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L’impartialité du CRTC mise en doute

Écrit par Olivier Chartrand, La Grande Époque
31.03.2006
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Dans les prochains mois, neuf chaînes de télévision chinoises pourraient bien diffuser au Canada la propagande communiste du parti unique de Beijing. C’est du moins ce que laissent présager les décisions du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) quant aux autres chaînes amies du Parti communiste chinois (PCC). Plusieurs parmi elles ont obtenu le droit d’être diffusées au cours des dernières années, probablement à cause du laxisme du CRTC et de l’influence des lobbys chinois.

«Le Conseil a reçu une demande en date du 8 septembre 2005 présentée par l’Association canadienne des télécommunications par câble (ACTC) en vue d’ajouter neuf services, non canadiens, d’intérêt général en langues chinoises [...] Les neuf services proviennent du continent chinois et sont exploités par China International Television Corporation (CITVC). L’ACTC indique que CITVC est une société d’État qui est une filiale à part entière de China Central Television (CCTV)», peut-on lire sur le site du CRTC.

La voix des groupes de pression

Différents groupes de pression ont fait connaître leurs inquiétudes au CRTC. «On a envoyé une lettre [au CRTC] pour expliquer que les chaînes [...] sont bien connues pour être l’instrument de propagande du gouvernement communiste», a expliqué en entrevue Tenzin Dargyal, président du Comité Canada-Tibet (CCT) à Montréal. Le CCT est un organisme non gouvernemental indépendant. Il regroupe des gens qui dénoncent les violations des droits de la personne au Tibet.

Le porte-parole se dit inquiet que par le biais de ces chaînes «la propagande chinoise rentre ici et commence à véhiculer des mensonges». «C’est le mandat du CRTC de n’accepter que la meilleure qualité [en terme de média] qui représente les valeurs des Canadiens et des Canadiennes», rappelle-t-il.

En outre, l’Association du Falun Dafa au Canada (AFDC) a fait parvenir un document exhaustif au CRTC expliquant ses appréhensions. Dans ses activités, l’association vise à sensibiliser les gens à propos de la persécution sur les pratiquants du Falun Dafa en Chine. Le Falun Dafa (ou Falun Gong) est une méthode de méditation chinoise de type qigong.

À la suite des événements tragiques du 11 septembre 2001, rappelle le document de l’AFDC, «Beijing a produit des reportages glorifiant les attaques terroristes contre “l'arrogance” américaine.» Il y est écrit également que «cinq mois de silence des médias [chinois] pendant l’épidémie du SRAS ont permis à la maladie de se propager à travers le monde et de tuer des Canadiens».

Xun Li, le porte-parole de l’association se dit préoccupé du fait que «le CRTC n’aura aucun moyen de contraindre les neuf chaînes à se conformer aux lois canadiennes et aux normes de l’industrie» si elles obtiennent une licence. Il soutient que les chaînes sont un des moyens utilisés pour diffuser de la propagande haineuse à propos du Falun Gong en Chine dans le but de justifier la persécution. Le rapport conclut en disant : «Si les neuf chaînes sont acceptées malgré la révélation de telles violations, on pourra se questionner sur la légitimité du rôle du CRTC qui est de régulariser les communications au Canada et de protéger les Canadiens des préjudices.»

Décisions inquiétantes du CRTC

Il y a quelques mois, une situation similaire s’est présentée. Phoenix North American Chinese Channel (PNACC), une chaîne de télévision diffusant une programmation en mandarin, a obtenu la possibilité d’être sur les ondes canadiennes. «Les chaînes, comme Phoenix, sont bien connues pour être l’instrument de propagande du gouvernement communiste», explique M. Dargyal.

Malgré que le CRTC était en possession de telles informations et qu’il ait reçu 200 plaintes d’organisations et de particuliers, il a accordé à Phoenix, en novembre 2005, le droit de diffuser sa programmation au Canada.

Le cas s’apparente à ceux de Talentvision TV, qui a obtenu la licence du CRTC en 2001, China Vision, qui a été créée en 1981, et Fairchild Entertainment. Dans une copie que l’on a pu obtenir du rapport intitulé Sidewinder, on explique que ces chaînes sont la propriété d’individus liés aux triades chinoises (crime organisé) à la solde du régime de Beijing.

Le rapport Sidewinder a été rédigé par le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), entre 1994 et 1996, pour enquêter sur l’influence qu’exercent le gouvernement et le crime organisé chinois au Canada.

Cause de laxisme

Depuis un avis publié le 16 décembre 2004 sur le site du CRTC, l’organisation fédérale montre encore plus de laxisme à l’égard des demandes de licence des chaînes étrangères. L’avis public déclare que désormais «toute demande pour inscrire un service, non canadien, d’intérêt général en langue tierce sur les listes numériques sera généralement approuvée pourvu qu’elle se conforme aux nouvelles exigences de distribution et d’assemblage».

