Anglais | Chinois | Coréen | Français | Allemand | Espagnol | Japonais | Russe | Ukrainien | Hébreu | Roumain | Bulgare | Slovaque | Tchèque | Indonésien | Vietnamien
Faites un don

«Découvrez vos forces», qu’ils disaient…

Écrit par Félix Daigneault, Collaboration spéciale
10.08.2006
| A-/A+

Les Forces armées canadiennes font couler beaucoup d’encre ces jours-ci… et beaucoup de larmes. Aux dernières nouvelles, la mission «belliqueuse» plutôt que «de paix» des militaires canadiens en Afghanistan est loin de faire l’unanimité. Puis les informations de soldats décédés au front nous parviennent maintenant régulièrement et peut-être nous choquent, lorsque nous oublions un instant que guerre et mort sont indissociables et que le soldat a choisi de plein gré de les côtoyer toutes deux. Mais derrière tout soldat, une famille… Et mort pourquoi? Une question tranchante qui peut hanter longtemps, dans une marre d’informations et d’émotions troubles.

  • Recrue de la réserve des Forces armées canadiennes.(攝影: / 大紀元)

Face à ces images de violence, de funérailles et de chaos qui nous sont renvoyées de Kandahar ou d’un autre bled en ruine au milieu du désert, la vie militaire tente encore bon nombre de jeunes Canadiens à la recherche d’aventures. Ceux qui sont les plus décidés iront directement vers la force régulière, offrant ainsi, d’un coup, au minimum trois ans de leur vie pour servir le Canada. Les plus jeunes, les curieux et les incertains tenteront plutôt leur chance du côté de la réserve. Promesses de gros sous durant la période estivale et garantie d’un boulot à temps partiel durant l’année scolaire, invitation à «découvrir ses forces» et à vivre une expérience hors du commun, la réserve séduit les «guerriers de fins de semaine».

Le long chemin

N’entre pas qui veut dans les Forces, ou à peu près pas. Comme le souligne la vérificatrice générale dans son rapport 2006, il y a contradiction entre le besoin de personnel des Forces canadiennes et le processus de sélection des candidats. De l’envoi d’une demande d’emploi à l’enrôlement formel, plusieurs mois peuvent s’écouler. C’est ainsi que, selon le rapport, plusieurs personnes abandonnent le processus de sélection avant sa conclusion, trouvant un autre emploi ou reconsidérant tout simplement leur choix. Il est écrit : «Selon les données de la Défense nationale, dans environ 28 % des cas, les candidats retirent volontairement leur demande ou perdent contact avec le centre de recrutement durant ce long processus.»

Demandez à un candidat ou une recrue quelconque, il ou elle aura certainement une petite anecdote à vous raconter à ce sujet. D’emblée, l’image d’une institution organisée au plus haut point s’effrite quelque peu… Recrue 1 a dû refaire une bonne partie du processus d’enrôlement parce que son dossier a été «perdu dans malle». Recrue 2 s’est fait dire d’attendre un coup de fil pour l’entrevue : l’appel n’est jamais venu. Ce n’est quand même pas la norme, mais on peut comprendre le découragement de certains postulants. Après le test d’aptitudes, l’examen médical, le test physique et l’entrevue, le bon individu, ou à peu près, sera considéré pour l’enrôlement, ou «le plus beau jour de sa vie», selon le recruteur près de chez vous.

C’est après quelques jours de fraternisation entre recrues que l’on découvre les failles du système, et ceux qui les exploitent. Appelons-les téméraires ou tordus, c’est selon le point de vue. Il y a le gars presque aveugle qui a passé l’examen médical grâce à une «note» d’un certain spécialiste. Il y a le jeune délinquant qui a passé la présélection de sécurité, allez savoir pourquoi. Il y a l’hurluberlu qui doit des centaines de dollars à la police en amendes impayées et qui a dû mentir 30 fois pour finalement chausser des bottes de combat, et ainsi de suite.

Outre ceux qui poussent un peu la note, on retrouve vraiment de tout, du bon aussi, au sein des Forces canadiennes, ou du moins dans un des cours de recrue de la réserve… Pour ceux qui ont une idée bien arrêtée sur le genre de personne qui peut être attirée par le métier des armes, vous êtes nécessairement confondus. Celui-ci déteste la guerre et a pour rêve de devenir chanteur, celui-là est tout frais sorti du secondaire, déteste la guerre et considère qu’il a déniché un bon emploi d’été, un autre s’évade quelques instants pour aller méditer pendant que ses camarades frottent et refrottent leurs carabines et bottes : de tout, vraiment de tout.

Et tout ce beau monde doit, tant bien que mal, atteindre le standard, de façon militaire et efficace, et surtout apprendre à vivre ensemble et s’entraider.

Le premier jour

Avant d’arriver sur le camp, on doit admettre qu’on ressent une légère dose de nervosité. Après tout, presque personne dans l’appareil militaire n’a pu répondre à nos deux millions de questions et, si oui, les réponses différentes abondent. Pourrons-nous sortir les fins de semaine? Avons-nous accès à Internet? Est-ce que ci, est-ce que ça? C’est le saut vers l’inconnu, un voyage au royaume du camouflage.

