L’Opéra de Montréal nous fait vibrer avec Aïda

Écrit par Floriane Denis, La Grande Époque
23.05.2006

  • Scène de l’opéra Aïda de Verdi, présenté par l’Opéra de Montréal.(攝影: / 大紀元)

Contrairement à ce que pourrait laisser penser son cadre antique et le nombre de figurants, cet opéra n’a rien d’une démonstration de virtuosité; ici, point de pirouettes vocales époustouflantes destinées à épater le public. Le maître Verdi a composé une musique qui, en effet, souligne très bien les sentiments des protagonistes. C’est une musique au service d’un drame intime, simple et intemporel, qui se joue entre quelques personnages. Chaque note est significative, et contribue un peu plus à l’humanité de l’œuvre.

Créé en 1871 au Caire, cet opéra nous raconte l’histoire de l’amour d’Aïda, esclave éthiopienne, et de Radamès, jeune général égyptien, rendu impossible par la guerre entre leurs deux patries. C’est aussi l’histoire de la douleur et du dépit de la princesse égyptienne Amnéris, fille du pharaon et maîtresse d’Aïda, éprise de Radamès. Elle qui voulait l’épouser plus que tout le verra choisir la mort plutôt qu’un destin partagé avec une autre qu’Aïda.

Les chœurs, interprétés par le Chœur de l’Opéra de Montréal, préparé par le Canadien Jean-Marie Zeitouni, sont omniprésents. Leurs chants aux accents tour à tour doux, menaçants et triomphants, donnent un réalisme saisissant aux différentes scènes et donnent vie au contexte de l’action, tandis que la voix de Susan Patterson, dans le rôle d’Aïda, fait affleurer la chair de poule aux bras des spectateurs.

Les voix graves du pharaon (Valerian Ruminski), du prêtre Ramfis (Daniel Sumegi) et d’Amonsasro, père d’Aïda et roi d’Éthiopie (Grant Youngblood), ont la profondeur inexorable du destin qui va écraser les deux amants.

Radamès, incarné par le ténor Richard Margison, chante des envolées tantôt lyriques, tantôt tristes, tantôt martiales, qui expriment toutes ses contradictions : désir de gloire, amour profond pour Aïda, mais déchirement entre sa patrie et la belle. Au cœur de tout cela, mais délaissée de tous, Amnéris, princesse amoureuse et malheureuse interprétée par la poignante Nancy Maultsby, passe du désespoir à la colère, se venge puis demande grâce. Les changements de registre de sa voix expriment sa torture, car même si elle est couverte de richesses, elle reste ô combien seule, la plus isolée de tous les personnages, celle dont personne ne se préoccupe.

Le premier acte est saisissant. L’Orchestre Métropolitain du Grand Montréal, dirigé par le chef américain Richard Buckley, interprète les variations d’atmosphères et d’ambiances avec brio.

Le rideau s’ouvre sur les décors antiques imposants de Bernard Uzan et Claude Girard, qui a aussi conçu les costumes, très beaux, réalistes, soulignant les différences de statut des personnages. La mise en scène du Canadien Brian Deedrick laisse la place aux chorégraphies de Jean Léger qui, en donnant vie aux mouvements des prêtres, aux facéties des suivantes de la princesse et aux batailles d’esclaves à la cour, viennent donner du corps et du réalisme à cet opéra.

C’est au premier acte que le décor est planté et on y découvre les sentiments des personnages. Les chœurs donnent le contexte oppressant, la guerre qui se trame, l’escalade belliqueuse et les prières avant le départ à la guerre, qui donnent lieu à une magnifique scène aux sonorités profondes, graves et empreintes de spiritualité, exprimant la détermination et l’union des Égyptiens. À l’écart de cette mobilisation, Aïda se ronge, déchirée entre le souhait que sa patrie l’Éthiopie vainque et celui que son amour revienne vivant. Amnéris, de son côté, commence à douter des sentiments de son esclave pour celle qu’elle aime, la met à l’épreuve, la menace et la rabaisse lors du retour triomphant de Ramadès, qui se voit offrir en récompense de sa victoire la main de la princesse.

Les deuxième et troisième actes, plus courts et plus intimes, plus déchirants car c’est là que la tragédie se joue et se dénoue, sont moins impressionnants; les sentiments des personnages, plus exacerbés, sont décrits plus en profondeur et plus délicatement. À l’acte deux, la trahison de Radamès, qui fait suite aux tourments d’Aïda, soumise au chantage de son père pour obtenir de son amant les secrets de l’armée égyptienne, se joue au bord du Nil, entre les roseaux et sous le regard de la lune. C’est un décor simple et poignant comme le drame qui s’y trame. Au lieu de la réunion des deux amants et de la fuite qui devait leur permettre de vivre heureux en Éthiopie, ce décor romantique est bouleversé par l’irruption du grand prêtre, la fuite d’Aïda et de son père et le retour de Radamès non plus en héros, mais en traître à Memphis.

De retour au palais, Radamès résiste à une tentative désespérée de la princesse pour le faire céder, qui donne lieu à un poignant duo torturé : la princesse passe de l’imploration à la colère face à l’inflexibilité du jeune général, puis se repent en réalisant le sort qui attend son bien-aimé. Le jugement de Radamès, qui a lieu en coulisses, offre un contraste saisissant entre les voix graves des juges implacables, le silence de Radamès et les cris de la princesse. Amnéris, seule sur scène et seule au monde, subit les affres des douleurs les plus atroces : rejet de l’aimé qui choisit de mourir pour sa rivale, impuissance à sauver celui qu’elle aime et mort annoncée de son amour qui refuse de se défendre.

Cependant, à la dernière scène, le drame sera enfin résolu : les deux amants sont réunis dans la tombe tandis que la princesse, calmée, se repent. Le dernier mot, le dernier souffle qui sortira de ses lèvres, chantera : «Pace», paix…

Un grand silence suit ces notes. On reste estomaqué et on aurait envie de s’endormir là, sous ce ciel étoilé, comme les deux amants enlacés dans la mort. La guerre semble à ce moment bien absurde et bien vaine, la mort inutile, et on souhaiterait que l’amour triomphe plus souvent. On reste physiquement ébranlé par cette oeuvre magnifique de Verdi que l’Opéra de Montréal nous offre et nous restitue de façon tout à fait saisissante. Les spectateurs ne s’y sont pas trompés et ont accueillis les artistes d’une ovation debout.