoi on couche » ?

Les personnages féminins entourant l’auteur de Varenka Olessova incarnent aussi trois âges de la femme. Finalement, Staline ne figure-t-il pas la dernière « fiancée » de Gorki, les déboires amoureux pouvant expliquer son retour en U.R.S.S. ?

Gorki torturé (mentalement, voire physiquement) par Staline

L’ancien séminariste [6] n’est pas interprété sur scène, mais son ombre plane, rode… Le potentat est cordialement méprisé par celui qui écrivit Tempête sur la ville et assimile le dictateur communiste à une « puce » : mais une puce grossie à l’extrême se métamorphose en un monstre invincible. Malgré sa lucidité, Gorki - qui voulait sans doute jouer un double jeu en Russie - perd toute liberté, pire, se voit instrumentalisé par la propagande stalinienne.

Dans la dernière scène, la blouse blanche - Lavrenti Beria n’est probablement pas loin - censée soigner Gorki s’avère terrifiante et s’analyse tout à la fois en médecin, espion, empoisonneur. Les dictateurs - le mot est faible - de tous les pays tendent à instrumentaliser la « médecine » contre leur propre peuple.

La pièce de théâtre évoque d’autres méthodes de contrôle social : « l’homme d’acier » [7] est le bourreau thuriféraire de Gorki, le potentat communiste accablant l’écrivain sous les honneurs. Lu Xun - 鲁迅 - décrivit la manipulation : installer une personne sur un perchoir afin de la contrôler, celle-ci craignant désormais de tomber au bas de son piédestal. Au demeurant, Staline créa le concept « ennemi du peuple », propagande censée justifier les répressions, les persécutions et sévissant encore. Par ailleurs, la pièce montre que les lettres envoyées par Gorki et recopiées par celui-ci pour sa « postérité » constituaient un enjeu, s’avérèrent même instrumentalisées, de la façon la plus violente : spécialement, pour assassiner les correspondants qui se confièrent à l’écrivain. Sur un plan moins politique, la reconstitution ex post des correspondances devrait réduire l’intérêt contemporain porté pour la « génétique textuelle ».

Au total, la référence christique - récurrente lors de la représentation - vaut contrepoint au mythe du « grand homme » - qu’il s’agisse de Gorki ou de Staline. L’auteur d’Enfance [8] - choquant sans doute Katarina - proclame son admiration exclusive à l’égard du Christ.

S’agissant de mise en scène, relevons deux excellentes idées : des images d’archives censées (dé)montrer la « joie » des Russes illustrent magnifiquement la césure entre Capri et le retour à Moscou. Les images, les archives - construites et reconstruites - mentent… Les régimes notamment totalitaires usent encore de la fausse preuve par l’image. L’autre trouvaille consiste dans la projection de la Lune à Capri. En revanche, on apprécie modérément le poncif de la nudité (sinon femme nue, en tout cas poitrine dénudée d’Adeline Zarudiansky) : difficile de voir aujourd’hui une pièce de théâtre sans que le pont-aux-ânes de l’exhibition corporelle ne soit franchi… Conformisme de l’anticonformisme…

Revenons sur une note plus laudative pour cette pièce produite par Pierre Cardin : Roger Planchon participe à un travail ambitieux, évoquant des déboires amoureux, dénonçant l’oppression - qui n’est pas à conjuguer à l’imparfait - et proposant un discours fort distant par rapport à la patrie et à l’idéologie, vis-à-vis aussi de l’engagement (l’intellectuel engagé pouvant masquer son déficit de création sous des oripeaux politiques ou humanitaires). Laissons le mot de la fin à un fabuleux trait d’humour juif, extrait du spectacle : les exilés doivent se poser la question « Loin d’où ? ». Le véritable exil s’avère probablement intérieur…

 

  • Gorki à l'Espace Pierre Cardin(攝影: / 大紀元)

 

1. L’auteur du Cochon noir et interprète du Solitaire s’intéressa tôt à « l’Est », en créant dès 1956 Les Coréens - la première pièce de l’important Michel Vinaver.

2. Ou en 1928 à Sorrente : peu importe la biographie, sujette au débat.

3.  Si appréciable avec la mise en scène du renommé Raymond Rouleau.

 4. Personal Computer.

 5. L’écrivain Nina Berberova, dont le premier appartement parisien avoisinait la place Félix Éboué.

 6. Staline.

 7. Le russe « stal » signifie « acier ».

 8. Où Maxime, orphelin, rencontre en particulier un Juif salvateur.

Plus de 204 720 362 personnes ont démissionné du PCC et de ses organisations.