Mais l’armée prend les choses en main et se soucie de vos préoccupations. Un bon «ferme ta gueule» de la part d’un instructeur et les deux millions de questions ne seront plus verbalisées : elles demeureront des petits Jack in the Box que l’on monte et remonte, prêtes à sortir de notre boîte à pensées à la moindre occasion. «Mais Monsieur…», peut tenter d’exprimer le néophyte wannabe soldat. Il comprendra vite qu’on ne dit pas «Monsieur» à un caporal-chef, ni à un caporal, ni à aucun militaire du rang par le fait même : le «Monsieur, c’est pour les officiers, fa que pu un mot, vous! C’est clair!?» (Oui oui, on vous dit «vous», même si vous avez seize ans et la couche aux fesses!)

Alors, comment on se sent dans la peau d’une recrue? Petit. Point. Pas un brin de fierté, pas de fier allure, rien. Parce que c’est ce qu’on est : rien. Les instructeurs n’ont pas besoin de nous le dire, on le ressent. On marche croche, on s’habille croche, on ne comprend rien, voilà. Et le pire du pire, la cerise sur le sundae, c’est le béret qu’on vous remet et que l’on doit porter pratiquement en tout temps. Sorti frais du sac, quand vous le mettez sur votre tête, vous avez l’air d’un pouf, d’un muffin ou d’un chef cuisinier, mais pas d’un soldat. C’est ainsi que dans le jargon militaire, on appelle une recrue un pouf. Débute alors l’obsession du béret pour lui donner une forme plus conventionnelle, car il indique votre expérience et votre sortie tant attendue hors de l’état de pouf. Alors, tous les coups sont permis : certains prennent leur douche avec lui pour le soumettre à l’eau chaude, d’autres arrachent la doublure à l’intérieur pour lui donner plus de souplesse (ce qui est une infraction au code militaire, car c’est endommager du matériel du ministère blablabla), etc.

La forme que prendra votre béret sera le seul gage d’individualisme permis. Tout le reste sera I-DEN-TI-QUE.

Et puis le premier jour s’évanouit et vient la première nuit. Ceux qui venaient dans la réserve pour passer un été dans la nature sont servis : le croassement incessant des mitraillettes à l’horizon remplace celui des grenouilles et le battement d’ailes des hélicoptères qui rasent le sol a cette familiarité que l’on a apprivoisée à trop regarder de films de guerre…

Le film

Tout au long de son séjour, on ne peut s’empêcher de dresser certains parallèles avec des œuvres de «fiction». Dans les rangs, on peut entendre : «Aye, c’est comme dans Jarhead», lorsqu’on se fait montrer un type d’exercice. Lors des premiers jours où l’on prend possession du fusil C-7, on se fera répéter abondamment de ne pas le tenir «à la Rambo» ou «à la John Wayne». Et lorsqu’une des recrues fait une bêtise qui fait payer tout le groupe, on évoque cette scène de Full Metal Jacket où le grassouillet se fait attaquer par ses camarades pendant la nuit avec des savons insérés dans des chaussettes. Heureusement, les participants ont assez de maturité pour ne pas s’inspirer de cette scène, car dans le film, elle finit par mener au suicide du jeune homme, poussé à bout.

Nos références ne sont qu’américaines et elles nous font apprécier l’armée canadienne, qui s’est dotée de balises pour prévenir les débordements.

Les normes

L’évocation simple de l’entraînement militaire provoque un peu d’anxiété chez les familles des recrues non familiarisées avec l’armée canadienne. Nos seuls points de repère sont des films américains ou des mauvaises nouvelles au bulletin d’information. Il faut dire que l’affaire de bizutage dégradant chez le défunt régiment aéroporté dans les années 90 a causé un tort considérable à l’image de l’armée. On se rappelle ces images de soldats faisant des pompes dans des excréments humains ou se traînant en laisse dans des actes humiliants de racisme.

À présent, il y a une grande bataille au sein même des Forces. Il s’agit du combat entre la théorie et la pratique. En théorie, tout est impeccable. Les stagiaires suivent dès les premiers jours des cours sur l’éthique et sur la prévention du harcèlement et du racisme. Le message est clair : tolérance zéro.

En pratique, c’est un peu différent… «Chassez le naturel et il revient au galop», dit-on. La chose qui surprend dans les premiers instants de sa formation est la quantité de blasphèmes qui peuvent sortir de la bouche d’un instructeur. Dire qu’un mot sur quatre irrite l’oreille n’est pas une exagération. Certains stagiaires s’en plaignent tout bas, tandis que d’autres avaient déjà l’habitude d’entendre de telles vulgarités. Une chose est certaine, ce mauvais parlé influence les jeunes oreilles. «C’est rendu que je sacre plus depuis que je suis arrivé ici», s’est esclaffé une jeune recrue après le deuxième jour d’instruction.