«Le CRTC, pour être plus cohérent avec la Loi sur la rediffusion, devrait, selon moi, être plus strict au niveau de l’attribution de licences», explique en entrevue Me Pierre Trudel, professeur au Centre de recherche en droit public de la Faculté de droit de l'Université de Montréal. Me Trudel, également auteur de plusieurs livres et articles en droit des médias, évoque une certaine «tendance [du CRTC] à intervenir de moins en moins». D’après lui, l’instance gouvernementale est tombée dans une «banalisation de la télévision», une «logique de surabondance». Le CRTC «classerait» les chaînes sans en évaluer le contenu, tel un bibliothécaire «qui ne lirait pas tous les livres» de la bibliothèque, compare-t-il.

Beijing à Ottawa

En ce qui concerne les médias chinois, un autre élément pourrait expliquer la cause de ce désinvestissement de la part du CRTC. Comme le souligne en entrevue le porte-parole du Comité Canada-Tibet, cette histoire n’est pas étrangère à la déclaration de l’ancien consul de Chine en Australie, Chen Yonglin. Ce dernier a démissionné de son poste et a déclaré en juin 2005 qu’il y avait «1000 espions chinois au Canada».

La nouvelle avait généré de chaudes discussions à Ottawa. La ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile de l’époque, Anne McLellan, en se parant contre les protestations des conservateurs, avait déclaré à cet égard que le gouvernement canadien prenait «les dispositions nécessaires pour veiller à la sécurité de l’ensemble des Canadiens» et que la GRC était déjà au courant.

Les espions chinois auraient comme fonction, selon M. Chen, d’infiltrer la société pour influencer l’opinion public et l’opinion des gens importants en faveur du parti de Beijing, tout en informant le régime communiste sur ce qui se passe en dehors de Chine. Toujours d’après le transfuge, ils auraient le mandat de faire pression sur les communautés chinoises partout dans le monde et d’attaquer les gens qui «menaceraient» la légitimité du PCC comme les groupes pro-démocratie.

En juin 2005, Michel Juneau-Katsuya, un officier à la retraite du SCRS qui oeuvrait au sein du département d’Asie-Pacifique, a fait de troublantes révélations au média australien, Australian Broadcasting Corporation (ABC). M. Juneau-Katsuya est également un des auteurs du rapport Sidewinder.

«Le contrôle sur l’économie qu’ils ont commencé à obtenir par des acquisitions tout à fait légitimes est devenu très important», mentionne-t-il au média australien à propos des entreprises chinoises au Canada. «Pourquoi est-ce si préoccupant pour nous? C’est que contrairement aux autres entreprises étrangères qui viendraient pour acquérir des entreprises canadiennes, ces compagnies sont des entreprises d’État. Alors, finalement, c’est un gouvernement étranger qui acquiert du pouvoir et va de plus en plus influencer en quelque sorte les politiques nationales ou les politiques économiques régionales. Celles-ci vont nécessairement être à son avantage éventuellement», explique l’ancien officier.

Le rapport Sidewinder met en relief le fait que les entreprises achetées par des hommes d’affaires chinois subventionnent à coup de dizaines de milliers de dollars les partis libéral et conservateur du Canada. Il donne en exemple la compagnie pétrolière Husky Oil du conglomérat Hutchison Whampoa, dont le propriétaire, Li Ka-shing, est l’homme le plus riche et influent d’Asie selon le magazine Forbes. D’après le rapport du SCRS, entre 1991 et 1994, Husky Oil a versé la somme de 100 000 $ aux deux partis canadiens. Le document développe en expliquant que ces «“entrepreneurs” possèdent plusieurs entreprises dans une région et vont contribuer à la caisse des partis. À la fin, de larges sommes sont distribuées par plusieurs mains, mais proviennent du même portefeuille. C’est précisément le montant total, partagé entre différents endroits, qui fait que les rapports d’influence et “l’acoquinage” politique soient si importants.»

Considération

Dans le cas des médias chinois, tels que Phoenix et China Vision, les inquiétudes des groupes de pression ne semblent pas avoir été prises en considération. En revanche, les voix des groupes économiquement influents possédant les médias ont été entendues. Si le laxisme du CRTC se maintient et que ses dirigeants se laissent influencer par les grands lobbys chinois, les neuf chaînes risquent d’être diffusées au Canada. Ce serait une énorme atteinte aux droits humains qu’un régime totalitaire puisse, par le biais de ses médias d’État, répandre sa propagande au Canada.

La programmation de ces chaînes qui utilisent la désinformation pour justifier plusieurs persécutions à l’intérieur de la Chine continentale paraît être en contradiction totale avec toutes les valeurs canadiennes. La décision du CRTC sur les neuf chaînes chinoises sera publiée prochainement. Elle sera très révélatrice quant à la manière dont on gère les instances gouvernementales au Canada et sur l’identité les acteurs d’influence.

Plus de 204 720 056 personnes ont démissionné du PCC et de ses organisations.