Les professionnels analysent la violence à l’école

Écrit par Frédérique Privat
13.02.2006
  • La violence dans les etablissements scolaires(攝影: / 大紀元)

« Si tu touches encore à mon enfant, je te tue ! » Cet homme, tremblant de rage retenue, dresse son poing en direction d’une directrice d’école élémentaire. Celle-ci avait tenté, quelques heures auparavant de calmer une élève en proie à une crise de violence après avoir été prise à partie par une autre camarade.

Ce fait incompréhensible mais pourtant bien réel et de plus en plus fréquent, traduit l’état actuel de beaucoup d’établissements d’enseignement. De l’école maternelle au lycée, des enseignants aux élèves en passant par les parents et le personnel non enseignant, tous peuvent maintenant être la proie de la violence verbale ou physique de certains.

Ainsi, en Seine-Saint-Denis, après une série d’incidents dans des collèges et lycées, le recteur d’académie Bernard Saint-Girons, répondait aux questions de l’AFP.

« AFP : Les professeurs ressentent une tension accrue depuis la rentrée 2005, y a-t-il cette année plus d’incidents dans l’académie de Créteil ?

B. Saint-Girons : Les actes de violence ne sont pas plus nombreux depuis cette rentrée, mais ils sont plus forts. On a franchi un degré dans le niveau de violence, tant en direction des personnels de l’Education nationale qu’entre les élèves eux-mêmes.

AFP : Quelles consignes donnez-vous aux chefs d’établissement confrontés à ces phénomènes ?

B. Saint-Girons : Je leur demande de faire preuve de vigilance accrue à l’égard des trublions qui peuvent venir de l’extérieur commettre ces actes. Je voudrais aussi qu’ils rappellent aux élèves que la violence appelle de la solidarité à l’égard des victimes. Il faut leur expliquer ce qu’est la non-assistance à personne en danger. Voir son professeur se faire agressé n’est pas un spectacle. Applaudir est gravissisme. Mais rester passif relève de la non-assistance à personne en danger.

AFP : Après une agression, les enseignants réclament des temps de discussion avec les élèves. Qu’en pensez-vous ?

B. Saint-Girons : Il est important après ce type d’incidents de prendre un temps de recul et d’analyse sur l’événement, ce fut le cas mercredi au lycée Alfred Costes à Bobigny lorsque l’inspecteur d’académie s’est déplacé. En même temps, il est nécessaire de montrer aux élèves que le dernier mot reste à l’école et qu’elle reprend son cours. Il faut éviter que les élèves n’assimilent un acte violent avec la possibilité de n’avoir pas cours. Il y a une dialectique dans laquelle il ne faut pas entrer. Il faut trouver l’équilibre entre le temps de l’émotion et de la solidarité avec la victime, et celui de la reprise en main des élèves. Attention au risque de surenchère d’un établissement à l’autre. »

En réponse à la violence déclarée d’élèves et plus spécialement d’adolescents, Marie-Rose Moro, chef du service de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent à l’hôpital Avicenne de Bobigny, propose une analyse de la situation, à l’initiale d’abord, en présentant les motifs de violence chez l’adolescent, puis en final, avec une proposition de « méthodes » susceptibles de combattre cette violence.

« Il y a deux grandes causes de dysfonctionnement », dit Mme Moro. « Premièrement, le malentendu comme source de difficultés entre l’adolescent et l’institution, où il n’y a pas de négociations possibles. Les ados passent à l’acte d’une manière qui n’est pas anticipable, ils se comportent à l’égard des gens qui ont une importance pour eux comme envers un « amour déçu », il s’agit du même mécanisme que pour les parents. Deuxièmement, il y a le cadre de l’école où des adolescents vont mal sur le plan psychologique, sont déprimés : une des modalités de leur expression est l’agressivité. C’est un « élan vital perdu », et ils vont réagir par la violence (...) Si pour une raison ou une autre la famille n’a pas réussi à agir, c’est à l’école que ceux qui sont en souffrance vont s’exprimer, d’où l’importance de mettre en place des réseaux (entre familles, écoles et psy) pour leur venir en aide. (...)

 Ces ados-là veulent plus parce qu’ils vont mal, ils vont chercher des modalités collectives (pour leurs actes), comme lorsqu’un ado attaque sa prof. Ces modalités consistent à faire peur aux adultes, qui ne réagissent pas bien face à eux et qui paniquent (...)

Lors d’une consultation, un des ados me disait « Ca me maintenait en vie de voir qu’ils (les profs) avaient peur de nous ». C’est de l’auto-destruction d’où l’importance de nos réactions, il ne faut pas tenir le discours des victimes (face à ces violences) mais plutôt définir et insister sur la notion de place de chacun. A l’école, il faudrait des équipes enseignantes qui ont plaisir à être dans le cadre de l’établissement avec des règles bien posées. Il y a également, la nécessité pour nous, les psy, de prendre en charge précocement les ados quand ils ne vont pas bien, soit par l’intermédiaire des parents, soit des écoles. Il faut individualiser les cas et donner de nouvelles chances scolaires aux adolescents. Cela demande beaucoup de bienveillance et de diversité. »