Après quelques jours, un des instructeurs nous apprenait qu’ils n’avaient plus le droit de blasphémer en notre présence. Le langage de charretier ou ses échos étaient parvenus aux oreilles du commandant de compagnie et ça ne passait plus. Il va sans dire qu’après un jour de retenue, le joual de basse-cour était de retour en force, comme si la pratique gagnait sur la théorie…

Et que dire du racisme… Un instructeur a prononcé un commentaire génocidaire, suivi de «ce n’est qu’une blague» et c’est passé comme dans du beurre. Ses mots ne seront pas répétés ici. Et des commentaires sexistes dégradants? C’est aussi courant.

En théorie, tout est parfait. En pratique, ces mieux qu’avant. Le comportement d’une personne ne peut fondamentalement changer en raison de pressions externes, d’où la règle d’or pour contourner les règles : «Fais-le, mais ne te fais pas prendre.» Disons que c’est loin des principes d’honneur, d’intégrité et de dignité qui sont véhiculés lors des séances sur l’éthique militaire. C’est dommage, car c’est ce qui est le plus important. L’armée n’est qu’un outil dans les mains du gouvernement. Si le gouvernement manque de moralité, l’outil sera mal utilisé. Si le gouvernement manie bien l’outil, mais que ce dernier est défectueux, il sera entaché malgré lui et devra éponger les méfaits.

Il y a quand même une tendance à la surdose de normes et c’est une réelle source de frustration pour les instructeurs. Dès le début, on nous répétait : «Ce qui ne rentre pas dans la tête, va rentrer dans les bras.» Dans le sens que si tu ne comprends pas, tu vas faire des push-ups. Comme le commandant n’appréciait pas tellement les constantes punitions push-ups, le nombre maximum de pompes que les instructeurs pouvaient nous faire faire a plafonné à 15. Mais gardez-vous de penser que 15 pompes, c’est trop peu! Les instructeurs ne sont pas nés d’hier et peuvent étendre les 15 pompes à plusieurs minutes : «En haut… en bas…………….. en haut…» Et il y a aussi «faire la chaise», faire des oui-non à l’infini en position «couché». En résumé, les manières de faire payer les recrues sont diverses et créatives, tout en respectant, les normes. Mais on ne se plaint pas du travail physique. Ce qui désole, c’est d’avoir à payer pour les autres, les retardataires, les lunatiques et les hurluberlus.

La vie en groupe

La vie en groupe demeure un des plus grands défis à relever. Il est pratiquement impossible d’avoir un peu de temps pour soi. On vit en permanence entouré de personnes qu’on n’apprécie peut-être pas, mais il faut coopérer. Ceux qui manquent de cœur sont vite repérés et ils ne tardent pas à subir les foudres des individus les plus irritables ou en poste de leadership. Après tout, vos quelques secondes de retard peuvent affecter le sort de 50 autres personnes et, à la guerre, votre erreur pourrait leur coûter la vie. C’est ainsi qu’est inculqué le «sens d’urgence» : faire tout rapidement.

Le retard est l’affront suprême, l’avarie totale. Pour commencer mal une journée, «péter le timing» est la clé. À partir de là, tout s’effondre. L’instructeur offusqué vous fera payer le reste de la journée et grugera dans votre temps le plus précieux de la journée : les moments pour manger. On attend toujours cette période avec beaucoup d’impatience et d’appétit et un long temps pour avaler la nourriture signifie un instructeur assez satisfait.

Revenons à nos moutons, car des moutons, c’est ce que nous devons être. L’abandon de son tempérament de lutte est la clé pour passer un bon séjour dans les Forces. Il faut avoir assez de détachement pour considérer les événements comme un grand jeu où chacun joue son rôle et il faut à la fois avoir le plus grand sérieux pour bien effectuer ses tâches. C’est une soumission volontaire qui ne peut blesser que celui qui serait trop orgueilleux ou le prendrait personnel. C’est complètement différent de la vie civile, mais le détachement mentionné s’applique quand même à toute situation et garantit une tête reposée et un cœur paisible.

Celui qui se laisse trop prendre par les sentiments passe difficilement le cours du QMB (Qualification militaire de base). La tension est parfois extrême et elle ne vient pas que des instructeurs. Les pairs peuvent être la source la plus agressante de conflits et les intempéries viennent facilement jouer sur le moral.

L’expérience

Somme toute, l’expérience est des plus enrichissantes. C’est aussi vrai que vous «découvrirez vos forces», tout comme vos faiblesses d’ailleurs. C’est le fruit de toute expérience. C’est aussi la raison pour laquelle la plupart des gens que j’ai connus se sont enrôlés. Ce n’est pas par amour de la guerre et du sang. S’il est vrai que les préoccupations d’ordre politique et les controverses peuvent être laissées de côté, il n’y a rien de mieux que de connaître une chose directement pour pouvoir la juger. Souhaitons seulement un rapprochement sincère aux principes et l’utilisation responsable de la force. La vie est précieuse.

Plus de 204 720 056 personnes ont démissionné du PCC et de ses organisations.